Les 4 et 5 septembre prochain aura lieu, au Sénat, une « conférence de consensus » sur le thème : « Faut -il financer la démocratie participative initiée par les citoyens ? Comment ? Pour quel projet ? ». Cette initiative s’inscrit dans la suite du rapport Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Cela ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires remis en juillet 2013 au ministre de la ville François Lamy par Marie-Hélène Baqué (professeure d’études urbaines à Paris 10) et Mohamed Mechmache (associatif, tête de liste EELV dans le 93 pour les régionales). Elle est organisée à l’initiative de la coordination des quartiers populaires Pas sans nous, qui s’est constituée à la suite du rapport (sur le fonctionnement de cette conférence de consensus, voir l’article précédent).
En vue de la participation à cette conférence dans la posture un peu particulière du « professeur de droit », vous trouverez ci-dessous le premier article de notre série dédiée à cette conférence. Celui-ci est consacré au contexte de la réflexion, présentant ainsi les enjeux du point de vue amont. Le prochain article sera consacré à l’enjeu aval, la mise en place de la politique d’Empowerment, tandis que les articles qui suivront viendront éclairer les propositions du rapport d’un point de vue juridique. Les développements qui suivent, bien sûr, n’engagent que leur auteur et en aucun cas la coordination.
La réflexion engagée se situe en effet selon nous dans un contexte particulier, et situé dans le temps : le constat que la réforme de la ville engagée par la loi Lamy en février 2014 a pris en compte certaines propositions des organisateurs de la conférence de consensus, mais a laissé de côté la question pourtant centrale de l’interpellation citoyenne, qui constitue le socle théorique du rapport (c’est la problématique de l’Empowerment, qui fera l’objet de l’article suivant).
La coordination « Pas sans nous » a donc des objectifs à la fois politiques et législatifs à faire valoir, n’ayant pas obtenu pleine satisfaction à l’époque : cette hypothèse semble confirmée par la pétition qu’a lancée la coordination sur Mediapart en avril 2014. Celle-ci compte aujourd’hui 1470 soutiens, et il ne lui manque que 30 sur le site de Mediapart…
Le rapport Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, Pour une réforme radicale de la politique de la ville
Dans sa lettre de mission du 15 janvier 2013 adressée à Mme Bacqué et à M. Mechmache, celui qui était alors le ministre délégué chargé de la ville, François Lamy, demandait notamment « comment développer le pouvoir d’agir des habitants des quartiers en expérimentant de nouvelles formes d’organisation collective avec un financement dédié, permettant une association plus formalisée des habitants aux processus d’élaboration des décisions, aux côtés des élus et les pouvoirs publics ? ». « Quels sont les outils, méthodes et dispositifs d’accompagnement à mettre en place dans les territoires pour garantir l’effectivité des démarches participatives et faire évoluer les pratiques professionnelles ? Quelles sont les ressources d’ores et déjà disponibles ? ».
Des réponses à ces questions ont été ont été proposées dans le rapport Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, Pour une réforme radicale de la politique de la ville, rapport de juillet 2013 publié en novembre 2014 par le commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), structure interministérielle créée en 2014. Ce rapport a fait un certain nombre de propositions, pour réformer la politique de la ville mais aussi au-delà. Il a fait partie des bases de réflexion à la loi Lamy, la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine (qui sera présent à la conférence de consensus).
Les auteurs du rapport ont isolé six « groupes-clefs » (p. 44) qui sont les suivants : (1) donner les moyens de l’interpellation citoyenne, (2) soutenir la création d’espaces citoyens et les reconnaître, (3) créer une fondation cogérée par les citoyens pour la solidarité sociale et créer les conditions du développement associatif, (4) faire des instances de la politique de la ville des structures de co-élaboration et de codécision, (5), un enjeu transversal : changer le regard sur les quartiers populaires, (6), une méthode : coélaborer, codécider, coformer.
Les propositions du rapport étaient les suivantes (p. 42 et s.) :
1. Donner les moyens de l’interpellation citoyenne. En effet, « si les discours sur la démocratie participative ont fleuri en France au cours des vingt dernières années, appelant au développement de nouvelles formes de participation des citoyens, seule la démocratie représentative reste financée, que ce soit sous forme du financement des partis politiques ou des représentants élus. La participation n’est financée que lorsqu’elle est initiée par les institutions. La proposition est d’inscrire véritablement un droit d’interpellation citoyenne comme une dimension à part entière du fonctionnement démocratique de la République, et pour cela de dégager les moyens humains et financiers favorisant sa mise en œuvre ». Plus précisément encore, la proposition est celle de la création d’un fonds (d’argent public) pour le droit d’interpellation citoyenne, qui serait géré par une autorité administrative indépendante.
2. Soutenir la création d’espaces citoyens et les reconnaître, financés par l’ACSé, dans le cadre des contrats de ville, avec la création de plateformes locales et d’une plateforme nationale.
3. Créer une fondation pour la solidarité sociale et favoriser le développement associatif, car « les associations demeurent fortement dépendantes des financements des collectivités territoriales et de l’Etat et elles sont parfois prises dans des logiques clientélistes ou partisanes ». Cette fondation serait cogérée par la puissance publique et les associations, pour donner des fonds, privés et publics, en fonction de critères précis.
4. Faire des instances de la politique de la ville des lieux de coélaboration et de codécision en profitant des contrats pour engager une démarche de co-construction dans le cadre de la politique de la ville, en mettant en place des dispositifs de co-décision pour la durée des contrats de ville, en assurant une représentation des citoyens dans tous les instances nationales de la politique de la ville, notamment les conseils d’administration de l’ACSé et de l’ANRU, ou dans le cadre d’une nouvelle entité nationale d’orientation de la politique de la ville, etc.
5. Favoriser un autre regard sur les quartiers populaires notamment par un certain nombre de procédés médiatiques et d’actions politiques et sociales.
6. Favoriser une nouvelle méthode de coproduction, de co-formation et d’évaluation par une nouvelle approche dans les services publics et notamment renouveler les approches de la police et de l’enseignement.
Or, parmi ces 6 groupes-clés, c’est le premier qui semble-t-il pose le plus de difficulté. On le constate en comparant les propositions qui ont été faites dans le rapport et les avancées législatives qui ont été produites par la loi Lamy.
L’influence partielle du rapport sur la loi Lamy
Ces différentes propositions ont eu un certain écho dans la loi Lamy, à savoir la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, au moins en théorie et sur les dispositifs juridiques adoptés… à l’exception de la première proposition !
Du point de vue philosophique, elle promeut l’association des citoyens aux décisions. L’article 1 énonce que la politique de la ville « s’inscrit dans une démarche de coconstruction avec les habitants, les associations et les acteurs économiques, s’appuyant notamment sur la mise en place de conseils citoyens, selon des modalités définies dans les contrats de ville, et sur la coformation ». Cette orientation de principe a pu être dénoncée dans le cadre du débat parlementaire par certains parlementaires, notamment un ancien ministre de la ville, M. Borloo, comme étant du « cobavardage » sans moyens adéquats. (Assemblée nationale, séance du 22 nov. 2013). Le rapporteur du Sénat a lui fait valoir la légitimité de la démocratie représentative, seule issue du suffrage universel : la « coconstruction n’est pas la codécision » et « il reviendra aux autorités issues du suffrage universel de prendre les décisions de puissance publique » (Sénat, rapport n° 250, 2013-2014) [cités par Jean-Philippe Brouant (AJDA 2014. 973, Notes sur la loi Lamy, LOI n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine].
Concrètement, c’est-à-dire juridiquement, l’amélioration de l’association des habitants à la politique de la ville se manifeste surtout sur quatre points, qui répondent au moins partiellement aux préoccupations soulevées par le rapport :
1. En premier lieu, l’instauration dans chaque quartier prioritaire de la politique de la ville d’un « conseil citoyen » en vertu de l’article 7 de la loi Lamy. Si l’on y retrouve classiquement les « représentants des associations et acteurs locaux », la loi innove en prévoyant également la présence « d’habitants tirés au sort dans le respect de la parité entre les femmes et les hommes ». Un certain nombre de précautions sont instaurées puisqu’un arrêté du ministre de la ville doit intervenir pour déterminer « les garanties de représentativité et d’autonomie des conseils citoyens » et que « la composition du conseil » doit être reconnue par le préfet. De même, la loi exige des conseils citoyens qu’ils exercent leur action en toute indépendance et qu’ils respectent notamment les valeurs de « laïcité et de neutralité », ce qui traduit une méfiance vis-à-vis de possibles revendications communautaristes (point qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec la problématique de l’Empowerment, nous y reviendrons). Le conseil citoyen doit être consulté au moment de la production du rapport annuel sur la politique de la ville prévu par l’article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales. Par ailleurs, l’article 7 de la loi précise que « des représentants du conseil citoyen participent à toutes les instances de pilotage du contrat de ville, y compris celles relatives aux projets de renouvellement urbain ». Les conseils citoyens peuvent éventuellement, si le maire le décide, se substituer aux conseils de quartier quand la commune est soumise à l’obligation de les créer (article 7.II). Cela va donc dans le sens de ce qui était proposé par le rapport. Certes, d’après le « cadre de référence élaboré par le ministère » les conseils citoyens peuvent élaborer et conduire des projets à leur initiative et certains fonds seront disponibles pour cela, mais cela devrait se faire dans le cadre du contrat de ville, et n’aura pas la même dimension que le fonds d’interpellation citoyenne envisagé par la coordination des « Pas sans nous ». Force est de constater sur ce point que la circulaire de mise en application de la loi n’est pas très engageante sur ce point.
2. En deuxième lieu, les habitants sont mieux associés à la gestion des contrats de ville : l’article 3 de la loi Lamy prévoit que « les habitants ainsi que des représentants des associations et des acteurs économiques sont associés à la définition, à la mise en oeuvre et à l’évaluation des projets de renouvellement urbain selon les modalités prévues dans les contrats de ville ». Cela correspond donc à la volonté d’associer en amont les habitants à la conclusion des contrats de ville comme cela était préconisé par le rapport.
3. En troisième lieu, l’article 9 de la loi Lamy invite le gouvernement à remettre un rapport sur la possibilité de création d’une fondation destinée à mobiliser des financements permettant l’accompagnement d’actions et de projets présentés par les habitants. Cet article prévoit que « Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard six mois après la promulgation de la présente loi, un rapport sur la possibilité de création d’une fondation destinée à mobiliser, au bénéfice des quartiers prioritaires, des financements permettant l’accompagnement d’actions et de projets présentés par leurs habitants en faveur de la cohésion sociale et dans le respect des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité. Le rapport s’attache notamment à préciser les missions de la structure, à déterminer la forme juridique la plus adaptée ainsi qu’à définir un mode de gouvernance permettant d’assurer son indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et d’assurer l’association des habitants à sa gestion. ». Il s’agit ici également de la reprise d’une proposition du rapport de la coordination « Pas sans nous ». Cependant, le rapport prévu par la loi n’est toujours pas prêt. Yannick Blanc, préfet du Val d’Oise et président de la Fonda, laboratoire d’idées du monde associatif, était chargé d’assurer la rédaction de ce rapport. Une note d’étape a été présentée le 9 mars. Mais depuis, alors que ce rapport était prévu pour le mois de septembre 2014, ce rapport ne semble toujours pas avoir été publié.
4. En quatrième lieu, l’article 4 de la loi fait obligation aux bailleurs sociaux d’informer les locataires et de mener une concertation avec leurs représentants pour toute opération d’amélioration ou de démolition-reconstruction dont un bilan doit être établi.
Le rapport a donc eu une influence concrète sur la loi Lamy… sauf dans son premier aspect, celui de l’interpellation citoyenne. Ainsi, au final, la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine donne le sentiment d’une réforme technique, d’ajustement d’outils existants, qui laisse en débat ou réflexion un certain nombre d’enjeux importants, et notamment celui de l’interpellation citoyenne. D’après Jean-Philippe Brouant (AJDA 2014. 973, Notes sur la loi Lamy, LOI n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine) : « On est loin semble-t-il des dispositifs d’empowerment développés aux Etats-Unis qui visent à s’appuyer sur les communautés pour renforcer le développement local dans les quartiers en difficultés ». C’est sans doute pour cette raison qu’une nouvelle conférence de consensus est organisée précisément sur ce sujet de l’interpellation citoyenne et de son financement.
En effet, le résultat du processus législatif a, à tort pour la « coordination pas sans nous », laissé de côté la problématique pourtant la plus fondamentale théoriquement et pratiquement, celle de l’Empowerment, et n’a donc pas produit le changement de société attendu. C’est cette notion d’ Empowerment, et de son implication dans le rapport, qui fera l’objet de l’article suivant dans ses dimensions théorique et pratique.
A suivre !
Romain Rambaud