Le verdict définitif des urnes aura mis un peu plus de temps à sortir que cela est de coutume lors des élections nationales. Mais c’est bien un nouveau Non à l’indépendance qui a récolté la majorité des voix des électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale pour la consultation d’autodétermination (LESC) de la Nouvelle-Calédonie. Avec 81.503 voix exprimées contre l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, c’est une progression de près de 3.000 voix comparativement au score du Non en 2018, ce dont se félicite la coalition loyaliste l’Avenir en confiance. Lire les résultats en valeur absolue, en se bornant au décompte de ses électeurs, semble néanmoins témoigner d’une recherche coûte de coûte de signaux positifs là où les résultats sonnent plus comme un avertissement pour les partisans de la Nouvelle-Calédonie dans la République. De fait, le vote indépendantiste a nettement plus progressé avec plus de 11.000 voix supplémentaires par rapport au référendum de 2018. Compte tenu de la hausse de la participation, ces résultats ne sont au final pas si surprenants que cela (I) et traduisent l’échec de la stratégie loyaliste de dramatisation des enjeux (II). Enfin, la fracture quasi égalitaire de la Nouvelle-Calédonie entre indépendantiste et loyaliste, que révèlent ces résultats, doit nous interroger sur le caractère pertinent du référendum pour trancher une question aussi cruciale que ne l’est celle de l’indépendance (III).
I. Un résultat conséquence logique de la géographie électorale
Comme cela a été mentionné dans la publication du 30 septembre 2020, le gel relatif du corps électoral conduit en pratique à limiter les marges de progression de chaque camp. C’est donc essentiellement du côté des abstentionnistes et des nouveaux entrants dans le corps électoral que chaque camp peut obtenir de nouveaux électeurs.
Du côté des nouveaux entrants, rappelons que les conditions d’inscription sur la LESC conduisent en pratique à ce que l’essentiel des nouveaux inscrits sont aujourd’hui des jeunes majeurs (64 % des inscrits lors de la révision 2019 de la LESC). Ainsi, ce sont principalement les natifs de la Nouvelle-Calédonie ayant atteint leur majorité entre les deux référendums qui peuvent se rajouter sur la liste électorale et augmenter en conséquence le corps électoral. Ce faisant, le nombre d’inscrits entre les deux référendums n’a augmenté que de 6.634 électeurs. Aussi, le fait de maintenir l’inscription d’office des jeunes majeurs de statut civil coutumier pour le référendum de 2020 alors que les jeunes majeurs de droit commun doivent généralement en faire la demande a pu créer une distorsion dans la répartition des nouveaux inscrits, étant entendu que les premiers sont plus propices à soutenir le oui que le non. Toutefois, seule une analyse plus fouillée du statut des nouveaux inscrits pourra permettre de confirmer cette impression.
Les choses semblent en revanche plus nettes du côté des abstentionnistes qui, à l’occasion du référendum de 2020, ont été moins nombreux qu’en 2018. Ainsi, 85.6 % des électeurs se sont déplacés aux urnes dimanche dernier contre 81.01 % en 2018. En prorata du nombre d’inscrits, c’est notamment dans la province des Îles Loyauté que le recul de l’abstention est la plus forte avec 25.28 % d’abstention en 2020 contre 38.83 % en 2018. Or, cette province est très majoritairement composée de personne de statut civil coutumier, alors plus propice à voter en faveur de l’indépendance. Ce recul de l’abstention peut notamment s’expliquer par une campagne proactive d’inscription des habitants des îles résidant à Nouméa dans les bureaux de vote délocalisés, 2.500 inscrits en plus s’y étant rajoutés en vue du référendum de 2020.
Néanmoins, outre l’incidence de ces modalités organisationnelles sur la mobilisation des électeurs, l’analyse des résultats du scrutin montre un accroissement du Oui sur l’ensemble des Provinces et ce, y compris dans la Province Sud, pourtant majoritairement loyaliste. Dès lors, cela semble démontrer un certain désaveu des électeurs modérés à l’égard de la stratégie loyaliste déployée pour ce 2e référendum.
II. Un résultat sanctionnant la stratégie loyaliste de dramatisation des enjeux ?
À titre préalable, notons que toutes les analyses proposées ici nécessiteront sans doute des recherches plus poussées en sociologie politique et électorale pour être confirmées. Toutefois, le resserrement de l’écart entre le Oui et le Non en dépit d’un corps électoral essentiellement figé tend à démontrer que certains électeurs ayant voté Non au précédent référendum ont pu être tentés cette fois-ci par le Oui. Trois raisons peuvent éventuellement expliquer cette évolution.
Tout d’abord, en sollicitant en premier, l’organisation d’un nouveau référendum (le 7 juin 2019 contre le 13 juin pour les indépendantistes), la coalisation loyaliste « L’Avenir en confiance » a pu dérouter certains électeurs tant, cette demande semble contre-intuitive au vu de sa position fermement hostile à la cause de l’indépendance. En militant par la suite pour une tenue le plus rapidement possible de ce référendum afin d’en finir avec « l’incertitude » liée au processus d’autodétermination, cette impression a pu se confirmer. L’autre coalition loyaliste « Calédonie Ensemble » a au contraire déploré ce choix et milité contre l’organisation de ce nouveau scrutin.
Ensuite, en permettant l’usage sur le matériel de campagne, du drapeau français, on peut s’interroger sur la portée symbolique et dramatique qu’a pu avoir l’appropriation de l’emblème national par le camp des loyalistes. De fait, alors que le processus d’autodétermination s’est voulu jusqu’alors purement consensuel, faire campagne en promouvant la défense du drapeau français a pu donner l’impression de rejouer le débat sur le bienfondé de la colonisation de la Nouvelle-Calédonie par la France, comme le relève l’historienne Isabelle Merle (« L’emblème national ne devrait pas être approprié par un camp partisan et encore moins instrumentalisé dans une campagne électorale », Le Monde, 10 septembre 2020).
Enfin, force est de constater que le projet politique défendu par les loyalistes – du moins la coalisation « l’Avenir en confiance » – a pu susciter certaines réticences. De fait, contrairement aux indépendantistes, les loyalistes n’ont pas établi clairement de proposition alternative au maintien du statu quo, rendant ainsi peu probable le ralliement des sympathisants de la cause indépendantiste. Tout au plus, le fait de proposer l’accroissement de l’autonomie des provinces a pu donner le sentiment que les loyalistes préconisaient la partition du territoire, laissant les Kanak entre eux dans les Provinces Nord et des Îles Loyauté et restant entre loyalistes dans la Province Sud. Or, il n’est pas certain qu’une telle hypothèse, bien que discutable dans le cadre de l’avenir institutionnel de l’Archipel, ait réellement contribué à rassurer les électeurs loyalistes résidant dans les Provinces à majorité indépendantiste.
Au final, la dramatisation des enjeux du référendum aura eu pour effet de radicaliser la position de chaque camp, ce qui interroge sur le caractère approprié du référendum pour trancher une question aussi cruciale que ne l’est celle de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.
III. Un résultat confirmant le caractère inapproprié du référendum pour l’édification d’une démocratie de consensus
En aboutissant à une répartition quasi égalitaire des votes entre partisans de l’indépendance et du maintien de la Calédonie dans la République, le Référendum du 4 octobre 2020 n’apparaît nullement rassurant à l’approche de l’ultime vote qui devrait se tenir en 2022. Il est en effet très probable que cette troisième consultation ait lieu, l’actuel président du Congrès ayant d’ores et déjà annoncé son intention de la demander.
De fait, si une majorité faible pour le Non engendre en pratique le maintien du statu quo, une majorité faible de Oui aura pour conséquence d’activer le processus d’indépendance, comme le résultat du référendum britannique du 23 juin 2016 sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne a conduit inéluctablement au Brexit en dépit du faible écart de voix. Or, s’il est légitime en démocratie que la majorité absolue des voix puissent s’imposer à tous, peut-on réellement se satisfaire d’une telle pratique face à une question interrogeant l’existence de la société dans son ensemble ? En ce sens, la Cour suprême du Canada, à l’occasion du renvoi relatif à la sécession du Québec, avait pu noter que pour les questions constitutionnelles, la détermination d’une « majorité claire » ne peut être régie par la seule règle de la « majorité simple », qu’une majorité élargie s’impose afin de tenir compte des droits des minorités ([1998] 2 RCS 217, §73 et suivants).
Toutefois, il convient de relever, dans le contexte spécifique de la Nouvelle-Calédonie, qu’une courte majorité de Non ne pourrait pas plus légitimer un strict maintien du statu quo. Il serait en effet discutable, au vu du processus d’autodétermination actuellement à l’œuvre, d’ignorer purement et simplement l’importante minorité indépendantiste s’étant exprimée lors des référendums. En ce sens, le parti loyaliste « Calédonie Ensemble » préconise, à juste titre, qu’en cas de vote négatif (ce qu’il revendique), la voie de l’autodétermination doit pouvoir rester ouverte. Il n’est donc pas question de lever définitivement l’incertitude en se précipitant au vote. La démocratie est par nature, faite d’incertitude, une génération ne pouvant « assujettir à ses lois les générations futures », pour reprendre les termes de la Déclaration des droits annexée à la Constitution française de 1793.
Pour approfondir ces réflexions, une conférence d’actualité s’est tenue ce lundi 5 octobre 2020 de 17h30 à 19h30 à Brest afin d’appréhender les enjeux et perspectives du processus d’autodétermination actuellement à l’œuvre en Nouvelle-Calédonie.
Zérah Brémond