Est-il encore possible de changer les règles des élections de 2022 ? [R. Rambaud]

Est-il encore possible de changer les règles des élections de 2022 ? C’était le thème du débat du jour de Radio France Internationale du 3 mars 2021 avec Guillaume Naudin, émission où l’auteur de ces lignes a été invité avec les politologues Olivier Rouquan et Jérôme Sainte-Marie.

Vous trouverez ci-dessous le podcast de l’émission que vous pourrez aussi trouver sur le site de RFI.

Bien entendu, la question de savoir s’il est encore possible de changer les règles des élections de 2022 dépend de paramètres à la fois politiques et juridiques. Blog de droit électoral oblige, on se concentrera ci-dessous essentiellement sur l’aspect juridique des choses, en distinguant l’élection présidentielle et les élections législatives. On y démontre que le sort de cette question dépend du système de proportionnelle qui est envisagé et in fine, bien plus de considérations politiques que de considérations juridiques.

L’élection présidentielle

Concernant l’élection du Président de la République, il faut tout d’abord relever la spécificité de celle-ci sur le plan juridique : elle est en effet régie par la loi du 6 novembre 1962, ayant valeur organique, que l’on change à chaque élection présidentielle en raison du phénomène de cristallisation des dispositions applicables à la seule élection présidentielle. Son droit électoral est donc un droit électoral spécial.

Or, de ce point de vue, le nouveau projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République est presque adopté, puisque le texte a été adopté au stade de la CMP (commission mixte paritaire), qui a été conclusive.

Initialement, il s’agissait d’un texte technique d’adaptation (règles de convocation, droit de vote des personnes détenues, règles sur le financement de la campagne, etc.) et non un texte politique. Il l’est devenu lorsque que le Gouvernement a proposé un amendement visant à mettre en place le vote anticipé par machines à voter pour la présidentielle, qui a été rejeté par le Sénat de manière très nette par 321 voix contre 23. Le rejet de cet amendement signifie qu’il ne pourra plus être discuté dans le cadre de cette loi organique et le texte de la CMP ne fait effectivement pas référence à un tel dispositif.

Cela signifie donc qu’à ce stade, pour l’élection présidentielle, les choses semblent terminées. Cependant, il est possible d’imaginer, même si cela serait assez inhabituel, qu’une autre loi organique soit proposée d’ici l’élection présidentielle afin de proposer une modalité alternative de vote plus réfléchie et qui fasse consensus, comme un vote anticipé par exemple, afin de faire face à la situation sanitaire notamment. Il faudrait alors réfléchir à un dispositif de façon plus collective et de façon plus sereine. On soulignera au passage que la loi de 1962 ne fait pas référence à l’article L567-1 A du code électoral empêchant en principe la modification du système électoral dans l’année qui précède le scrutin, et sur lequel on reviendra…

Parmi les très nombreuses hypothèses possibles auxquelles on avait fait référence dans un article précédent (s’agissait-il de céder à la pression de ceux qui souhaitaient une évolution ? d’adapter le droit électoral à la Covid faute de choix ? d’une manœuvre pour montrer que le Gouvernement tente quelque chose et que le Sénat s’y opposera, puisque le Sénat avait complètement exclu cette idée dans son rapport de décembre ? d’autoriser sincèrement une adaptation pour permettre une bonne participation lors de cette élection présidentielle, alors que les élections départementales et régionales auront été ‘enjambées’ d’ici là ?), on pourrait imaginer que le Gouvernement souhaitait prendre date pour se réserver cette possibilité au cas où dans l’avenir.

Bien sûr, en vertu du principe de stabilité du droit électoral (qui constitue aussi un standard international) et pour des raisons politiques, l’hypothèse sera rendue de plus en plus difficile à mesure que l’élection du Président de la République se rapprochera, mais sur le plan juridique cela pourrait être envisagé. Sur ce point, il existe deux paradigmes : la participation et l’adaptation à la crise sanitaire. Concernant la crise sanitaire, la France n’a presque rien fait pour s’adapter et est incontestablement une mauvaise élève, là où le vote par anticipation a été utilisé avec succès par exemple en Corée du Sud, aux Etats-Unis ou au Portugal…

Sur ce point, la méthode discutable du Gouvernement (un amendement introduit au Sénat) a été dommageable car la question de fond aurait sans doute mérité mieux que le débat auquel elle a eu droit.

Les élections législatives

Sur ce point, les considérations juridiques et politiques doivent être distinguées. Sur le plan juridique, modifier le mode de scrutin des élections législatives semble possible même si cela dépend en réalité, en termes de faisabilité, du choix de mode de scrutin à la proportionnelle qui serait effectué. Sur le plan politique, les choses sont incertaines.

Le mode de scrutin des élections législatives : une loi ordinaire

Sur le plan juridique, la première chose à souligner est que le mode de scrutin des élections législatives dépend d’une loi ordinaire (L. 123 à L. 126 du code électoral). Cela ne suppose donc ni une révision de la Constitution, ni une loi organique si on ne change pas le nombre de parlementaires. Une telle loi, même dans l’hypothèse où le Sénat s’y opposerait, pourrait être adoptée en dernière lecture par l’Assemblée Nationale… comme cela fut le cas précisément à propos de la loi du 10 juillet 1985 ayant mis en place la proportionnelle pour les élections législatives de 1986, dont l’adoption avait déjà été refusée par le Sénat à l’époque.

La non-modification du mode de scrutin dans l’année qui précède l’élection : une règle en réalité très peu contraignante

Sur ce point, la règle selon laquelle cela devrait être fait rapidement parce qu’on ne pourrait pas modifier un mode de scrutin dans l’année qui précède le scrutin – à laquelle il est régulièrement fait référence – est à relativiser très largement.

Il est vrai que cette règle existe depuis une loi de décembre 2019 dans le code électoral, à l’article L567-1 A selon lequel « Il ne peut être procédé à une modification du régime électoral ou du périmètre des circonscriptions dans l’année qui précède le premier tour d’un scrutin ». Cependant, c’est une règle qui n’a qu’une valeur législative et elle peut être défaite pour une autre loi : il suffirait ainsi d’écrire « par dérogation à l’article L. 567-1 A du code électoral » en modifiant le mode de scrutin et la chose serait réglée, le Conseil constitutionnel ayant par ailleurs refusé d’ériger ce principe en règle constitutionnelle en 2008. Une loi peut donc défaire ce principe et une loi pourrait être adoptée dans les mois qui viennent sans obstacle.

On parle parfois à ce propos de « tradition républicaine » mais cette tradition n’existe pas vraiment. Ainsi en juillet 1985 la proportionnelle a été mise en place pour les élections législatives de mars 1986, le projet de loi ayant été déposé en avril 1985. En mars 2001, une loi organique était adoptée pour reporter les élections législatives de mars 2002 à juin 2002, produisant l’inversion du calendrier électoral. Plus récemment, les élections municipales de mars 2014 ont vu leur régime modifié par les lois de mai 2013, et les élections européennes de mai 2019 ont été modifiées en juin 2018… Sur le plan juridique, c’est donc tout à fait possible sur le principe.

Une faisabilité dépendant cependant du système de proportionnelle choisi

La modification du mode de scrutin peut cependant poser plus ou moins de difficultés pratiques et juridiques en fonction de ce que l’on fait exactement, notamment quant à la question de savoir s’il faut ou non redécouper l’intégralité des circonscriptions législatives, et dans une moindre mesure s’il faut modifier le nombre de députés par département.

Dans ce cas, il faudrait réunir la Commission prévue par l’article 25 de la Constitution composée de personnalités qualifiées et de magistrats (il faudrait d’ailleurs en trouver les membres…) qui doit donner un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs. Si le changement potentiel du nombre de députés par département, même si elle exige l’avis de la commission de l’article 25, pourrait être réalisé rapidement, la solution est inverse dans l’hypothèse où il faudrait procéder au redécoupage des circonscriptions. En effet, un tel redécoupage, même par ordonnances, prendrait beaucoup trop de temps alors que le principe de stabilité du droit électoral implique que plus on se rapproche du scrutin, moins il est possible juridiquement et politiquement de changer ces paramètres. Un changement des circonscriptions par ordonnances dans l’année qui précède les scrutins serait probablement très mal perçu et source de nombreuses discussions… plus ou moins bien orientées.

Tout dépend donc du système que l’on souhaite mettre en place : système mixte avec une dose de proportionnelle, proportionnelle intégrale avec des circonscriptions ou non (avec modification ou non du nombre de députés par départements), proportionnelle avec prime majoritaire, etc. Plus le système implique de modifier ces paramètres, plus sa mise en place serait complexe sur le plan temporel.

Le système de la dose de proportionnelle voulu par les projets de loi constitutionnelle, organique et ordinaire pour un renouveau de la vie démocratique d’août 2019 proposés par Emmanuel Macron impliquerait un trop grand changement : cette réforme visait notamment à diminuer le nombre de parlementaires (433 députés, 261 sénateurs) et à instituer une dose de proportionnalité à l’Assemblée Nationale de 20 % (87 députés). Elle supposerait donc de refaire toutes les circonscriptions législatives et cela semble impossible dans le temps imparti.

Cependant, un système ne supposant pas un tel bouleversement serait davantage envisageable. C’est probablement de cette manière qu’il faut aussi voir les propositions de loi de Patrick Mignola (Modem) : le 9 février, ce dernier avait déposé une proposition de loi pour introduire une dose de proportionnelle, limitée aux départements de 12 députés ou plus (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Yvelines, Bouches-du-Rhône, Rhône, Gironde, Nord et Pas-de-Calais), soit un « taux de 22,5% d’élus à la proportionnelle » aux législatives de 2022, alors que pour les départements de 11 députés et moins, on resterait au système majoritaire avec les mêmes circonscriptions, ce qui éviterait des difficultés (mais pourrait poser certaines questions de constitutionnalité que le Conseil constitutionnel pourrait avoir à trancher). Dans une autre proposition de loi, le député a suggéré l’instauration d’une « proportionnelle intégrale » par département, par scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel, avec un changement du nombre de députés par départements, ce qui pourrait là aussi être envisagé en termes de faisabilité.

Les obstacles principaux : les paramètres et considérations politiques

Ainsi, sur le plan juridique, il ne semble pas, à condition de choisir un système de proportionnelle faisable, d’obstacles insurmontables. Les obstacles sont donc plutôt de nature politique :

La première question est celle de la volonté politique. S’il n’y a pas de volonté politique en ce sens, le projet ne pourrait guère avancer au regard du calendrier parlementaire. De ce point de vue, le Gouvernement peut souhaiter ne pas entrer dans une discussion pour laquelle il pourrait se faire accuser de manipulation, préférer d’autres sujets (la priorité n’étant pas aux modifications institutionnelles), et réserver le changement du mode de scrutin pour une promesse dans le cadre de l’élection présidentielle de 2022. A ce stade, l’inscription à l’ordre du jour de ces propositions ne semble pas du tout prioritaire, ce dossier n’étant pas en haut de la pile pour le Gouvernement.

La deuxième question est celle du consensus politique, qui pourrait être fort en réunissant la plupart des forces politiques, sauf probablement LR. La difficulté, ici, étant que LR domine le Sénat, et qu’ainsi cela pourrait conduire à des pratiques dilatoires au niveau de la chambre haute. Le mode de scrutin étant une loi ordinaire, l’obstacle n’est pas insurmontable (v. le précédent de 1985), mais cela pourrait poser des difficultés supplémentaires.

La troisième question est celle des détails du mode de scrutin à choisir. En effet, la question du choix du bon système de proportionnelle, selon des modalités compatibles avec le calendrier, pourrait être une question délicate faisant l’objet d’importants marchandages. Le Gouvernement pourrait souhaiter conserver à tout prix le système de la dose de proportionnelle prévu par la réforme de 2019, et non un système intégral ou distinguant les départements, auquel cas la réforme serait beaucoup plus difficilement envisageable. Le diable se nichant dans les détails, les difficultés pourraient redoubler, rendant difficile au final l’adoption d’un consensus suffisant, lequel semble cependant souhaitable pour une réforme de cette nature, en vertu là encore d’un standard international.

Conclusion

Si, à ce stade, le droit n’empêche pas définitivement la modification des règles des élections de 2022, les considérations politiques constituent des obstacles importants, selon les conceptions, les volontés et les arrière-pensées des uns et des autres. Le débat n’est pas terminé, mais comme souvent en matière électorale et comme il a été souvent vu sur ce blog, plus le temps passe, plus les perspectives de changement s’éloignent. Et force est de constater que le droit électoral français est, au demeurant, très conservateur.

Romain Rambaud