La Faculté de droit de Grenoble propose à ses meilleurs étudiants de suivre, en marge de leurs années de Licence et de Master, un diplôme universitaire, se déroulant sur sept sessions, intitulé « Collège de droit ». Cette formation, ouverte dans la limite des places disponibles aux auditeurs libres en faisant la demande, a pour dessein de leur offrir des perspectives que le cursus traditionnel ne permet pas ou peu d’aborder. L’année 2016 ayant été fortement marquée par la mise en place de l’état d’urgence, de nombreuses revendications sociales et par l’apparition de phénomènes nouveaux de réappropriation du débat public par les citoyens tels que « Nuit debout », il a été décidé de consacrer la session de rentrée du Collège de droit à destination des étudiants de deuxième année au sujet de la réinvention de la démocratie en cette année électorale qu’est 2017.
C’est dans ce contexte que, ceux-ci ont eu l’occasion de s’affronter, par équipe, sur diverses thématiques interrogeant la crise et les facteurs de renouveaux démocratiques. Les articles qui vous sont ici proposés relatent la joute à laquelle certains d’entre eux se sont brillamment livrés sur un sujet loin d’être évident, et pourtant au cœur de l’actualité, le changement de la vie démocratique et politique française par le phénomène des « primaires ». La première contribution (publiée précédemment) plaide en faveur d’un tel renouvellement quand la seconde (publiée ci-dessous) s’attache au contraire à démontrer que ces élections ne suscitent finalement pas de profonds bouleversements.
J’espère que vous éprouverez autant de plaisir à les lire que nous avons eu à les entendre. C’était, pour ma part, une grande fierté que de voir, chez d’aussi jeunes juristes, une telle intention de convaincre par des échanges d’arguments si pertinents.
Émilie Akoun, Maître de conférences en droit public, Codirectrice du Collège de droit – Responsable de la deuxième année, Faculté de droit – Université Grenoble-Alpes
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NON ! Les primaires n’ont pas changé la vie démocratique française !
Affirmer que les primaires n’ont pas changé la vie démocratie française suppose évidemment une argumentation construite. Ici, elle se structure en deux grandes idées : premièrement, les primaires sont inefficaces dans la résolution de la crise rencontrée par les partis politiques en France et deuxièmement les primaires ne changent pas la vie démocratique française puisqu’elles ne sont pas un facteur de ce changement mais simplement une réponse à la mutation de la vie politique française.
- Des primaires inefficaces face à la crise des partis politiques français
- Les primaires comme tremplin de popularité ?
On peut penser que les primaires sont pour beaucoup un moyen se faire connaître dans le « monde politique ». Mais il s’avère que les primaires n’apportent pas forcément une grande notoriété aux candidats. Quand on observe les résultats des primaires socialistes de 2011, ce ne sont pas ceux qui ont obtenu les meilleurs scores qui ont eu les meilleurs postes au gouvernement ensuite (excepté François Hollande bien sûr).
Manuel Valls, avant dernier à la primaire de 2011 avec 5,63% des suffrages est devenu Premier ministre le 31 mars 2014 et bénéficie aujourd’hui d’une cote de popularité supérieure à celle du Président de la République.
Ségolène Royal, avec un faible score de 6,75%, s’est retrouvée au Gouvernement en tant que Ministre de l’Environnement.
A l’inverse Arnaud Montebourg, numéro trois à cette même primaire avec un score de 17,19%, a été écarté du gouvernement.
On peut alors aisément se demander s’ils n’auraient de toute façon pas occupé leurs postes actuels avec ou sans les primaires. Manuel Valls, par exemple, déjà cadre du Parti socialiste était, de 1993 à 1994 puis de 1995 à 1997 Secrétaire National chargé de la Communication, puis de 2003 à 2004 Secrétaire National chargé de la Coordination et de l’Organisation et enfin depuis 1993 membre du Bureau National et du Conseil National. Sa carrière politique était donc déjà lancée avant même les primaires.
- Les primaires, une élection non-officielle
Rappelons également qu’un candidat qui perdrait aux primaires n’est en aucun cas empêché de participation à l’élection présidentielle, la primaire n’ayant rien d’une élection officielle. On peut donc tout à fait imaginer un candidat aux primaires ne pas tenir compte du résultat de celles-ci et se présenter aux présidentielles, voire même les remporter ! Les primaires n’auraient alors pas influencé le résultat de l’élection présidentielle.
De plus, rien n’empêche un candidat de se présenter aux élections présidentielles sans parti politique qui organiserait des primaires. Aujourd’hui on peut citer comme exemple Emmanuel Macron, candidat sérieux aux présidentielles qui se présente pourtant sans parti politique. Il ne se mesurera donc pas aux autres candidats de la primaire socialiste sans que cela ne semble changer quoi que ce soit pour lui quant à ses chances de réussite aux élections présidentielles de 2017.
En effet, les résultats des primaires ne déterminent pas l’issue des élections présidentielles. A part le cas de François Hollande en 2012 qui, sorti premier des primaires socialistes, est élu président, aucun « vainqueur » de primaire n’avait jamais remporté les élections présidentielles ensuite. D’autant que « le cas Hollande » peut tout à fait s’expliquer.
Premièrement par le fait que les primaires de 2011 étaient des primaires ouvertes et donc qu’un plus grand nombre d’électeurs sont venus voter à cette occasion. Le panel d’électeurs était alors plus représentatif que pour n’importe quelle autre primaire auparavant. Le résultat des primaires « collait », par conséquent, bien mieux aux résultats des présidentielles.
Deuxièmement l’élection de François Hollande comme Président de la République s’explique avant tout par le goût qu’ont les français pour l’alternance et non pas par sa victoire aux primaires. Déçus par la droite, les français ont accordé leurs voix à la gauche.
- Des primaires pour ré-impliquer les citoyens ?
Aujourd’hui, les organisateurs des primaires dénoncent un manque d’implication des citoyens aux élections présidentielles, ce qui est vrai, mais affirment que les primaires leur donnent davantage envie d’aller voter, ce qui est faux. En effet, l’implication des citoyens aux élections présidentielles restent inchangée avec les primaires. D’abord les primaires fermées ne permettent qu’à une toute petite partie de l’électorat de s’exprimer : seuls les partisans votent. On voit alors difficilement comment ce type de primaires peut ré-impliquer les citoyens dans le processus électoral.
Mais aujourd’hui ce système laisse plutôt place aux primaires ouvertes. Cependant, même si ces primaires permettent à une plus grosse partie de l’électorat de s’exprimer, les militants, partisans et sympathisants pouvant voter, elles posent tout de même des conditions limitatives telles que la signature d’une déclaration morale d’adhésion aux idées du parti ou une participation financière, même minime (1€ pour les primaires du parti socialiste en 2011 et 2€ pour les primaires du parti politique Les Républicains en décembre 2016) réduisant ainsi le nombre de votants aux primaires.
Preuve en est que seul 6,13% de la population en âge de voter a participé aux primaires socialistes de 2011. Mais encore plus frappant, le taux d’abstention aux élections présidentielles reste inchangé malgré une multiplication du nombre de primaires organisées par les partis politiques français. Depuis 2002, le taux d’abstention au premier tour des présidentielles stagne autour de 20%. Les primaires ratent donc complètement leur objectif de ré-implication des citoyens aux élections et ne changent en rien la vie démocratique française.
- Une organisation calquée sur celle des élections présidentielles…
De même, les primaires ne changent pas la vie politique française puisqu’elles ne sont qu’une pâle copie des élections présidentielles dans leur fonctionnement : existence d’un seuil de parrainage, présence d’un règlement du calendrier des opérations électorales, tenue d’un scrutin à deux tours, choix d’un vote papier, exigence d’un compte de campagne, instauration d’un plafond de dépense, intervention d’une Haute Autorité succédanée du Conseil constitutionnel chargée d’établir la liste des candidats, de proclamer les résultats et de veiller à la régularité du scrutin, en particulier au respect d’une stricte égalité entre les candidats.
Finalement les partis politiques reproduisent, à une autre échelle, un genre d’élection présidentielle qui doit de tout façon avoir lieu. A quoi bon organiser une « pré-élection présidentielle » si ce n’est pour rassurer les candidats dans leurs chances d’accession à la présidence ?
2. Les primaires : une simple réponse aux changements de la vie politique française
- La culture des sondages en France
Ces dernières années ont vu se développer considérablement une culture du sondage, à tel point que l’on parle parfois de « démocratie sondagière ». En effet, les sondages, souvent erronés, sont pourtant pris très au sérieux pas les partis politiques qui y accordent une importance capitale. Ainsi, ils mesurent sans cesse la « température » de leur « santé politique », aveu de leur manque de confiance flagrant face à leurs chances de réussite aux élections.
Mais finalement, tout comme les partis eux-mêmes, beaucoup d’électeurs (notamment les « encartés » qui votent aux primaires et sont souvent des élus du Parti) se fient aux sondages et choisissent donc le « vote de la raison ». Ils se rangent derrière le candidat présenté par les sondages comme étant celui qui a le plus de chances de remporter les primaires, et par extension les présidentielles.
La primaire apparaît donc comme une simple confirmation des sondages puisque les électeurs suivent aveuglement (ou presque) les résultats de ceux-ci.
D’après Rémi Lefèbvre, professeur de science politique, l’angle abordé par les sondages est celui des vainqueurs potentiels. Ils poussent l’électorat à voter pour le candidat le mieux placé à leurs yeux car ils ont un pouvoir politique et médiatique de plus en plus important sur lui.
Les sondages peuvent également avoir des effets démobilisateurs puisque l’on peut très bien imaginer par exemple des électeurs aux primaires soutenant un candidat X, comprenant par les sondages la baisse de popularité de ce dernier, préférer se ranger derrière un autre candidat.
Au cours des primaires, et en raison de l’effet des sondages sur ces dernières, les acteurs politiques sont contraints de se situer, encore et encore, par rapport à l’opinion publique. Les candidats, déjà pas sereins, cherchent à se rassurer par une enquête d’opinion (la primaire) davantage prise au sérieux et plus représentative sans doute que les autres (les sondages).
- Les primaires pour faire face à la « crise du leadership »
Les primaires sont, pour les partis, une stratégie politique, une étape de sélection des candidats pour les présidentielles afin de faire face à la « crise du leadership » à laquelle ils tentent de faire face. En effet, ces derniers n’arrivent plus à faire émerger en leur sein des leaders qui se hisseraient naturellement à leur tête. Autrefois, le président du parti politique était le candidat officiel pour les élections présidentielles. Aujourd’hui, aucun candidat à l’élection ne parvient à avoir une autorité suffisante pour s’imposer aisément, il n’y a plus de chef indiscuté comme l’était de Gaulle.
L’un des exemples les plus flagrants de la crise du leadership demeure le Congrès de Reims de novembre 2008. A cette occasion, le Parti socialiste devait s’entendre sur le nom du nouveau premier secrétaire du parti afin de remplacer le précédent : François Hollande. Mais le parti se divise entre la candidature de Martine Aubry et celle de Ségolène Royal. Finalement, la première l’emporte mais de 102 voix seulement sur sa concurrente, autrement dit Martine Aubry est élue première secrétaire du Parti socialiste à 50,04% des suffrages !
Les primaires ne sont finalement que le reflet de l’essoufflement de la conception bonapartiste de la Ve République qui doit disposer d’un homme fort à sa tête, et montrent que la France se retrouve désespéramment à la recherche d’un homme providentiel. Les primaires expriment un manque de charisme, une volonté de compenser le manque de crédibilité et d’idées des hommes politiques et de leurs partis par une légitimité issue d’un scrutin sans valeur.
- Les primaires responsables de la personnalisation de la politique en France ?
Certains disent que l’existence des primaires entraîne la personnalisation de la vie politique française, or c’est mal connaître l’histoire de la Ve République. En effet, cette personnalisation de la politique remonte à l’instauration du suffrage universel direct pour l’élection présidentielle, soit à l’année 1962. C’est véritablement ce changement qui a centré l’attention sur un seul personnage politique : le Président de la République. Ce n’est donc en aucun cas les primaires qui ont institué cette mutation. On peut même dire que celles-ci sont en fait une réponse à la personnalisation de la vie politique française. Aujourd’hui on ne choisit plus des idées mais un candidat pour les incarner. Il s’agit d’élire une personnalité plutôt qu’un programme politique. Finalement, quel est l’impact des primaires sur la vie démocratique française puisque, peu importe quel candidat sort vainqueur des primaires, il porte les mêmes idées que ses adversaires à quelques nuances programmatiques insignifiantes prêtes. On ne peut donc pas parler de réel impact des primaires sur la vie politique française.
- Les primaires, une arme contre le tripartisme ?
Les primaires forment également une réponse à la montée du tripartisme en France, et ne sont en aucun cas un élément déclencheur de ce phénomène. Les partis politiques, de gauche comme de droite, doivent s’unir dès le premier tour de la présidentielle qui servait autrefois de « primaire ». Sans les primaires, un autre moyen aurait été trouvé pour départager les leaders des partis – dans l’hypothèse, évidemment, qu’il puisse encore y avoir des leaders charismatiques dans les partis aujourd’hui. En effet, avant l’instauration des primaires, l’élection du Président du parti déterminait le candidat qui représenterait le parti à l’élection présidentielle.
En 1971 le Parti socialiste désigne François Mitterrand comme premier secrétaire. C’est donc lui qui se présentera à l’élection présidentielle. De plus, il est aisé de démontrer que les primaires n’ont en aucun cas changé le phénomène de tripartisme.
Pour les élections présidentielles de 2012, Marine Le Pen atteint un score historique de 18%et réussi ainsi à faire mieux que son père en 2002 (16,86%) et 2007 (10,44%).
Les primaires, en plus de n’être qu’une réponse à la montée du tripartisme, forment une réponse inefficace à ce phénomène.
- Une campagne rallongée par les primaires ?
A ceux qui pensent que l’existence des primaires rallonge le temps de campagne rappelons que cette tendance à la campagne permanente n’a pas eu besoin de ces dernières pour naître et que cette élection n’est là que pour rythmer une campagne présidentielle sans début ni fin. En effet, on remarque que le sentiment de campagne permanente était présent bien avant la mise en place des primaires, l’instauration du quinquennat en 2000 étant le vrai responsable de l’étalement des campagnes électorales. Le Président de la République disposant alors de moins de temps pour mettre en place sa politique se concentre plus rapidement qu’avant sur sa réélection et moins sur l’application de son programme.
- Les primaires, gage de renouvellement de la classe politique ?
De même, certains voient dans les primaires le moyen de mettre en concurrence les différents acteurs du « marché de la politique » afin d’en renouveler la classe. Il n’en est rien à cause du système des 500 parrainages d’élus mis en place en 1976. Puisque les parrains subissent des pressions dues à la publication de leurs présentations, ceux-ci, par souci de crédibilité, n’accordent bien souvent leur signature qu’à des « gros candidats » qui représentent des chances réelles d’élection. Les « petits candidats » ne parviennent finalement que très rarement à obtenir les 500 parrainages.
Par exemple, aujourd’hui un seul candidat potentiel aux présidentielles de 2017 présenté par laprimaire.org a des chances d’obtenir ce quota de présentations sur 16 candidats qualifiés par l’association.
Même si l’objectif de renouvellement de la classe politique par les primaires est louable, celui-ci reste impossible du fait de la limite imposée par les 500 présentations. Les primaires ne changent donc rien sur ce point. De plus, un candidat qui obtient un bon score aux primaires peut ne pas parvenir à réunir 500 présentations d’élus ensuite ce qui rendrait l’élection primaire caduque. A l’inverse, un candidat qui fait un score minable aux primaires peut tout à faire se voir accorder les 500 parrainages nécessaires. Il s’agit d’une preuve supplémentaire d’inutilité des primaires.
Conclusion :
Finalement il est bon de considérer les primaires comme le « crash-test » des partis politiques avant les présidentielles, un moyen de prendre la température de l’électorat français, sûrement de manière plus fidèle que les sondages. Les citoyens, qui pensaient par ce biais récupérer du pouvoir sur l’élection présidentielle, n’influencent pas plus la vie démocratique française qu’auparavant.
De plus, on dispose de peu de recul aujourd’hui sur les primaires en France : les premières remontent au milieu des années 1990 mais les premières primaires ouvertes datent de 2011.
Il serait alors bon d’attendre le résultat de l’élection présidentielle de 2017 pour analyser l’impact des primaires sur la vie démocratique française.
C’est certainement ce résultat qui confortera les hommes politiques dans leur idée d’étendre ou non ce mode de désignation des candidats aux élections municipales.
Quel avenir pour les primaires quand on pense qu’elles ne résolvent aucunement la crise rencontrée par les partis politiques français ?
Maylis LEITAO, Johanna SERVE, Margaux TRITANT, Camille TURPIN, Laura UGHETTO