Ainsi que nous l’avions écrit sur ce blog précédemment, nous arrivons au bout du processus parlementaire concernant l’adoption de la proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle (article de blog) et de la proposition de loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections (article de blog).
Le Conseil constitutionnel a rendu le jeudi 21 avril ses deux décisions sur chacune de ses lois, la première sur saisine du Premier ministre en vertu de la règle de saisine obligatoire des lois organiques (article 61 al 1 de la Constitution) et la seconde sur saisine facultative du Premier ministre (article 61 al 2 de la Constitution).
Le Conseil constitutionnel a validé ces deux lois. Tout ce qui est dit rapidement ci-dessous ne vaut que sous réserve de recherches plus approfondies et dans l’attente du travail de fond opéré à l’AJDA comme dit précédemment.
Il en ressort que ces deux décisions du Conseil constitutionnel sont fondamentales non seulement parce qu’elles valident cette nouvelle procédure électorale, mais peut-être surtout en tant qu’elles viennent acter de l’insertion de la « démocratie continue » (D. Rousseau) dans le droit électoral français, évolution que nous avons constatée et aussi défendue à de nombreuses reprises dans nos articles précédents, sur ce blog ou dans nos autres travaux académiques.
La décision n° 2016-729 DC du 21 avril 2016, Loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle
Le Conseil constitutionnel, en la présence de Valéry Giscard d’Estaing, a considéré que « sous la réserve énoncée au considérant 6, la loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle est conforme à la Constitution ». La loi est donc déclarée conforme avec une réserve d’interprétation purement technique et anecdotique.
La constitutionnalité du système de présentation des candidats
Sur la présentation des candidats, le Conseil constitutionnel valide tout d’abord la mise à jour des personnes susceptibles de faire une présentation, la loi ayant intégré les membres du conseil de la métropole de Lyon, les maires délégués des communes déléguées, les maires des arrondissements de Paris ainsi que les présidents des organes délibérants des métropoles. Le Conseil considère ici que « le législateur organique a étendu le droit de présentation des candidats à l’élection du Président de la République dans des conditions qui ne méconnaissent pas le principe d’égalité » et donc que ces dispositions sont conformes à la Constitution.
Le Conseil s’intéresse ensuite aux nouvelles règles d’envoi des présentations au Conseil, exigeant des présentations directes par les présentateurs et non par les candidats. Pour le Conseil « ces règles nouvelles font suite aux observations susvisées du Conseil constitutionnel » : la présentation d’un candidat, rédigée sur un formulaire et revêtue de la signature de son auteur, doit être adressée au Conseil constitutionnel par voie postale, dans une enveloppe prévue à cet effet, ou par voie électronique. Le Conseil ne constate pas de problème de constitutionnalité sur ce point mais émet tout de même une réserve d’interprétation technique : « les dispositions de l’article 2 ne sauraient avoir pour objet ou pour effet, sans méconnaître le principe d’égalité entre candidats, de faire obstacle à ce que, saisi par des personnes habilitées à présenter des candidats à l’élection du Président de la République, le Conseil constitutionnel puisse prendre en considération des circonstances de force majeure ayant gravement affecté l’expédition et l’acheminement des présentations dans les jours précédant l’expiration du délai de présentation des candidats à l’élection du Président de la République ». Il s’agit donc bien d’une réserve d’interprétation anecdotique.
Enfin, s’agissant des modalités de publicité en continu des présentations deux fois par semaine et la publication au final du nom et de la qualité de l’ensemble des personnes ayant valablement proposé les candidats (et non plus de 500 tirés au sort), le Conseil considère que « ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution ». Comme il l’avait dit déjà dans la QPC Marine le Pen de 2012, la présentation n’est pas un suffrage et n’a donc pas vocation à rester secrète. Cette règle aura sans doute des effets politiques importants sur les petits candidats.
La constitutionnalité des règles relatives aux temps de parole
Point le plus contesté de la loi, les nouvelles règles relatives aux temps de parole sont jugées conformes à la Constitution au soutien de deux considérants de principe.
Le Conseil constitutionnel rappelle que deux fondements constitutionnels sont en jeu. D’une part, le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions qui est qualifié de « fondement de la démocratie » et qui résulte de l’article 4 de la Constitution en vertu duquel « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». D’autre part, le principe de la liberté d’expression posé à l’article 11 DDHC. Il en ressort la règle selon laquelle (cons. 12) « il appartient au législateur organique, compétent en vertu de l’article 6 de la Constitution pour fixer les règles concernant l’élection du Président de la République, de concilier l’exercice de la liberté de communication avec le principe de pluralisme des courants d’idées et d’opinions ».
Le Considérant de principe que rend alors le Conseil constitutionnel est fondamental en tant qu’il va très clairement dans le sens de la démocratie d’opinion continue à laquelle nous faisions référence dans notre article précédent et qui nous semble être le point d’ancrage théorique de cette nouvelle législation.
S’agissant de l’extension du principe de l’équité totale à ce qui était auparavant la période intermédiaire, le Conseil constitutionnel estime « qu’en prévoyant l’application du principe d’équité au traitement audiovisuel des candidats à l’élection du Président de la République pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu’à la veille du début de la campagne « officielle », le législateur organique a, d’une part, entendu favoriser, dans l’intérêt des citoyens, la clarté du débat électoral ; qu’il a entendu, d’autre part et dans le même but, accorder aux éditeurs de services de communication audiovisuelle une liberté accrue dans le traitement de l’information en période électorale, qui ne saurait remettre en cause les principes fixés par le législateur et dont l’application relève du conseil supérieur de l’audiovisuel ; que, si ces éditeurs conservent un rôle déterminant de diffusion de l’information à destination des citoyens en période électorale, leur diversité a été renforcée ; qu’il existe en outre d’autres modes de diffusion qui contribuent à l’ information des citoyens en période électorale sans relever de réglementations identiques ; que, compte tenu de ces évolutions, en adoptant les dispositions de l’article 4 de la loi organique, le législateur a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles de pluralisme des courants d’idées et d’opinions et de liberté de communication ». Cette règle nouvelle est donc conforme à la Constitution.
Le plus essentiel est la motivation de la décision, qui va dans le sens de cette démocratie d’opinion continue à la fois pour les électeurs et les médias.
Pour les électeurs, le Conseil constitutionnel met en avant l’idée de « clarté du débat électoral dans l’intérêt des citoyens ». C’est sans doute le point le moins clair et plus discutable de la décision, qui devra faire l’objet de plus de recherches. C’est pourtant celui qui justifie le plus la solution. En effet la différence de traitement ( hors période de la campagne « officielle ») qui est faite entre les candidats qui sont pourtant dans une situation identique, est jugée conforme à la Constitution car cette différence de traitement est « en rapport direct avec l’objet de la loi qui est de prendre en compte l’importance relative des candidats dans le débat public » et « justifiée par le motif d’intérêt général de clarté du débat électoral » (§14). Cette notion de clarté du débat électoral se retrouve au coeur de la décision du Conseil. Il en résulte que ces règles ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant le suffrage qui découle de l’article 3 de la Constitution et de l’article 6 de la Déclaration de 1789.
Pour les médias, qui bénéficient aussi de la liberté d’expression par principe, le Conseil met en avant la volonté de leur donner une plus grande liberté sous le contrôle du CSA, point fondamental dans le cadre d’une démocratie d’opinion renforcée. Par ailleurs, le Conseil considère, et c’est un point sur lequel nous insistons également depuis longtemps dans nos différents écrits, qu’une démocratie d’opinion pluraliste est aujourd’hui facilitée, et la régulation étroite rendue moins nécessaire, par le fait que la télévision a un peu perdu de sa spécificité du point de vue de l’obligation de pluralisme interne (laquelle ne s’applique pas à la presse écrite) dans le sens où sa caractéristique fondamentale de rareté doit être relativisée. D’une part parce qu’il y a plus de chaînes (« si ces éditeurs conservent un rôle déterminant de diffusion de l’information à destination des citoyens en période électorale, leur diversité a été renforcée »), d’autre part parce qu’à côté de la télévision il y a d’autres médias non soumis au principe de pluralisme internes (« d’autres modes de diffusion qui contribuent à l’ information des citoyens en période électorale sans relever de réglementations identiques ») comme la presse ou les réseaux sociaux notamment. Sur ce point la décision semble bien argumentée, même si un contrôle de l’équité à la télévision reste nécessaire au sens où elle reste le média privilégié des campagnes électorales.
Enfin le Conseil constitutionnel se prononce en faveur des critères de l’équité, de façon extrêmement significative puisque jusqu’à présent seul le Conseil d’Etat s’était positionné. Il considère ainsi que « les critères de « la représentativité des candidats » et de « la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral » introduits au paragraphe I bis de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 sont de nature à permettre d’assurer un traitement équitable des candidats à l’élection du Président de la République ». Ce point est absolument fondamental car le Conseil constitutionnel insère ainsi, suivant en cela l’évolution opérée en 2008 dans l’article 4 de la Constitution, le concept de « traitement équitable des candidats », lequel traduit un bouleversement (relatif) dans la pensée française de la campagne électorale en faveur de la démocratie d’opinion continue. C’est ainsi la première fois à notre connaissance qu’il fait produire une conséquence concrète à cette évolution, après les QPC Le Pen (2012) et Bompard (2014), et dans le sens de la démocratie d’opinion continue. C’est un point fondamental pour la recherche.
Il considère enfin que le législateur organique n’a pas méconnu sa compétence dans la mesure où « les mesures arrêtées par le conseil supérieur de l’audiovisuel, qui ne sauraient ajouter d’autres critères ou conditions à ceux relevant de la loi organique, sont soumises à l’avis préalable du Conseil constitutionnel et, le cas échéant, au contrôle du juge de l’excès de pouvoir ». Le CSA sera donc regardé de près.
La constitutionnalité des règles de contrôle des dépenses électorales
Comme nous l’avions expliqué dans notre article et comme le dit le Conseil constitutionnel (cons. 17), « l’article 6 maintient, pour l’élection du Président de la République, compte tenu des modifications apportées à l’article L. 52-4 du code électoral par la loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections susvisée, la règle selon laquelle le mandataire recueille, pendant l’année précédant le premier jour du mois de l’élection et jusqu’à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne et règle les dépenses engagées en vue de l’élection ».
Par ailleurs, l’article 7 renforce le contrôle de la CNCCFP en imposant la présentation d’une annexe au compte de campagne de tout candidat à l’élection du Président de la République détaillant les dépenses exposées par chacun des partis et groupements politiques qui lui apportent leur soutien ainsi que les avantages directs ou indirects, prestations de services et dons en nature qu’ils lui fournissent et prévoie la publication de cette annexe avec le compte de campagne, et confère à la CNCCFP le pouvoir de demander communication des pièces comptables et des justificatifs nécessaires pour apprécier l’exactitude de cette nouvelle annexe. Il s’agit bien sûr ici de répondre à l’affaire Bygmalion.
Le Conseil constitutionnel considère bien heureusement que « les dispositions des articles 6 et 7 ne sont pas contraires à la Constitution ». Notamment, il précise et c’est fondamental que « ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de la liberté d’activité des partis politiques », c’est à dire l’article 4 de la Constitution. De quoi nuancer fort heureusement, et il faudra aller plus loin, le soi-disant sacro-saint principe de liberté des partis politiques. Cette décision révèle ainsi que, pas plus que les autres principes constitutionnels, il ne peut consacrer une liberté absolue faisant fi des principes démocratiques élémentaires.
La constitutionnalité des autres règles
Enfin le Conseil consacre la constitutionnalité des autres règles prévues par cette loi, notamment la suppression de l’application à l’élection du Président de la République des dispositions de l’article L. 85-1 du code électoral relatives aux commissions de contrôle des opérations de vote dans les communes de plus de 20 000 habitants ou la modification des horaires du scrutin pour l’élection du Président de la République avec une fermeture de principe à 19h. Nous renvoyons sur ce point à notre article précédent.
La décision n° 2016-730 DC du 21 avril 2016, Loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections
Enfin le Conseil constitutionnel valide la proposition de loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections sur laquelle nous avons aussi écrit précédemment.
La décision est cependant moins intéressante dans la mesure où la saisine du Premier ministre était une saisine blanche. Le Conseil ne se prononce que sur la validité de la procédure parlementaire et de l’insertion des amendements ayant permis de réduire à 6 mois le délai d’imputation des dépenses électorales aux comptes de campagne pour les élections autres que la présidentielle et ayant permis la modification de la loi sur les sondages électoraux. Le Conseil constitutionnel considère que ces deux amendements avaient bien un rapport avec la proposition de loi initiale et que la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.
Enfin le Conseil constitutionnel estime « qu’au demeurant, aucun autre motif particulier d’inconstitutionnalité ne ressort des travaux parlementaires ; qu’il n’y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, d’examiner spécialement des dispositions de la loi déférée d’office« .
Conclusion
Les propositions de loi de modernisation électorale ont donc été validées avec force et la France connaîtra demain une nouvelle procédure électorale pour l’élection présidentielle. Mais surtout, ce qu’il faut retenir de ces décisions, c’est la consécration de la démocratie d’opinion continue en droit électoral par le Conseil constitutionnel. Alors que celle-ci émergeait par petites touches progressivement (modification de l’article 4 de la Constitution en 2008, droit des sondages électoraux, primaires ouvertes et leur impact sur le contrôle des dépenses électorales), voilà qu’elle fait son entrée par la grande porte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La France n’a donc pas seulement une nouvelle élection présidentielle. Elle a aujourd’hui un nouveau droit électoral, et sur ce point cette décision est sans aucun doute une grande décision du Conseil constitutionnel. Cette évolution n’a pas encore produit tous ses effets… nous prenons les paris !
A suivre !
Romain Rambaud