Alors qu’un raz de marée de la République en marche est annoncé pour dimanche prochain, les analyses fleurissent sur les effets du mode de scrutin ou de l’abstention. Un travail déjà effectué par Raul Magni-Berton, qui propose une application permettant de simuler, à partir des résultats électoraux, la répartition en termes de sièges selon les modes de scrutin et en prenant en compte le vote blanc ou l’abstention. C’est avec plaisir que nous relayons ici le texte CNRS de présentation de cette application ci-dessous, qui ne manquera pas d’être utilisée pour les résultats 2017 ! Bonne lecture !
L’application Dérangeons la chambre : un accès facile à la complexité des modes de scrutin. Et pas seulement.
L’importance des règles électorales pour déterminer les résultats d’une élection est bien connue par les spécialistes, mais largement sous-estimée par les autres. La raison est que ces effets sont assez techniques, souvent fastidieux à étudier, et somme toute assez abstraits. L’application « Dérangeons la chambre » vise à montrer le poids de certaines règles électorales d’une façon simple et accessible à chacun. Elle est le fruit d’une collaboration entre l’agence Skoli – spécialisée dans la construction, l’accès et la diffusion des savoirs – et moi-même.
Les règles électorales sont nombreuses. Elles incluent les questions de l’inscription sur les listes électorales (automatique, possible le jour de l’élection…) des moyens de voter (par Internet, courrier, électroniquement…), les contours des circonscriptions et également les modes de scrutins qui définissent la façon dont les voix sont comptées.
Les modes de scrutin ont deux effets majeurs. Un effet mécanique, d’une part, qui conduit à une distribution des sièges selon la méthode de comptage utilisée. Un effet psychologique, d’autre part, qui consiste à inciter les électeurs à voter « utile ». Naturellement, les deux effets sont souvent difficiles à départager, car un vote peut être utile sous un mode de scrutin, mais pas sous un autre (Blais, A., Lachat, R., Hino, A., & Doray-Demers, P. (2011). The mechanical and psychological effects of electoral systems: A quasi-experimental study. Comparative Political Studies, 44(12), 1599-1621)
Il y a néanmoins une façon assez simple d’observer l’influence mécanique d’un mode de scrutin sur les résultats : il suffit de recompter les voix avec une autre méthode et simuler ce que serait notre Assemblée Nationale si nous avions un mode de scrutin différent. Une telle simulation n’est possible que lorsque les informations fournies par les résultats électoraux le permettent. En France, l’existence de deux tours nous permet de simuler d’autres systèmes à deux tours, comme le système italien en cours de construction. En revanche, nous ne pouvons pas simuler les systèmes qui offrent la possibilité de donner plusieurs avis (comme le système irlandais, australien ainsi que les systèmes basés sur l’approbation ou le jugement majoritaire).
Basés sur les résultats du ministère de l’Intérieur de l’élection législative de 2012, nous avons pu simuler la composition de notre assemblée avec les systèmes électoraux de plusieurs de nos voisins : les britanniques, les allemands, les italiens, les espagnols et les néerlandais (figure ci-bas).
Depuis l’élection de 2012, le Parti Socialiste peut avoir la majorité s’il est allié avec un petit parti, les Verts ou le parti Radical de Gauche par exemple. Les résultats montrent qu’avec le système allemand, le Parti Socialiste aurait besoin, outre ses alliés actuels, du Front de Gauche pour gouverner. Avec le système italien, il n’aurait besoin de personne. Les systèmes espagnols et hollandais nécessiteraient d’une grande coalition qui inclurait des partis de gauche et des partis de droite. En revanche, avec le système britannique, la majorité resterait la même que dans le système actuel. Les équilibres, et donc les politiques publiques mises en œuvre, peuvent substantiellement changer.
Mais l’application ne fait pas que comparer les systèmes existants. Elle offre aussi des comptages de voix alternatifs qui permettent d’ouvrir le débat sur la légitimité démocratique de nos institutions actuelles.
Le premier aspect de ce débat concerne l’abstention. Supposons qu’un candidat n’est élu que s’il reçoit plus de voix qu’il y a d’abstentionnistes. Autrement dit, le parti de l’abstention est considéré comme un candidat, et participerait à des triangulaires dans les circonscriptions avec les autres candidats qualifiés. Le résultat est fort : 97% des sièges seraient non pourvus. Nous serions alors gouvernés par 17 députés, dont 80% appartiendraient à la coalition de gauche. Cet exercice permet de souligner l’importance de l’abstention dans la vie politique actuelle et son impact s’il devait être pris en compte par nos institutions. D’autres façons de prendre en compte l’abstention peuvent révéler un problème de légitimité de nos élus, comme par exemple, le fait qu’aucun député n’a été élu à la majorité des inscrits.
Le deuxième aspect compare les règles des référendums locaux à celles des élections des représentants. L’une des règles centrales est le quorum participatif, qui indique que le résultat du vote ne sera pas pris en compte s’il n’y a pas 50% de participation électorale. Combien de députés seraient absents si on appliquait la même règle à l’élection des représentants ? L’élection de 116 députés (plus de 20%) ne satisfait pas à ce prérequis.
En conclusion, l’application Dérangeons la chambre n’est pas une avancée dans la recherche. Mais elle offre un accès pédagogique et suggestif aux effets des modes de scrutin sur le résultat, mais aussi aux débats sur l’abstention, les référendums et la légitimité démocratique. Il offre donc aux enseignants-chercheurs un appui à leur cours et à la société civile des informations utiles pour nourrir les débats publics.
Raul Magni-Berton