19/06/2012 : Le CSA choisit l’article L. 52-2 du code électoral et décide de ne pas sanctionner les médias : une double brèche dans le principe d’interdiction de publication des résultats avant 20 heures !

Dans notre article d’hier, nous faisions état de l’incertitude quant au fondement de l’infraction qu’a commise Ségolène Royal dimanche en annonçant les résultats avant 20 heures, et les médias à sa suite en reprenant le message qu’elle avait ainsi diffusé.

De manière inattendue et sans doute dangereuse, le CSA n’a pas choisi la solution que nous avions privilégiée hier : il a considéré qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 11 de la loi de 1977 mais de l’article L. 52-2 du code électoral et a décidé de ne pas faire usage de son pouvoir de sanction administrative. Par cette solution, il affaiblit considérablement le principe selon lequel, avant la fermeture de tous les bureaux de vote, aucune estimation de résultat ou résultats ne doivent être publiés.

 

Le choix de l’article L. 52-2… et de l’absence de sanctions administratives.

Aujourd’hui, après une réunion en séance plénière, le CSA a décidé de ne pas faire usage de son pouvoir de sanction administrative contre les médias ayant diffusé en direct l’intervention de Ségolène Royal : on pourra retrouver cette information en suivant le lien suivant. A noter, qu’il n’est pas compétent pour sanctionner directement des personnes physiques – le cas Royal continuera donc de relever de la compétence du parquet.

Selon le CSA, « Le Conseil a constaté un manquement de certaines télévisions et radios à l’article 52 du code électoral ». Toutefois, toujours selon le Conseil, «En raison des circonstances particulières et notamment l’heure de diffusion de l’allocution de Mme Royal et du fait que le scrutin était clos dans la circonscription concernée, le Conseil n’entend pas intervenir à l’encontre des chaînes de radio et de télévision». En effet, les bureaux de vote étaient fermés à 18h, le Conseil considérant alors que l’opinion publique n’a pu être influencée à ce moment là. Toutefois, le CSA a cru bon de préciser que «Cette tolérance ne saurait avoir valeur de précédent pour les prochaines consultations électorales».

Deux éléments différents ressortent de cette décision.

1) Le CSA a choisi de fonder sa décision sur l’article L. 52-2 du code électoral

Le premier c’est que le fondement choisi n’est pas l’interdiction de diffuser des sondages et des commentaires de sondages ou des estimations de résultats avant 20 heures – l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977 – mais, dans une optique plus favorable aux personnes en cause, l’article L. 52-2 du Code électoral qui interdit la diffusion de résultats partiels ou définitifs. C’est donc la solution faible qu’a choisie le CSA, alors qu’une incertitude et un certain recoupement existent entre ces articles, notamment eu égard aux déclarations de Ségolène Royal qui relevaient autant de la déclaration de résultats que du commentaire de sondages et d’estimations de résultats – il faut se rappeler la référence aux 75 % des voix de droite.

Cette solution est donc différente de celle qui avait prévalu pendant la campagne présidentielle, où il s’agissait là davantage d’estimations de résultats qui relevaient donc de l’article 11 de la loi de 1977. Toutefois, eu égard à la manière, précisément, dont sont construites ces estimations de résultats – c’est à dire sur la base d’un échantillon représentatif de bureaux de vote dont les résultats ont été dépouillés – il n’est pas dit qu’il n’existe pas là aussi une porosité.

Cela n’est pas anodin en théorie car, ainsi qu’on l’a dit, la sanction n’est que de 3750 euros dans l’hypothèse de l’article L. 52-2 du code électoral, contre 75000 euros dans le second cas ! Ce choix ne manquera pas de créer un précédent : nous y reviendrons.

2) Le CSA a décidé de ne pas mettre en oeuvre de sanctions administratives

Le CSA a décidé de ne pas faire usage de son pouvoir de sanction administrative. En effet, les articles 42 et 42-1 de la loi du 30 septembre 1986 prévoient que le CSA peut prononcer des sanctions administratives en cas de manquement aux « obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires ».

Ce faisant, le CSA a fait usage du pouvoir discretionnaire qui lui est attribué : le refus de prononcer une sanction administrative pour manquement aux obligations ne fait l’objet que d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de la part du Conseil d’Etat, voir par exemple l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 juin 2001, n°204268, Malarde. Ce précédent est intéressant car il montre que la décision du CSA est solide juridiquement, le Conseil d’Etat ayant considéré « qu’eu égard au caractère ponctuel du manquement reproché à la société France 3 télévision, le Conseil supérieur de l’audiovisuel n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant de prononcer une sanction à l’encontre de ladite société ». Le Conseil d’Etat reconnaît en effet une large marge d’appréciation pour déterminer la manière dont ces objectifs doivent être réalisés : voir CE, Société des auteurs et compositeurs dramatiques et autres, du 23 avril 1997, n° 131688.

Or, ces deux choix qui ont été réalisés constituent un double affaiblissement de l’interdiction de publier les résultats du vote avant 20h et constitue une brèche dans un dispositif que de son côté, la Commission des sondages s’était évertuée à maitenir dans son intégrité.

 

Une décision qui affaiblit le principe d’interdiction

Il n’est pas utile de rappeler ici l’ensemble des polémiques qui accompagnent, avec l’avènement des réseaux sociaux notamment, le principe d’interdiction de publication des résultats et nous renverrons ici à notre article sur ce sujet sur ce blog. Or, par cette décision, le CSA vient d’affaiblir le principe d’interdiction, tant par sa décision de se fonder sur l’article L. 52-2 du code électoral que par sa décision de ne pas sanctionner.

1) Les failles créées par le choix de l’article L. 52-2 du code électoral

Le fait de privilégier, dans le cas d’espèce, l’article L. 52-2 du code électoral au lieu de l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977 présente de nombreux risques pour la sauvegarde du principe d’interdiction. Ceci est d’autant plus vrai qu’en l’espèce, s’il est vrai que Ségolène Royal a donné un résultat, elle l’a accompagné de résultats qui eux, s’apparentaient à des commentaires de sondages ou d’estimations de résultats, puisqu’elle a accusé son rival d’être élu avec 75 % de voix de droite.

On a déjà dit sur ce blog, en effet, la porosité problématique qui existe entre ces deux articles : force est de constater qu’en l’espèce, cette situation d’entre-deux a posé un problème et que le CSA a choisi la solution la plus favorable aux médias et à Ségolène Royal : ainsi, la violation de l’article L. 52-2 n’est punie que de 3750 euros d’amende… contre 75000 pour l’article 11 de la loi de 1977 ! La situation n’est donc pas du tout la même, surtout lorsque l’on se rappelle que la sanction est multipliée par 5 pour les personnes morales. Un journal aura moins de réticences à payer 18750 euros d’amende… plutôt que 375000 !

Ainsi, le choix de l’article L. 52-2 est de nature à créer un précédent facheux : aux prochaines élections, cela signifiera-t-il que des personnes diffusant des résultats partiels auront une sanction plus faible que ceux diffusant des sondages ou des estimations de résultats ? Comment faire la part des choses ? Ce phénomène pourra avoir un effet pervers très fort. Qu’on songe aux dernières présidentielles : le dépouillement des premiers bureaux de vote donnaîent Marine Le Pen très au delà de son score national : quelles conséquences politiques si certains médias ou personnes décident de prendre le risque d’une amende faible en diffusant ces résultats ? Imaginons un responsable local du FN qui, prenant appui sur les bons scores de Marine Le Pen en milieu rural, profite de l’occasion pour appeller en masse à voter dans le cadre d’une dynamique positive ?

Il y a là un effet pervers et le choix de l’article L. 52-2 ne semble guère opportun.

Le CSA, eu égard aux circonstances de l’espèce, a choisi d’être clément. Mais cette clémence ne sera-t-elle pas bientôt mise à profit par certains opérateurs à des fins, cette fois, purement économiques ? Que fera alors le CSA ? Peu de chance que le principe selon lequel « Cette tolérance ne saurait avoir valeur de précédent pour les prochaines consultations électorales» suffira à empêcher ces acteurs de s’engouffrer dans la brèche ainsi créée.

Dès lors, il est urgent d’adopter, et cela devrait mis sur la table dans le cadre d’une future réflexion sur le droit des sondages électoraux, la proposition des sénateurs Sueur et Portelli. Ainsi que nous l’avons déjà dit hier, ceux-ci entendaient en effet réécrire complètement l’article L. 52-2 du code électoral en créant un régime unique pour la diffusion des sondages et la diffusion des résultats. Il aurait ainsi été réécrit de la manière suivante : « Art. L. 52-2. – I. – En cas d’élections générales, est interdite, la veille et le jour de chaque tour de scrutin, la publication, par quelque moyen que ce soit, de tout sondage électoral ou de toute indication, même partielle, sur l’issue du scrutin ». L’ensemble étant sanctionné par 75000 euros d’amende. C’est bien dans ce sens là qu’il faudrait aller. Pourtant, l’Assemblée Nationale avait refusé de mettre en oeuvre cette modification.

L’affaire Royal et le choix du CSA montrent au contraire que l’adoption de cette réforme est aujourd’hui urgente.

2) Les failles créées par la tolérance du CSA

Autre point sensible : la décision de ne pas sanctionner eu égard aux circonstances de l’espèce. Sur quels critères se basera prochainement le CSA ? 19h50 ? 19h45 ? 19h10 ? Jusqu’où aller, ainsi ?

Par ailleurs, le CSA fait valoir que cette annonce n’a pas pu avoir d’influence dans la mesure où tous les bureaux de vote étaient fermés. Certes, tous les bureaux de vote étaient fermés à 18h et le vote n’a donc pas pu être modifié par cette annonce. Toutefois, en procédant ainsi, le CSA va contre la loi puisque l’article L. 52-2 ne distingue pas entre les élections législatives et les élections présidentielles et prévoit que cette interdiction s’applique jusqu’à la fermeture du dernier bureau de vote en métropole.

Faut-il modifier cette règle et opérer une distinction selon la fermeture des bureaux de vote ? Cela semble difficile à faire en pratique et conduirait sans doute à ce que les élections élections législatives, à partir de 18h, ressemblent à une joyeuse cacophonie.

Par ailleurs, raisonnons par l’absurde. Que dirions-nous si, à 19h30, voire 19h15, Marine Le Pen, battue par une centraine de voix dans une circonscription, en venait à appeler au recomptage des voix et à une ruée vers les bureaux de vote en fin de journée pour mettre fin au complot UMPS ? Quelle utilité à tout cela ?

Il faut le dire : cette clémence crée une brèche dans le droit positif.

En définitive, par ces deux aspects, le CSA vient d’ouvrir une nouvelle boîte de Pandore dont on appréciera les effets en 2014 et en 2017. Peut-être que certains contentieux – par exemple si le Conseil d’Etat était saisi de la décision du CSA de ne pas mettre en oeuvre de sanctions – nous permettrons d’y voir plus clair et viendront remédier à ces défauts.

 

Et quid de Mme Royal ? Et en général, des hommes politiques ?

Enfin, et si la décision du CSA ne concerne pas directement Mme Royal et les hommes politiques, force est de constater que les solutions adoptées ne manqueront pas d’avoir des effets y compris sur ces derniers.

Tout d’abord, si le fondement pertinent est l’article L. 52-2 du code électoral et non l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977, la sanction passe de 75000 euros à 3750 euros. C’est à dire une sanction qui n’est plus dissuasive, et qui pousseront les hommes politiques à dévoiler en avant les résultats… et pourquoi pas soutenir leurs amis élus dans des grandes villes ? Nous renvoyons ici à ce que nous avons dit plus haut.

Ensuite, Mme Royal a trouvé une bonne parade pour échapper à l’infraction pénale, comme nous le disions également dans notre blog hier. En effet, celle-ci fait jouer l’élément moral de l’infraction en mettant en avant qu’elle souhaitait enregistrer ce message et non le diffuser avant 20 heures, et ce seraient alors les médias qui auraient commis l’infraction.  Certes, pour les contraventions, ce qui semble être le cas avec l’article L. 52-2, l’élément moral ne joue guère. Une défense habile qui pourrait lui permettre en droit d’échapper à une sanction et qui dissuadera en tout cas le procureur d’intenter une action contre elle ?

Affaire à suivre !

 

Romain Rambaud