La situation est totalement exceptionnelle, à la suite de la déclaration de ce soir du Premier Ministre décidant de fermer tous les lieux publics « non indispensables à la vie de la Nation ». Certes, dans le même temps, le Premier Ministre a déclaré que « voter » fait partie de ces actes essentiels et que le vote de demain pourra se dérouler dans de bonnes conditions, suivant les consignes qui ont été données, décrites dans l’article de Ricardo Salas Rivera sur le blog du droit électoral.
Cependant, les Français, et on peut les comprendre, ont de plus en plus de mal à comprendre pourquoi les élections échapperaient au report, alors que désormais l’atteinte aux libertés est très forte pour cause de crise sanitaire… on écartera pour le moment l’hypothèse du confinement des Français, qui rebattrait encore une fois totalement les cartes, mais si celui-ci se profile, les circonstances exceptionnelles seront pires et le report de plus en plus plausible.
Que se passera-t-il demain ? De deux choses l’une.
Soit les élections municipales de demain se déroulent avec une participation satisfaisante : dans ce cas, on saluera le « sursaut » démocratique des Français, leur capacité à garder leur sang-froid, à faire confiance aux pouvoirs publics, à gérer la situation avec calme et à montrer que la démocratie peut prévaloir sur la crise sanitaire.
Soit l’abstention est absolument massive : dans ce cas, il sera très difficile pour les pouvoirs publics et les électeurs de considérer que ces élections municipales ont été sincères. Certes, sauf dans les communes de moins de 1000 habitants pour le premier tour, il n’existe pas pour les élections municipales d’exigence en termes de participation (seuils d’électeurs inscrits), l’abstention n’est donc pas un problème « technique » sur le plan juridique. Cependant, elle pourrait générer un nombre de contentieux très important devant le juge électoral. Mais surtout, elle sera une problématique politique très forte.
Si l’abstention est massive, les pouvoirs publics n’auront peut-être pas le choix. Il faudrait soit adopter une loi en urgence, soit modifier le décret de convocation des électeurs, pour reporter toutes les élections municipales ou au moins celles qui n’auront pas été acquises au premier tour (si la participation est normale, on pourrait ne pas remettre en cause les élections acquises au premier tour, ce sera un choix politique). Si le second tour est reporté, cela pourrait difficilement ne pas remettre en cause le premier tour dans les villes où un second tour devrait être organisé, d’autant qu’on a du mal à imaginer quel pourrait être le terme de ce report.
Sans doute, le législateur ou le Président de la République pourront se prévaloir des circonstances exceptionnelles. Comme nous l’avons déjà écrit sur notre blog, une première fois il y a 15 jours et encore une fois avant-hier quand la rumeur est revenue, la théorie des circonstances exceptionnelles a déjà été utilisée en droit électoral pour justifier annulation ou report d’élections, dans des circonstances beaucoup moins dramatiques. Il est désormais très probable que, s’ils étaient saisis, les juges, Conseil constitutionnel ou Conseil d’Etat, auraient des difficultés à ne pas admettre les circonstances exceptionnelles, à la fois en raison des mesures de restriction annoncée, qu’en raison du constat potentiel de l’importance de l’abstention.
Dans un article du journal Les échos, on apprenait avant-hier que le chef de l’Etat a effectivement songé à la théorie des circonstances exceptionnelles, qui permettrait de faire face à la situation sans aller dans les extrêmes de l’état d’urgence (qui ne servirait pas à repousser les élections municipales) ou de l’article 16. C’est en effet cette solution qu’il faut envisager dans le cas où l’abstention disqualifierait complètement le scrutin. S’il s’agissait vraiment de l’option favorisée par le Président de la République, et si l’abstention est massive, il devra l’assumer, y compris contre l’avis du Président du Sénat ou des Républicains. Le président du Conseil constitutionnel, de son côté, a démenti avoir été consulté. Et le Conseil d’Etat ?
L’heure est grave. C’est aux Français de décider ce qui demain devra prévaloir : la volonté de vivre le plus possible normalement et de pouvoir répondre aux cycles de notre vie démocratique, ou la peur de la contagion et de la crise sanitaire. Espérons que ce soit la première solution.
Mais quoi qu’ils choisissent, il reviendra à l’Etat de le prendre en considération, au risque sinon d’accroître, de façon considérable, la crise de la démocratie représentative.
Romain Rambaud