Si les annonces du Premier ministre Jean Castex ont évidemment concerné à titre principal la crise sanitaire (transformation du passe sanitaire en passe vaccinal, modification de divers protocoles sanitaires, maintien de la rentrée scolaire pour des raisons sociales et sociétales, etc.), certains aspects de celles-ci pourront avoir un impact direct ou indirect sur la campagne présidentielle en cours. Bien entendu, la crise de la Covid-19 faisait déjà de cette élection une élection particulière (annulation du premier meeting de Valérie Pécresse, controverses autour de l’organisation du meeting d’Eric Zemmour…), et cela devrait se renforcer dans les semaines à venir.
Tout d’abord, alors que le maintien de l’élection présidentielle avait été confirmé par le Président de la République (des rumeurs sans fondement ayant conduit le Président de la République a le réaffirmer, toute solution contraire aurait dû au demeurant passer par une révision constitutionnelle), Jean Castex a annoncé que Gérald Darmanin va « sans doute » rassembler une commission d’organisation, afin de pallier les menaces que fait peser le Covid-19 sur le scrutin. Cette commission sera organisée sur le modèle de ce qui avait été fait « pour les élections régionales, cantonales, associant toutes les formations politiques ». Elle devrait permettre d’accorder tous les acteurs concernés « sur des règles qui soient évidemment protectrices par rapport à la situation sanitaire, mais qui tiennent compte de la spécificité de cette activité fondamentale, c’est-à-dire finalement de l’exercice de la démocratie ». La question se pose de savoir de ce point de vue si certains aménagements juridiques de la campagne électorale pourraient être envisagés (par exemple sur le déroulement de la campagne électorale), ce qui supposerait cependant un large consensus puisqu’il faudrait alors l’adoption d’une loi organique (la dernière loi en date est la loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République). Le Ministre de l’intérieur a dans l’attente demandé un rendez-vous au Conseil constitutionnel pour évoquer ces différents points.
Sur ce point, on ne peut pas s’attendre à de grandes modifications des modalités de vote, à une échéance si rapprochée du scrutin. Les procurations sont dores et déjà en train d’être facilitées (v. notamment le décret n° 2021-1739 du 22 décembre 2021 relatif à l’élection du Président de la République et le décret n° 2021-1740 du 22 décembre 2021 modifiant les dispositions du code électoral relatives au vote par procuration et portant diverses modifications du code électoral ; ainsi, il n’est plus obligatoire pour le mandant et le mandataire d’être inscrits dans la même commune et la télé-inscription sera encore facilitée). On insistera ici sur le fait que le Gouvernement pourtant avait anticipé dès le mois de février 2021 une éventuelle difficulté en proposant à l’époque un vote anticipé spécifiquement pour l’élection présidentielle, par voie d’amendement dans le projet de loi organique relatif à l’élection présidentielle, solution dont on s’était réjouit sur ce blog. Hélas, l’opposition sénatoriale de droite l’avait refusé. On peut regretter, comme on l’a déjà fait ici, que la mesure de l’impact de la Covid sur l’acte de vote n’ait pas été pris suffisamment en compte. Alors que le Gouvernement l’avait utilement anticipé, il est donc malheureux que l’opposition sénatoriale l’ait alors refusé. Il faut espérer que la participation électorale n’en sera pas trop affectée au mois d’avril prochain.
Ensuite, concernant les nouvelles jauges pour les grands rassemblements, le Premier Ministre a indiqué que celles-ci ne s’appliqueraient aux réunions politiques en application de la jurisprudence constitutionnelle. “Les activités politiques et électorales sont soumises à des dispositions spécifiques dans notre droit constitutionnel qui leur assurent (…) une protection encore plus forte, donc il est clair que les mesures que j’ai annoncées ce (lundi) soir ne concernent pas les meetings politiques”, a-t-il souligné. Malgré certaines polémiques sur les réseaux sociaux (il est regrettable, ici, que les articles ironisent), remettant en cause cette différence, il est clair en vertu de la jurisprudence constitutionnelle que les réunions politiques ont un statut juridique différent des réunions traditionnelles, en vertu de la protection particulière des libertés politiques, particulièrement importantes en démocratie. Dans sa décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, le Conseil constitutionnel avait indiqué que les mesurées prononcées dans le cadre du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire « peuvent intervenir en période électorale » mais que « la présentation du « passe sanitaire » ne peut être exigée pour l’accès aux bureaux de vote ou à des réunions et activités politiques ». Dans sa décision n° 2021-819 DC du 31 mai 2021 Loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, il avait estimé que « en permettant de subordonner l’accès des personnes à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes, le législateur a entendu limiter l’application des dispositions contestées aux cas où il est envisagé de mettre en présence simultanément un nombre important de personnes en un même lieu » mais que « la notion d’activité de loisirs, qui exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle, n’est ni imprécise ni ambiguë », position rappelée dans la décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021. L’annonce du Premier ministre Jean Castex est donc tout à fait conforme et guidée par la jurisprudence constitutionnelle, laquelle avait déjà indiquée que la liberté d’expression politique dispose d’une protection particulière (v. notamment la décision n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018 Loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information). Au demeurant, il est utile de rappeler ici les termes de l’article 4 de la Constitution, en vertu duquel « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ».
De son côté, le Conseil d’Etat a protégé les réunions politiques considérant qu’elles étaient exclues, en juin 2021 (v. CE, 11 juin 2021, n° 453236), des jauges alors prévues par les textes (à l’époque 10 ou 50 personnes).
La mise en place de jauges pour les meeting politiques (notamment des capacités d’accueil maximales) pourrait être analysée, en ligne avec ces jurisprudences, comme une atteinte excessive à la libre expression et réunion politique, particulièrement protégée, laquelle devrait permettre de décider soi-même des modalités de la réunion politique. Cependant, dans la mesure où les décisions du Conseil constitutionnel concernent, expressément en tout cas, le passe sanitaire et non seulement des jauges d’accueil (par exemple des taux d’occupation de salles sans maximum de personnes présentes), toute évolution n’est pas impossible, la situation étant imprévisible. Par ailleurs, dans sa décision précitée, si le Conseil d’Etat a protégé les réunions politiques en considérant qu’elles étaient exclues (v. CE, 11 juin 2021, n° 453236), des jauges alors prévues par les textes, il a cependant admis qu’un cadre était possible pour les réglementer dès lors qu’elles dépassaient à l’époque 50 personnes. La commission réunissant tous les partis politiques devraient donc avoir à rediscuter de l’ensemble de ces questions et trouver sur ces éléments des points de consensus. Ce sera un enjeu des consultations mises en place par le ministère de l’intérieur. On peut rappeler que la consultation des parties prenantes et la recherche d’un consensus, standard international, est un enseignement majeur de la crise de la covid-19 pour le droit électoral français.
Il en va de même du passe sanitaire (bientôt vaccinal), dont le régime juridique ne devrait pas être modifié sur ce point. Il en résulte un certain flou juridique, ainsi qu’une controverse juridique, laissant une marge de manœuvre aux forces politiques. En effet, si le pass sanitaire n’est pas prévu pour les meetings politiques, il n’est pas totalement interdit non plus de le demander : ce qui est explicitement interdit est de l' »exiger ». Or il faut en matière pénale privilégier le principe de l’interprétation stricte. Ainsi la loi d’août 2021 dispose que « Hors les cas prévus aux 1° et 2° du A du présent II, nul ne peut exiger d’une personne la présentation d’un résultat d’examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19″. Le Conseil constitutionnel l’a également indiqué dans sa décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, en vertu de laquelle « la présentation du « passe sanitaire » ne peut être exigée pour l’accès aux bureaux de vote ou à des réunions et activités politiques ». En somme, la demande de passe sanitaire ne peut être que facultative. Les différents partis politiques ont de ce point une position variable, certains le demandant et d’autres non, comptant en tout état de cause sur la bonne volonté de leurs militants. La question se pose de savoir si les débats parlementaires à venir reviendront sur cela.
Ce qu’il se produit pour le pass sanitaire pourrait se produire aussi pour les meeting politiques dans les faits : sans y être juridiquement obligés, les partis pourraient considérer qu’ils sont sanitairement conduit à respecter les jauges applicables aux autres évènements, ce qu’a déjà annoncé par exemple par la majorité présidentielle suivant une position de « responsabilité ».
Ce que l’on savait déjà se confirme donc : l’élection présidentielle sera elle aussi impactée par la Covid. Il y a lieu cependant de penser qu’elle se déroulera dans de meilleurs conditions que les élections locales précédentes, l’audiovisuel permettant mieux de couvrir une élection nationale qu’une élection locale, et l’élection présidentielle restant, eu égard à ses enjeux, d’une importance toute particulière.
Romain Rambaud