13/12/2015 : Deuxième tour des élections régionales : après la levée de l’embargo, une nouvelle victoire pour les sondeurs ? [R.Rambaud]

téléchargementCette journée d’embargo sur la propagande électorale (art. L. 49 du code électoral) et qui nous interdit de faire état de sondages (art. 11 de la loi du 19 juillet 1977) ou de résultats (art. L. 52-2 du code électoral), est l’occasion pour le chercheur dans l’attente insoutenable des résultats d’aborder deux problèmes très classiques mais évidemment très importants aujourd’hui : la qualité des sondages et le risque de fuite de sondages ou de résultats.

Les élections régionales : une victoire des sondeurs ?

Le premier tour du scrutin des élections régionales fut une victoire pour les sondeurs, c’est difficilement contestable. Leurs prévisions, en effet, se sont révélées largement exactes sur les projections du premier tour.

Suite aux retraits des listes des candidats socialistes en Nord-Pas-de-Calais-Picardie et en PACA, les deux régions où le FN était en passe de gagner – Jean-Pierre Masseret ayant refusé de se retirer de la région Grand-Est – les sondages sont unanimes pour donner Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen perdantes dans leurs régions, tandis que Florian Philippot serait finalement dépassé par le candidat de la droite Philippe Richert, même si la triangulaire s’annonce plus serrée. La question se pose de savoir si ces résultats seront confirmés, eu égard notamment au regain de participation enregistré dès ce midi.

téléchargement (1)La critique de ces sondages ne peut en tout cas pas être faite aujourd’hui : les lecteurs assidus du site « l’observatoire des sondages » constateront qu’aujourd’hui, le site est tout simplement…. fermé ! Par chance nous ne faisons pas l’objet de la même censure.

Cette satisfaction des sondeurs pourrait se doubler de la satisfaction de la Commission des sondages, qui a lors de cette élection décidé d’adopter une politique plus répressive qu’à l’accoutumée. Nous avions montré dans un article précédent que la Commission des sondages a décidé de revenir sur sa politique de « régulation paisible » au profit d’une conception plus policière de sa mission.

Iheaderintl faut d’ailleurs ajouter à cet article paru il y a plus d’une semaine : depuis, la Commission des sondages a édicté une nouvelle mise au point  du 4 décembre 2015 pour sanctionner un changement de méthode de redressement indu entre différents sondages à l’encontre de l’institut Elabe : « L’examen du sondage relatif aux rapports de force nationaux aux élections régionales, publié le 3 décembre 2015 par Les Échos et Radio Classique, a permis de constater que l’institut n’avait pas appliqué pour ce sondage les mêmes méthodes de redressement que celles qu’il avait retenues pour le sondage réalisé les 13 et 14 octobre dernier portant sur le même objet. Bien que ce dernier sondage ait été diffusé par un autre média, la présentation des résultats de celui publié le 3 décembre a été accompagnée de commentaires reposant sur les évolutions constatées dans les intentions de vote entre les deux enquêtes. Or, le changement de méthode de redressement opéré par Elabe a conduit à publier des résultats différents de ceux qu’il aurait établis sur le fondement de la méthode antérieurement utilisée, faisant ainsi obstacle à toute comparaison entre les deux sondages ainsi qu’à toute évaluation pertinente d’éventuelles évolutions des intentions de vote entre les deux enquêtes ». 

téléchargementOn remarquera au passage, et c’est nous semble-t-il un point intéressant de cette mise au point, que non seulement la différence de méthodes entre les deux sondages a été critiquée mais que pour ce faire a été pris en compte non seulement les sondages en tant que tels mais aussi les commentaires qui avaient été faits de ces sondages. C’est là une extension du contrôle de la Commission des sondages, qui sans être nouvelle, retrouve une nouvelle vigueur. Nous ne pouvons que nous en réjouir dans la mesure où nous l’appelions de nos voeux dans notre ouvrage sur le droit des sondages électoraux.

Ainsi, si les résultats de ce soir confirment la victoire des sondeurs, ils consacreront aussi le succès de la nouvelle politique de la Commission des sondages. Evolution heureuse.

Reste bien sûr la question la plus importante dont la réponse viendra ce soir : pour quel effet dans l’électorat ? Nous renvoyons la balle à nos nombreux amis politologues mais les débats seront sans nul doute passionnants.

Un risque de fuites ?

fuite_eauCe soir – ou dès maintenant – risque de se poser le problème désormais classique des fuites de sondages et de résultats. Sur ce point, on peut revenir à ce qui avait été dit lors du débat sur les législatives (déjà!). La polémique sur la diffusion de résultats avait jeté un trouble dans les esprits avant le 1er tour, au point que la Commission des sondages avait fait le choix d’une exposition médiatique sans précédent afin de rappeler à la loi, d’expliquer sa rationalité et de menacer de la sanctionner. Il ne semble pas que cela était été nécessaire cette fois-ci. Pourtant les enjeux sont forts. Si des fuites arrivaient, cela serait un argument que ne manqueraient pas d’utiliser les sondeurs pour obtenir un assouplissement des règles.

Il existe deux interdictions différentes, la distinction entre ces deux régimes posant d’ailleurs problème (affaire S.Royal), raison pour laquelle une récente proposition relative à la modernisation des règles applicables à la campagne présidentielle déposée par Jean-Jacques Urvoas (on y reviendra) souhaite à raison les harmoniser dans le sens le plus sévère.

D’une part, l’article 11 de la loi de 1977 interdit de diffuser des sondages la veille et le jour du scrutin. En effet, la possibilité de réaliser des sondages la veille et le jour du scrutin poserait des problèmes de fiabilité et de contrôle des informations ainsi divulguées, tandis que la tradition française est de respecter une période de silence pendant les élections. La sanction est lourde puisqu’elle est de 75000 euros d’amende.

téléchargement (2)D’autre part, la diffusion de résultats ou d’estimations de résultats avant la fermeture des derniers bureaux de vote pose problème au regard des règles du Code électoral. En effet, l’article L. 52-2 du Code électoral dispose : « En cas d’élections générales, aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique, en métropole, avant la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain. Il en est de même dans les départements d’outre-mer avant la fermeture du dernier bureau de vote dans chacun des départements concernés ». Cependant la sanction est faible : seulement 3750 euros d’amende en vertu de l’article L. 89 du code électoral.

Ces règles ont donc vocation à s’appliquer aujourd’hui, comme elle s’appliquaient déjà hier. Seront-elles respectées dans la journée et de nouvelles polémiques éclateront-elles ?

téléchargement (1)Concernant l’interdiction de publier des sondages, on rappellera toutefois les propositions faites par le CSA début septembre : la modification des règles prévues par l’article L. 49 du code électoral et par l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977 relative aux sondages, car aujourd’hui la période de deux jours d’interruption de la propagande serait trop longue. La proposition n° 3 du CSA était la suivante  : « Le Conseil propose que l’entrée en vigueur des dispositions de la période de réserve relevant du code électoral, qui s’appliquent aujourd’hui la veille du scrutin, soit retardée de 24 heures. En pratique, le samedi, veille du scrutin, jusqu’à minuit, les services de radio et de télévision pourront diffuser des interventions des candidats et de leurs soutiens, les journalistes et les éditorialistes seront libres de leurs commentaires sur les enjeux du  scrutin concerné, cela à la condition de respecter les dispositions de l’article L. 48-2 du code électoral qui interdisent aux candidats d’introduire des éléments nouveaux de polémique électorale à un moment tel que leurs adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant le scrutin.  Le Conseil propose que la publication des sondages soit autorisée jusqu’au samedi à 12 heures et que leur commentaire soit autorisé jusqu’au samedi à minuit ». Ces élections régionales relanceront-elles ce débat ?

A suivre !

Romain Rambaud