Elections municipales : vers une loi spéciale de report ? [R. Rambaud]

Depuis hier soir et ce matin, la question est sur toutes les lèvres : et maintenant ? Le ministre de la santé et le Premier Ministre ont indiqué que toutes les options étaient ouvertes concernant le second tour des élections municipales… que pourrait-il désormais se passer ? C’est à cette question que les médias s’attellent désormais.

La solution à venir n’est pas établie : elle dépendra du consensus politique ou, à défaut, d’une décision du Président et du Gouvernement

Tout d’abord, il faut souligner que le code électoral ne prévoit rien pour faire face à cette situation aussi exceptionnelle, qui pourrait être qualifiée, si des mesures supplémentaires devaient être décidées sur le plan sanitaire et au regard de la situation d’abstention qui reste importante, de « circonstances exceptionnelles ». Dans sa décision de 1973 relative à une élection législative à la Réunion que nous avions citée déjà au tout début de la crise et ayant admis le report d’une élection législative pour cause de cyclone, le Conseil constitutionnel s’en était d’ailleurs explicitement plaint, considérant « qu’il est (…) regrettable que la loi n’ait pas prévu l’autorité compétente pour tirer les conséquences de circonstances exceptionnelles de la nature de celles qui sont survenues à la Réunion les 10 et 11 mars 1973 ». On en voit aujourd’hui les conséquences.

C’est la raison pour laquelle toutes les options sont à ce stade sur la table, la question se posant du maintien de ces élections, du report du second tour, etc. Toutes les solutions sont donc possibles : il faudrait adopter très rapidement une loi, sur la base d’un consensus, pour éviter l’hypothèse désastreuse d’un report par décret, car ce décret serait nécessairement illégal (élections générales prévues en mars, délai de trois mois nécessaire entre l’adoption du décret de convocation et l’organisation des élections, délai d’une semaine prévu par le code électoral dans l’entre-deux tours), ce qui poserait la délicate question de l’invocation des circonstances exceptionnelles, même si on peut penser qu’elles seront considérées comme réunies si des mesures sanitaires supplémentaires sont prises. Il faudrait en effet que le Conseil d’Etat décide de s’opposer à cette analyse en pleine crise sanitaire, ce qui semble peu probable.

Ainsi, la loi applicable n’a pas encore été trouvée : il faudrait que le Parlement adopte, dans les jours qui viennent, une loi spéciale pour gérer la situation au mieux. De ce point de vue, il n’est pas nécessaire que tous les parlementaires soient présents, si certains sont en confinement : il suffira que des parlementaires non malades votent la loi. Par ailleurs, faut-il craindre un contrôle du Conseil constitutionnel ? A priori, celui-ci ne serait pas saisi et, a posteriori, on peut penser que le Conseil constitutionnel considérerait classiquement ne pas avoir « le même pouvoir d’appréciation que le Parlement » d’une part, et qu’il existe des motifs d’intérêt général et des circonstances exceptionnels suffisants.

Plusieurs questions sont dès lors posées :

Les élections acquises au 1er tour doivent-elles être annulées ?

Sur ce point, il nous semble que le fait que les pouvoirs publics et les partis politiques tendent à minimiser l’abstention est un bon indice de ce qu’il risque de se produire. En effet, si les élections devaient être reportées, ce serait pour des risques sanitaires, qui ne sont pas considérés par la classe politique comme ayant atteint suffisamment le premier tour. Dès lors, si les élections sont acquises (même si elles ne sont pas totalement « définitives » au sens du contentieux électoral), il n’y a pas lieu d’adopter une loi rétroactive qui viendrait les remettre en cause, d’autant que le droit de suffrage est fondamental et doit être préservé. Le maintien de ces élections est en effet le principe dans ce cadre, et non une exception. Par ailleurs, il y aurait une différence de situation objective, au regard de la situation des élections et de la crise sanitaire.

Cette situation concerne en effet un très grand nombre de communes et d’élus, la France ne se réduisant pas aux grandes villes, beaucoup de communes connaissant une seule liste ou deux listes, les élections étant alors acquises au premier tour. Sur ce point, la question de l’abstention pourrait être posée, mais ce n’est pas la ligne semble-t-il pour l’instant du Gouvernement, qui a choisi de la minimiser.

Bien entendu, cette solution ne sera pas sans poser de nombreux problèmes, car créant deux catégories d’élus. Il faudrait aussi que les conseils municipaux puissent se tenir très rapidement et selon des conditions peut-être aménagées pour élire les maires.

Faut-il reporter le second tour ou tout recommencer ?

Dans les communes où l’élection n’a pas été acquise au 1er tour, pourra-t-on se contenter de reporter le 2nd tour en gardant les résultats du 1Er (c’est à dire en somme les listes ayant fait 10% des suffrages exprimés, avec la question de savoir ce que l’on fait des listes entre 5 et 10 % ayant vocation à fusionner) ou si l’on recommence tout.

Tout dépend sans doute de la date de ce report. Sur ce point, il faudra concilier les préoccupations sanitaires et les préoccupations politiques. Le mois de juin, par exemple, semble potentiellement valable pour conserver les résultats du premier tour (et encore faut-il examiner dans le détail ce point, car il n’y aurait guère de campagne électorale…), mais il semble trop proche sur le volet de l’épidémie. Le mois de septembre, au contraire, semble meilleur sur le plan de l’épidémie mais trop lointain pour conserver les résultats du premier tour…. quant au mois de mars 2021, il semble très lointain, et poserait sans doute des difficultés au niveau des sénatoriales (qu’il faudrait aussi reporter, les sénateurs devant être élus par des conseils municipaux renouvelés).

Aussi, le Conseil constitutionnel pourrait considérer qu’un report trop lointain avec conservation des résultats du premier tour pourrait affecter la sincérité du scrutin, qui est en principe constitutionnel. Cependant là aussi, il y aurait sans doute une auto-limitation de ce dernier, associée au risque politique de la censure.

En somme, il faut espérer que la classe politique aboutisse à un consensus raisonnable fondé avant tout chose sur les préoccupations sanitaires et non sur les considérations politiques, c’est à dire le succès obtenu ou non au 1er tour des élections municipales… Il n’est plus temps de polémiquer pour savoir qui est responsable de quoi, il faut désormais que l’intérêt général domine les débats.

Que faire pour les finances électorales ?

Concernant l’aspect financier, le fait que le 1er tour se soit tenu simplifie considérablement les choses, puisque nous avons des résultats. Il serait donc tout à fait possible de rembourser les candidats ayant obtenu plus de 5% des suffrages exprimés de leur propagande officielle. De la même manière, pour les communes avec des comptes de campagne, il serait possible de solder ces comptes en tenant aussi compte des résultats des candidats. Il va de soit qu’il faudrait les rembourser : dans la mesure où en France l’apport personnel est déterminant, toute autre solution conduirait à une ruine illégitime de beaucoup de Français. La loi devra le prévoir.

Conclusion

Il reste que, à ce stade, tout cela est de la politique fiction. Il se dit qu’Emmanuel Macron parlera ce soir à 20h…

Romain Rambaud