22/02/2016 : Le Venezuela, les urnes et la crise [par un nouvel auteur, Ricardo Andrès Salas Rivera]

C’est avec un très grand plaisir que nous accueillons pour la première fois sur le blog du droit électoral M. Ricardo Andrès Salas Rivera. Ce dernier rédige une thèse à l’Université Grenoble-Alpes sur l' »Autonomie du droit électoral, analyse de droit comparé France-Costa Rica » et y donne des travaux dirigés. Merci à lui qui, après Komi Dodji  Akaptcha qui nous avait emmené en Afrique, nous conduit cette fois en Amérique du Sud. A suivre !

 

imagesLe 6 décembre dernier, les vénézuéliens ont voté pour le renouvellement de l’ensemble des sièges de l’Assemblée Nationale, unique composante du pouvoir législatif. Et le résultat est sans appel : le parti opposé au courant chaviste, la Mesa de la Unidad Democrática (MUD) remporte 109 des 167 sièges contre 55 pour le Parti Socialista Unido de Venezuela (PSUV). Les plus fins observateurs remarqueront que 109+55 ne donne pas 167, mais bien 164, les 3 dernier sièges revenant à la représentation des indigènes du pays.

Le 15 janvier 2016, le Président de la République, Nicolás Maduro Moros s’est pour la première fois soumis à l’exercice de délivrer son message annuel à l’Assemblée, qui lui est majoritairement opposée.

logoLe même jour, la Banque Centrale du pays a publié des statistiques macroéconomiques, ce qu’elle n’avait pas fait depuis… plus d’un an ! En effet, les membres du parti présidentiel expliquent que les chiffres sont altérés du fait de la guerre économique que connait le pays, et qu’il ne sert à rien de publier ces chiffres en temps de guerre, violant ainsi sa propre loi, prévue par la quatrième disposition transitoire de la Constitution de 1999, qui prévoit dans son article 67 que dans les 15 premiers jours de chaque mois, la Banque Centrale doit publier les chiffres officiels du mois écoulé. Et les chiffres publiés ne sont effectivement pas très encourageants, avec notamment une inflation cumulée pour les neuf premiers mois de 2015 de 108,7% et une réduction du PIB de 7,1% pour le troisième trimestre 2015. Sans jouer à l’économiste, soit les chiffres ne sont pas bons, soit ils sont vraiment altérés.

Toujours le 15 janvier, l’exécutif, en application de l’article 338 alinéa 2 de la Constitution, décrète l’état d’urgence économique pour soixante jours… Cet état d’exception se justifie, d’après la lettre constitutionnelle, lorsque des circonstances économiques extraordinaires affectent gravement la vie économique de la Nation. Entre autres mesures, ce décret permet à l’exécutif d’assigner des ressources extraordinaires à l’administration publique pour les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’alimentation et du logement, appliquer des mesures spéciales pour réduire l’évasion fiscale, imposer une augmentation du niveau de production aux entreprises publiques et privées, et d’adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir l’accès de la population aux aliments, aux médicaments et autres produits de première nécessité.

images (2)Cependant, l’exécutif ne décide pas seul de s’octroyer ces prérogatives car l’article 339 de la Constitution dispose que le décret doit être approuvé par l’Assemblée Nationale, et par la Chambre Constitutionnelle du Tribunal Suprême de Justice, qui se prononce sur sa constitutionnalité.

Comme prévu, l’Assemblée Nationale a, par 107 voix contre 53, et allant dans le sens d’un rapport de la Commission en charge d’évaluer le décret d’urgence économique, n’a pas validé le projet de l’exécutif. Celui-ci semble être surtout un coup politique, le Ministre de la Communication et de l’Information ayant fait comprendre que si le décret était écarté, cela équivaudrait à nier le maintien d’un schéma de défense des droits de l’Homme au Venezuela. Ou comment essayer de prendre l’opposition en étau…

téléchargement (2)Mais l’opposition n’a pas seulement écarté le décret, elle a également annoncé, à travers la voix d’Henrique Capriles, deux fois candidat malheureux aux présidentielles, la volonté de mettre un terme au mandat de Maduro par la voie constitutionnelle.

Que dit la Constitution ?

Trois voies sont possibles, le référendum révocatoire, la convocation d’une Assemblée Constituante et l’amendement constitutionnel. La majorité parlementaire réfléchit encore à la détermination de la méthode dans laquelle l’exécutif risque de moins poser de problème. Nous nous proposons de présenter les différentes possibilités dans un tableau récapitulatif :

Référendum révocatoire Assemblée Constituante Amendement
Articles de la Constitution 6 et 72 347 à 350 340 et 341
Initiative (l’énumération suit l’ordre établi par la Constitution) –     Minimum 20% des électeurs – Président de la République en Conseil des Ministres-  Assemblée Nationale (2/3)-  15% des électeurs inscrits au Registre Civil et Electoral – 15% des électeurs inscrits au Registre Civil et Electoral-  30% des députés- Président de la République en Conseil des Ministres
Conditions – Avoir effectué au moins la moitié du mandat- Passer le filtre de la Cour Suprême de Justice Aucune Si initiative de l’AN, approbation par la majorité simple des députés
Objet Destituer la personne visée de sa charge obtenue par le suffrage universel Transformer l’Etat, créer un nouvel ordre juridique et rédiger une nouvelle constitution Ajouter ou modifier une ou plusieurs dispositions de la Constitution
Consultation populaire Oui Oui Oui
Délais Recueillir les signatures et lors du référendum, 25% de participation, obtenir autant ou plus de votes en faveur de la révocation que de votes obtenus lors de l’élection du fonctionnaire révocable, et obtenir la majorité simple Convocation de l’Assemblée, rédaction de la nouvelle norme suprême et adoption de celle-ci Suit le même procédé que l’adoption des lois ordinaires, référendum 30 jours après, majorité simple pour le référendum

 téléchargement (3)Au regard de ce tableau, il semble que l’amendement soit la meilleure des solutions. Le Président de l’Assemblée a annoncé qu’il soutiendrait cette mesure, et qu’il est même en faveur d’un triple amendement, visant à limiter la durée de l’exécutif, du législatif et du judiciaire. Il est cependant important de noter que l’amendement n’a pas d’effet rétroactif, et que, finalement, Maduro pourra terminer son mandat, qui s’achèvera en 2019, et que les modifications seront effectives pour le prochain mandat.

Une autre voie existe, celle de la démission volontaire du Président de la République, mais il semble difficile que Maduro se dirige vers cette solution.

Ainsi, pour donner une réponse rapidement tangible à la population, une partie de la doctrine propose que l’AN vote, au 2/3 (ce qui signifie l’ensemble des députés MUD avec les voix de la représentation indigène), la convocation d’une assemblée constituante, pour réformer profondément ce pays, en proie à une sortie de crise qui fera fi de la Constitution.

Il semble urgent qu’une direction soit prise par les dirigeants du Venezuela, et que le pouvoir électoral, consacré dans la Constitution, puisse montrer toute son indépendance et contribuer à la sortie de la crise.

A suivre…

Ricardo Andrès Salas Rivera

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