Dans l’examen du projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, un consensus politique est déjà stabilisé sur un certain nombre de points, alors que va avoir lieu aujourd’hui dimanche 22 mars une commission mixte paritaire en vue de régler les points de désaccord entre l’Assemblée Nationale et le Sénat (on ne traitera pas ici de l’état d’urgence sanitaire et des problématiques relatives aux libertés, qu’on laissera aux blogs spécialisés). Mais il reste des points de dissensus, pour lesquels il faut trouver un accord rapidement afin de privilégier une unité nationale qui s’impose dans les temps que nous connaissons.
Vous trouverez ci-dessous une interview donnée à France 3 vendredi soir sur ce sujet et, ci-dessous, une version actualisée écrite :
L’impératif juridique du consensus politique et parlementaire
Comme il a déjà été évoqué sur le présent blog et comme nous l’avons écrit dans une tribune publiée dans Le Monde, la priorité absolue doit être donnée à la recherche d’un consensus politique et parlementaire. En effet, il semble clair pendant cette crise que le droit électoral n’est pas adapté aux circonstances exceptionnelles que nous connaissons, dans la mesure où il faut normalement une loi pour le modifier sur les aspects de calendrier électoral. En effet, prendre une décision unilatérale pour le chef de l’Etat, en dehors de tout cadre légal et en se fondant sur la théorie des circonstances exceptionnelles, est possible mais très lourd à porter sur le plan politique. Cela n’aurait d’ailleurs pas manqué d’être très critiqué.
Aujourd’hui, au stade où nous en sommes, la seule et la meilleure solution est donc de soutenir les parlementaires dans la recherche d’un consensus, afin de revenir autant que faire se peut dans une légalité de circonstances exceptionnelles qui fait aujourd’hui défaut, qui permette de régler la question des élections pour pouvoir se concentrer désormais définitivement sur la lutte contre la crise sanitaire.
On rappellera ici qu’a déjà été publié au journal officiel du 18 mars 2020 un décret n° 2020-267 du 17 mars 2020 portant report du second tour du renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon, initialement fixé au 22 mars 2020 par le décret n° 2019-928 du 4 septembre 2019. Ce décret en conseil des ministres se contente d’abroger l’article 6 du décret de convocation des électeurs qui prévoyait la date du second tour des élections municipales. Ce décret, sans doute, se trouve en marge de la légalité. D’une part, parce que l’article L. 227 du code électoral, visé par le décret, prévoit que « Les conseillers municipaux sont élus pour six ans » et qu’« ils sont renouvelés intégralement au mois de mars à une date fixée au moins trois mois auparavant par décret pris en Conseil des ministres ». D’autre part, et on peut au passage noter qu’opportunément cet article n’est pas visé par le décret, parce que l’article L. 56 prévoit qu’« en cas de deuxième tour de scrutin, il y est procédé le dimanche suivant le premier tour ».
La question se pose de savoir ce qu’il adviendrait si quelqu’un attaquait ce décret par un référé-liberté avant que la nouvelle loi ne soit adoptée (v. pour un recours contre un refus de convoquer les électeurs, CE, Meyet, 9 octobre 2002, n°235856). Le Conseil d’Etat pourrait soit volontairement retarder son intervention pour ne statuer qu’après l’adoption de la nouvelle loi, soit retenir les circonstances exceptionnelles, dont il a déjà reconnu l’applicabilité aux problématiques sanitaires (CE, S, 20 mai 1955 Société Lucien, Joseph et compagnie). Il n’en reste pas moins que donner une assise législative à ce décret serait préférable et qu’il faudrait pour cela que la loi ne traîne pas trop. Le débat parlementaire est déjà plus long que prévu.
Les points de consensus et le point de dissensus : la question secondaire de la date de dépôt des listes
A ce stade, les points les plus essentiels font consensus : le maintien des élections acquises au 1er tour pour les 30000 communes où c’est le cas, le report du 2nd tour dans les autres communes au plus tard au mois de juin, un rapport devant être adopté au mois de mai par le Conseil scientifique pour déterminer si on pourra organiser ou non les élections avant l’été. Dans le cas contraire, il faudrait adopter une nouvelle loi pour les repousser, ce qui impliquerait aussi de décaler les élections sénatoriales.
Un autre point a finalement fait l’objet d’un consensus : le report de l’installation des nouveaux conseils municipaux à une date qui sera déterminée après le rapport du Conseil scientifique et le maintien des exécutifs sortants jusque là. L’essentiel pour préserver à la fois les élections et la lutte contre l’épidémie a donc été acté. Il s’agissait d’une demande forte des élus de terrain.
Reste cependant un point qui continue à faire dissensus : la date de dépôt des listes de candidats pour le deuxième tour de scrutin. Ce point devra être traité par la commission mixte paritaire. En effet, dans son projet, le Gouvernement prévoyait de renvoyer, notamment sur ce sujet, à des ordonnances : il demande donc au Parlement de l’habiliter à prendre par ordonnances la date de dépôt des listes. L’argument du Gouvernement est le suivant : il considère qu’il est impossible, dans le contexte de confinement que nous connaissons, de demander aux listes de candidats de se mettre d’accord pour une fusion de listes en juin, sachant qu’il existe au demeurant des risques concernant le décès d’un certain nombre de candidats. Cependant, le Sénat a modifié le texte, demandant le dépôt des déclarations de candidature au plus tard le 31 mars 2020, au motif que le lien entre les deux tours du scrutin doit être préservé pour garantir la sincérité de celui-ci. L’Assemblée Nationale est revenue sur cette date et a prévu de nouveau un recours aux ordonnances pour fixer la date de dépôt des listes.
Aujourd’hui, il nous semble que l’essentiel n’est pas là. Même s’il est vrai qu’il serait étonnant d’exiger un dépôt si rapide des listes en période de confinement, adopter un dépôt non excessivement éloigné du premier tour pourrait rassurer certains forces politiques quant à la préservation de la sincérité du scrutin et des résultats du premier tour. D’un autre côté, le recours aux ordonnances est utile pour s’adapter mais ne donne peut-être pas suffisamment de garanties et n’est pas accepté à ce stade par les sénateurs. En tout état de cause, il n’est pas possible que ce point continue à être un élément de blocage, car il n’est pas suffisamment important.
Il faut impérativement trouver un compromis : par exemple, serait-il possible de lier ce dépôt des listes à la levée de l’état d’urgence sanitaire ou au rapport du mois de mai ? Ou à toute solution de ce type ? En cas d’impossibilité à se mettre d’accord, c’est la chambre qui saura céder qui sortira grandie de la crise, car on lui saura gré de ne pas avoir ajouté une crise parlementaire à la crise électorale et sanitaire.
Il faut souligner ici qu’en toute hypothèse, les Français ne comprendraient pas qu’un compromis ne soit pas trouvé en ces temps de crise, que le Parlement ne soit pas capable de trouver un accord sur un texte aussi fondamental à cause d’un point de détail de cette nature, qui serait forcément considéré comme politicien. L’hypothèse de l’échec d’une CMP et d’une adoption de la loi par l’Assemblée Nationale seule en dernière lecture ne serait pas à la hauteur de la situation exceptionnelle que nous vivons.
A cet argument politique pourrait s’ajouter un argument juridique. Si on peut penser que cette loi de report des élections municipales n’est pas inconstitutionnelle (voir notre tribune dans Le Monde) en raison du motif d’intérêt général justifiant le report et de l’auto-limitation du contrôle du Conseil constitutionnel qui est plutôt la norme en matière de vie politique, il est certain que le Conseil constitutionnel pourrait en revanche être plus sévère vis-à-vis de dispositions qui n’auraient pas fait l’objet d’un consensus politique. Par ailleurs, les sénateurs, s’ils n’étaient pas suivis, seraient disposés à saisir le Conseil constitutionnel d’une telle disposition. Prendre le risque d’une censure ou d’une réserve d’interprétation, non pas sur le report de l’élection en tant que telle (qui devrait normalement être validée car ce point fait consensus), mais sur la date de dépôt des déclarations de candidature, ne semble pas utile au regard des enjeux.
Conclusion : la nécessité de l’unité nationale
A la fois sur le volet électoral, sur le volet sanitaire, et sur le volet économique, il est nécessaire que le Parlement montre qu’il sait faire preuve, comme en 2015, d’unité nationale. C’est à ce prix que notre démocratie sortira renforcée de cette crise.
Sinon, c’est le parlementarisme lui-même qui sera attaqué et plus largement toute la classe politique. Que ni le Gouvernement, ni les sénateurs ni les députés ne se trompent, ni les uns ni les autres des groupes politiques : aucune des chambres, aucun des partis, ne pourra renvoyer la responsabilité sur l’autre. Les Français considéreront que tous les représentants seraient responsables et comptables de cette situation.
Comme nous l’avions déjà dit au début de la crise, dans notre premier article consacré au Coronavirus, il existe aussi, dans le contexte géopolitique international qui est le nôtre, un enjeu à montrer que la démocratie libérale sait gérer, aussi, les crises sanitaires.
Ajouter à la crise électorale, à la crise sanitaire, à la crise économique, une crise parlementaire, serait un échec, pour tout le monde et pour notre démocratie. Ne jouons pas à ce jeu là.
Romain Rambaud