Cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, c’est à dire application immédiate de la peine sans effet suspensif de l’appel, telles sont les requisitions aux repercussions politiques les plus significatives faites par le Parquet dans le procès des assistants parlementaires du RN. Si elle était prononcée, cette peine ne ferait pas perdre son mandat de député à Marine Le Pen : à la différence des élus locaux (v. par exemple le cas de la démission d’office d’Hubert Falco), les parlementaires ne sont pas déchus de leur mandat quand l’exécution provisoire est prononcée : la condamnation dans leur cas doit être complètement définitive (Conseil constitutionnel, décision n° 2021-26 D du 23 novembre 2021 et Décision n° 2022-27 D du 16 juin 2022)
En revanche, elle pourrait l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle. Très expréssément, la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel spécifique rend applicable à celle-ci l’article L. 199 du code électoral, qui dispose : « Sont inéligibles les personnes désignées à l’article L. 6 et celles privées de leur droit d’éligibilité par décision judiciaire en application des lois qui autorisent cette privation ».
Ces réquisitions ont d’un côté été très critiquées, selon un discours consistant à considérer que ce serait priver l’élection présidentielle d’une candidate à la magistrature suprême, que l’électoral devrait prévaloir sur le judiciaire, que tout cela fait peser un risque de gouvernement des juges. C’est ainsi la position de Gérald Darmanin, ayant considéré sur X que « « Il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible et ainsi ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français » (…) Combattre Mme Le Pen se fait dans les urnes, pas ailleurs. Si le tribunal juge qu’elle doit être condamnée, elle ne peut l’être électoralement, sans l’expression du peuple », lequel a ensuite appelé à ne pas avoir « peur de la démocratie » et à ne pas « creuser la différence entre les “élites” et l’immense majorité de nos concitoyens ».
D’un autre côté, les juges indiquent qu’ils ne font qu’appliquer la loi et que le principe d’égalité implique de traiter tous les justiciables de la même manière.
C’est une sorte de retour encore de la problématique non réglée de la trêve judiciaire et du Law Fare, thème bien connu du blog du droit électoral depuis l’affaire Fillon et la redécouverte de l’article L. 110 du code électoral : il a été précisément traité pendant le colloque sur la judiciarisation de la vie politique à Aix, a fait l’objet de publications notamment dans le cadre du colloque de Grenoble sur le droit pénal électoral de 2019, et de nombreux articles sur le blog.
La problématique est d’actualité : c’est par exemple au nom de ce principe que la sanction de Donald Trump (mais pas sa condamnation) a été repoussée par le juge après l’élection présidentielle américaine. C’est loin d’être un problème franco-français.
L’auteur de ces lignes sur ce point depuis toujours adopte et soutient une position médiane. L’idée de ne pas sanctionner les personnalités politiques sous prétexte qu’elles en sont n’est pas tenable. D’un autre côté, priver la principale candidate à la future élection présidentielle de son éligibilité en est un aussi : sur ce point, on se rappellera de la situation du Brésil où Lula a d’abord été empêché de se présenter par un juge devenu ensuite ministre de la justice du principal adversaire politique de Lula, pour ensuite voir sa condamnation annulée et redevenir Président du Brésil… Il n’est pas étonnant sur ce point que Marine Le Pen ait reçu le soutien de… Jean-Luc Mélenchon, ce dernier ayant écrit un livre entier pour critiquer le Law Fare.
Sur ce point, quoiqu’on en dise, la magistrature dispose de marges de manoeuvres. Il en existe semble-t-il au moins trois.
Tout d’abord, certes en la matière, l’inégibilité est obligatoire en application de l’article 131-26-2 du code pénal, mais comme la peine peut toujours être individualisée, il ne faut pas oublier qu’en vertu de l’article 131-26-2.III du code pénal : « Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine prévue par le présent article, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ». Cet article pourrait-il permettre de tenir compte de la prochaine élection présidentielle pour ne pas prononcer cette peine par exception ?
Ensuite, les magistrats ne sont pas obligés de prononcer l’exécution provisoire, faite pour l' »objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive » (Cass. crim., 23 août 2017, n° 17-80459). L’exécution proivsoire est en effet, en matière pénale, l’exception (v. art 471 et 708 du code de procédure pénale). Marine Le Pen pourrait donc se voir condamnée mais l’appel serait suspensif de l’exécution de sa peine, de sorte qu’elle pourrait se présenter à la prochaine élection présidentielle. L’exécution provisoire se justifie-t-elle ici ?
Enfin, la durée de l’inéligiblité peut être modulée. Ainsi, une peine d’inéligiblité d’un an par exemple conduirait à la sanction de Marine le Pen sans l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle pour autant. De quoi la punir et faire connaître aux électeurs la situation, mais leur laisser décider de leur destin en toute souveraineté et sans critique de « Gouvernement des juges » qui en tout état de cause, même si elle n’était pas justifiée, laisserait des marques dans l’opinion publique…
Loin des caricatures manichéennes, il est toujours possible de trouver des solutions équilibrées respectant les différents impératifs. Il n’est pas non plus interdit d’y penser…
Romain Rambaud