(Chers lecteurs, la coutume étant installée, c’est avec joie que Jean-Pierre Grandemange annonce pour la première fois sur ce blog la parution d’un de ses articles (LPA, 14 novembre 2014, p. 9 et s.) dont vous trouvez ici le résumé)
Le 20 juin dernier, le Conseil constitutionnel a censuré le paragraphe I de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales (Cons. const, 20 juin 2014, Commune de Salbris, n° 2014-405 QPC). Ce texte permettait à une majorité qualifiée de communes (les deux tiers au moins des conseils municipaux des communes intéressées représentant la moitié de la population totale de celles-ci ou la moitié des conseils municipaux des communes intéressés représentant les deux tiers de la population totale) membres d’une communauté de communes ou d’une communauté d’agglomération de répartir les sièges de l’organe délibérant communautaire autrement qu’en application d’une proportionnelle à la plus forte moyenne.
Certes, il était également précisé que cette répartition devait se faire en tenant « compte de la population de chaque commune », mais la formule n’était guère contraignante. C’est ainsi que la commune requérante ne s’était vu attribuer que 7 sièges sur 27, alors que l’application de la proportionnelle à la plus forte moyenne lui aurait permis de bénéficier de 13 sièges.
C’est donc fort logiquement que le juge constitutionnel a jugé cette disposition législative contraire à la Constitution en ce qu’elle permettait « qu’il soit dérogé au principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque commune membre de l’établissement public de coopération intercommunale dans une mesure qui est manifestement disproportionnée » (considérant 6).
Pour éviter « la remise en cause immédiate de la répartition des sièges dans l’ensemble des communautés de communes et des communautés d’agglomération où elle a été réalisée avant la publication de la présente décision en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution » (considérant 9), le juge constitutionnel avait, par ailleurs, fait usage du pouvoir dont il dispose, en vertu du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution, de différer (partiellement en l’espèce) dans le temps les effets de sa déclaration d’inconstitutionnalité.
Toutes les communautés de communes et d’agglomération qui avaient fait usage ce texte n’étaient donc pas tenues de procéder immédiatement à une nouvelle répartition des sièges de leur organe délibérant en appliquant la proportionnelle à la plus forte moyenne, mais cette obligation concernait, notamment, toutes celles dont les élections de l’une de leurs communes membre serait annulée.
Commentant cette décision (« Répartition des sièges entre les intercommunalités : Finis les petits arrangements entre amis ? », LPA, 14 novembre 2014, p. 9 et s.), j’avais souligné que le Haut conseil aurait pu éviter cette obligation à nombre d’intercommunalités en neutralisant l’inconstitutionnalité du paragraphe I de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales par le biais d’une réserve d’interprétation constructive. En effet, ce qui est contraire à la Constitution, c’est la possibilité « qu’il soit dérogé au principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque commune membre de l’établissement public de coopération intercommunale dans une mesure qui est manifestement disproportionnée », pas la faculté de répartir les sièges de conseils communautaires autrement qu’en application de la proportionnelle à la plus forte moyenne.
Ainsi, dans la décision n° 2010-608 DC du 9 décembre 2010, il a été jugé contraire au principe d’égalité devant le suffrage que dans certaines régions le nombre de conseillers territoriaux attribués à certains départements se soit écarté de la moyenne régionale « dans une mesure qui est manifestement disproportionnée » (considérant 41). Or ce qui, en l’espèce, avait été jugé comme étant « manifestement disproportionné » c’est un écart de plus de 20% par rapport à la moyenne régionale.
Dans ces conditions, il me semblait que le juge constitutionnel aurait pu juger que n’étaient contraires au principe d’égalité devant le suffrage que les répartitions de sièges réalisées autrement qu’en application de la proportionnelle à la plus forte moyenne et « en application desquelles la représentation de certaines communes s’écarterait de plus de 20% par rapport à la moyenne globale de l’intercommunalité ».
Le Conseil constitutionnel ayant choisi la voie de la censure, la fin de la possibilité de répartir les sièges des conseils communautaires autrement que de façon automatique a suscité une réaction de la part de certains sénateurs, soucieux de jouer pleinement leur rôle de représentants des collectivités territoriales.
Une proposition de loi, présentée par messieurs Alain RICHARD et Jean-Pierre SUEUR, et enregistrée à la présidence du Sénat le 24 juillet dernier, vise ainsi à permettre aux élus locaux de pouvoir, à nouveau, déterminer librement la répartition des sièges au sein des conseils communautaires, mais en tenant compte, cette fois-ci, de la jurisprudence constitutionnelle. Une commune ne pourrait obtenir une représentation supérieure de plus d’un siège, ni voir sa proportion de sièges dans cet organe délibérant baisser de plus d’un cinquième, par rapport à celle qui aurait été la sienne si l’on avait appliqué la proportionnelle à la plus forte moyenne.
Adopté par le Sénat le 22 octobre, ce texte est actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale. S’il parvient au bout du processus législatif en l’état, la Commune de Salbris n’aura plus forcément droit à 13 sièges, au sein du conseil de la communauté de communes de la Sologne des Rivières, mais elle en disposera de 11 au minimum.
Jean-Pierre Grandemange