L’avis final de la conférence de consensus des « Pas sans nous », qui a réfléchi les 4 et 5 septembre sur la création d’un fonds public d’interpellation citoyenne, est paru, une conférence de presse ayant été organisée ce matin pour en défendre les résultats. Un texte auquel nous nous rallions pleinement et que nous avons signé, sous une réserve cependant, raison pour laquelle, en accord avec les organisateurs de la conférence, nous publions ici une réserve d’interprétation.
L’avis final de la conférence : financer l’interpellation citoyenne
Vous pourrez trouver cet avis final en cliquant ici : Avis_conf_consensus ; et nous reproduisons le texte paru ci-dessous :
« Considérant la dégradation de notre vie collective provoquée par la crise démocratique dans laquelle s’enfonce notre société,
Considérant les dégâts politiques, sociaux, environnementaux, individuels et familiaux que
cette crise entraîne,
Considérant la responsabilité particulière des élus, des institutions, des associations mais
aussi de chacun-e d’entre nous, citoyennes et citoyens, habitantes et habitants, dans
l’authenticité et la qualité du faire ensemble,
Considérant que la démocratie ne peut se limiter à la démocratie représentative et à une
démocratie participative descendante initiée par les pouvoirs publics,
Nous affirmons qu’il est indispensable et urgent de revitaliser la démocratie en élargissant
son fonctionnement à une démocratie d’initiative citoyenne.
Notre ambition est de construire et de garantir le pouvoir d’agir des personnes les plus
éloignées du débat public et des lieux de décision.
L’enjeu est de traduire le dynamisme de la vie collective locale, d’exprimer l’énergie et la
créativité de chacun-e.
Pour aller dans cette direction :
Nous proposons la création d’un « Fonds pour la démocratie d’initiative citoyenne », doté
annuellement de 5 % du montant total de l’argent public consacré au fonctionnement de la
démocratie représentative (Financement des partis politiques, remboursement forfaitaire des élections, réserves parlementaires, etc.)
Nous proposons que d’autres sources de financement soient mobilisées, notamment que ce
fonds puisse être abondé par toute personne physique ou morale avec le bénéfice des
réductions d’impôts liées à la reconnaissance de son utilité publique.
Nous proposons que le Fonds pour la démocratie d’initiative citoyenne finance :
• Des initiatives, locales ou nationales, visant à organiser débat, contre-expertise,
évaluation, votation et toute forme de mobilisation concernant des projets ou des
politiques portés par l’État, les collectivités territoriales ou les acteurs économiques ;
• Des initiatives, locales ou nationales, visant à faire émerger des sujets et susciter des
projets qui ne sont pas à l’agenda des politiques publiques et du débat public ;
• Des initiatives, moyens et outils renforçant la démocratie d’initiative citoyenne, le
partage de l’information et la diffusion des expériences, la formation et la coformation,
l’accès aux médias et aux savoirs.
Ces financements sont appelés à permettre et soutenir des processus émergents ou des
dynamiques existantes, à l’exclusion des actions de démocratie participative portées par
l’État, les collectivités territoriales, les acteurs économiques et les partis politiques.
Nous proposons que le Fonds pour une démocratie d’initiative citoyenne soit géré par une
instance indépendante et pluraliste. Sa forme juridique devra naître du large débat auquel
nous appelons.
Nous souhaitons qu’elle soit conçue de manière inédite et inventive, y
compris par le recours à des modes de désignation nouveaux (tirage au sort par exemple),
afin de ne pas répéter la confiscation de la démocratie. Elle devra inclure de manière
majoritaire dans sa gouvernance les premiers concernés, les personnes les plus éloignées
du débat public et des lieux de pouvoirs.
Elle devra respecter des principes trop souvent oubliés : diversité de sa composition,
indépendance de ses responsables, distinction des instances d’orientation et de gestion,
transparence des décisions, droit à l’expérimentation et inscription dans la durée, simplicité des procédures et rapidité de la décision.
Nous nous engageons à défendre les propositions et principes énoncés ci-dessus,
notamment à l’occasion des prochaines échéances électorales. À rassembler autour de nous tou-te-s celles et ceux qui souhaitent les promouvoir. À interpeller tous les décideur-e-s concerné-e-s ainsi que les partis politiques et les candidat-e-s aux futures élections. Et à
continuer à travailler sur les modalités plus précises de mises en œuvre de ce Fonds, avec
les premier-e-s concerné-e-s.
Notre pays a besoin d’espérance et de confiance, d’une espérance réinventée par ses
habitant-e-s eux-mêmes, d’une confiance retrouvée dans une démocratie rendue à l’initiative citoyenne »
Signataires
Jacques Archimbaud, Vice-président, Commission nationale du débat public
Marie-Hélène Bacqué, Professeure d’études urbaines, Paris 10
Djamel Blanchard, Délégué régional, Pas sans Nous
Loïc Blondiaux, Professeur de sciences politiques, Paris 1
Patrick Braouezec, Président, Front de Gauche, Plaine Commune
Ilaria Casillo, Maîtresse de conférence en géographie, Paris Est
Guillaume Coti, Coordinateur, Pouvoir d’Agir
Gérard Courtois, Directeur éditorial, Le Monde
Agnès Deboulet, APPUII – Professeure de sociologie, Paris 8
Ixchel Delaporte, Journaliste, L’Humanité
Quitterie De Villepin, #Ma Voix
Véronique Fayet, Présidente, Secours Catholique
Judith Ferrando, Membre, Institut de la concertation
Matthieu Hély, Maître de conférence en sociologie, Paris 10
Frédérique Kabba, Directrice des missions sociales, Fondation Abbé Pierre
Armel Le Coz, Co-fondateur, Démocratie Ouverte
Bénédicte Madelin, Membre du conseil scientifique et technique, Pas sans Nous
Angèle Malâtre-Lansac, Directrice Adjointe, Institut Montaigne
Mohamed Mechmache, Co-président, Pas sans Nous
Claudie Miller, Présidente, Fédération des centres sociaux de France
Edwy Plenel, Directeur, Médiapart
Agnès Popelin, Vice-présidente, France Nature Environnement
Romain Rambaud, Professeur de droit, Grenoble
Christophe Robert, Délégué général, Fondation Abbé Pierre
Adrien Roux, Organisateur, Alliance citoyenne
Selima Saadi, Ajointe à la politique de la ville et au logement, Parti socialiste, Metz
Yves Sintomer, Professeur de sciences politiques, Paris 8
Jo Spiegel, Maire, Divers gauche, Kingersheim
Nicky Tremblay, Co-présidente, Pas sans Nous
Édouard Zambeaux, Journaliste
Réserve d’interprétation
Qu’il soit permis ici de poursuivre la réflexion et d’émettre une réserve d’interprétation, partagée d’ailleurs par d’autres participants à la conférence.
Même si fondamentalement, l’interpellation est d’essence libérale et doit d’abord s’exercer d’en dehors de la puissance publique, on peut trouver intéressant le principe de financer l’interpellation citoyenne par une autorité indépendante, d’autant que la conférence de consensus a adopté le principe que le financement puisse être privé… même s’il faudrait alors, en parallèle, réinvestir le champ de l’interpellation citoyenne juridiquement, au niveau national comme au niveau local, pour en faciliter la mise en oeuvre. De ce point de vue la réflexion de la Coordination « Pas sans nous » devrait s’approfondir sur le terrain juridique.
Concernant la composition de cette autorité indépendante, n’appelle pas non plus d’objection le principe selon lequel elle devrait être « conçue de manière inédite et inventive, y compris par le recours à des modes de désignation nouveaux (tirage au sort par exemple), afin de ne pas répéter la confiscation de la démocratie. Elle devra inclure de manière majoritaire dans sa gouvernance les premiers concernés, les personnes les plus éloignées du débat public et des lieux de pouvoirs ».
Cependant, l’idée selon laquelle il faudrait une « distinction des instances d’orientation et de gestion » nous semble devoir appeler une réserve d’interprétation.
En effet, il n’est pas envisageable que cette autorité comporte une « instance d’orientation » dont le rôle serait de déterminer des orientations au fond concernant les interpellations qui méritent d’être soutenues ou non… Il nous semble a titre personnel que, sous réserve des interpellations susceptibles de troubler l’ordre public, cette instance ne saurait faire d’en haut le tri selon l’objet, notamment idéologique, de l’interpellation en cause. Bien au contraire, seuls des critères objectifs de nature essentiellement quantitative (nombre de pétitions recueillies, critère de faisabilité du projet le cas échéant, quartier prioritaire ou non en vertu de la politique de la ville, etc.) devraient être utilisés, car par définition les interpellations citoyennes ne peuvent venir que d’en bas et ce serait museler la société civile et la démocratie que de prétendre fixer d’en haut les orientations que l’on devrait suivre. D’une certaine manière, ce serait tomber de nouveau dans le piège de la représentation, et d’une représentation dépourvue de la légitimité politique du suffrage universel…
En revanche peut tout à fait être retenue l’interprétation de Marie-Hélène Bacqué selon laquelle « L’idée n’est bien sûr pas d’imposer une orientation d’en haut mais d’avoir un lieu de débat et d’évaluation plus large que l’instance de gestion et de décision du fonds ». Dès lors que ce comité d’orientation est une instance de réflexion et non de décision sur le contenu et la nature des interpellations pouvant être financées, son existence est tout à fait acceptable.
C’est donc sous cette réserve que nous soutenons ce projet qui nous semble aller dans le sens du renforcement du pouvoir citoyen, qui est un objectif politique souhaitable.
Romain Rambaud