Sur les deux textes relatifs aux élections municipales qu’il fallait en particulier suivre, c’est finalement celui sur les communes de moins de 1000 habitants qui a été adopté en premier, tandis que le texte PLM se fait finalement attendre : la discussion en séance publique au Sénat est prévue aujourd’hui même le 8 octobre 2025. A noter que l’on attend aussi, vieux serpent de mer, le sort de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local (dont on attend notamment une extension du congé pour campagne électorale à une durée de 20 jours contre 10 jours aujourd’hui).
Il s’agit en réalité de deux textes. La proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité, n° 1105, déposée le mercredi 12 mars 2025 à l’Assemblée Nationale, a été adoptée dans les termes du Sénat, ce qui a permis d’éviter une nouvelle navette au texte.
Cette proposition de loi est accompagnée d’une Proposition de loi organique visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité, qui fera donc l’objet d’un contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel, adoptée essentiellement à des fins légistiques (modification de l’article LO 141 sur le cumul des mandats pour remplacer la référence au mode de scrutin par la taille de la commune, 1000 habitants et plus, même chose pour l’article LO 247-1 concernant la mention de la nationalité des candidats sur les bulletins de vote, abrogation de l’article LO 255-5 concernant la mention de la nationalité dans la candidature pour les communes de moins de 1000 habitants).
Le coeur de la réforme se situe donc dans la loi ordinaire. De ce point de vue, comme nous avons eu l’occasion de l’écrire dans une très récente tribune de l’AJDA intitulée « Le tir au pigeon est-il l’ennemi de la démocratie ? », si beaucoup de commentaires ont été consacrés à la possible réforme de la loi Paris Lyon Marseille de 1982, la réforme du système électoral dans les communes de moins de 1000 habitants semble susciter moins d’intérêt. Pourtant, la réforme de la loi PLM pourrait n’être que l’arbre qui cache la forêt. Paris (2.133.111 habitants), Lyon (522.250) et Marseille (873.076) comptaient à elles trois 3.528.437 habitants en 2021. Cependant, il existe en France 24960 communes de moins de 1000 habitants (71 % des communes), abritant 8.774.772 personnes (13 % de la population).
Ce texte a été adopté en faveur de la parité, conformément aux engagements pris dans l’article 28 de la loi n°2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. Par ailleurs le système électoral dans les communes de moins de 1000 habitants avait ses détracteurs. La rapporteure du texte dans sa dernière mouture à l’Assemblée Nationale indiquait ainsi qu’il s’agissait de la « fin d’un scrutin dépassé, applicable de façon circonscrite aux élections des conseils municipaux des seules communes de moins de 1 000 habitants, et dont le système de panachage a pour conséquence une forte personnalisation de l’élection, fragilisant par là même les projets collectifs qui pourraient être portés par le conseil municipal. Ce système, parfois surnommé « tir au pigeon », qui permet au citoyen de rayer le nom d’un candidat a en effet des effets pervers : il décourage l’engagement et les vocations dans de petites communes, il est vécu comme une véritable punition dont sont bien souvent victimes les maires sortants qui ne sont jamais le conseiller le mieux élu, ce qui affaiblit leur légitimité lors de l’élection du maire par les conseillers municipaux, et il se révèle un obstacle à la réalisation de projets collectifs par une équipe municipale ».
L’objet de ce texte est donc d’aligner le mode de scrutin des communes de moins de 1000 habitants avec celui des communes de 1000 habitants et plus. Il n’existera donc plus le scrutin plurinominal majoritaire avec panachage, en vigueur semble-t-il depuis 1884. On y appliquerait le scrutin de liste paritaire sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l’ordre de présentation prévu par l’article L. 260 du code électoral, et la prime majoritaire de la moitié des sièges pour la liste gagnante prévue par l’article L. 262 du code électoral. La parité serait étendue à l’élection de l’exécutif municipal. La rapporteure indique ainsi « Votre rapporteure en est convaincue : le scrutin de liste va permettre de donner un nouveau souffle à la démocratie locale en attirant de nouveaux talents, qu’ils soient féminins d’abord puisqu’il faudra nécessairement augmenter la part des femmes dans les conseils municipaux, mais aussi masculins par le renouveau profond du mode fonctionnement des équipes municipales qu’il induit. Dans toutes les communes, une équipe solidaire sera élue pour porter un projet politique ; l’élection se fera autour du triptyque « une commune, une liste, un projet ».
Cependant, pour tenir compte des spécificités des communes de moins de 1 000 habitants et notamment de la difficulté récurrente à trouver des candidats, le texte prévoit la possibilité de déposer des listes incomplètes présentant deux candidats de moins que l’effectif légal et celle de déposer des listes comportant deux candidats supplémentaires à l’effectif légal, le maintien des élections complémentaires, c’est-à-dire pour les seuls sièges à pourvoir, déclenchées dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, si le conseil municipal n’est plus au complet en cours de mandat, l’extension du principe de complétude du conseil municipal aux communes de 500 à 999 habitants lorsque celui-ci compte jusqu’à 2 membres de moins que l’effectif légal et une dérogation à la règle du remplacement par une personne de même sexe en cas de vacance d’un ou plusieurs postes d’adjoint. Comme nous l’avons vu les choses restent simplifiées pour les bulletins de vote concernant les candidats européens.
En revanche, deux mesures ne figurent plus dans le texte dans sa version examinée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale :
– l’extension aux communes de moins de 1 000 habitants du système de « fléchage » pour l’élection des conseillers communautaires prévue à l’article 1er bis a été supprimée en séance au Sénat, le mode actuel de désignation des conseillers communautaires pour ces communes, c’est-à-dire dans l’ordre du tableau, est donc conservé ;
– l’article 4 qui prévoyait que la répartition des fonctions de vice‑président des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) par sexe s’effectue en proportion de la répartition par sexe des membres de l’organe délibérant pris dans son ensemble a été supprimé en commission à l’Assemblée nationale et cette suppression a été confirmée par le Sénat. Aucune modification de la composition des exécutifs intercommunaux n’est donc prévue par ce texte.
Il faut souligner ici qu’il est prévu que le texte s’appliquera immédiatement pour le prochain renouvellement général des conseils municipaux soit en mars 2026. Des amendements avaient été adoptés en séance pour reporter son application au 1er janvier 2032, considérant par exemple que « Si on peut être unanimes sur la finalité des dispositions défendues à travers cette proposition de loi, l’instauration de cette méthode de scrutin pour ces petites communes risque d’aggraver la situation en limitant le nombre de candidats, faute de pouvoir constituer une liste. A un an des élections municipales, rien ne justifie une telle réforme qui pourrait déstabiliser les communes et engendrer des complications là où il n’en existait pas. Dans le contexte actuel, encore plus à une date si rapprochée du scrutin, il ne semble pas possible adopter des telles dispositions alors que le recrutement d’élus dans les communes de moins de 1 000 habitants constituait déjà en soi une difficulté ». Cependant sur demande du Gouvernement cet amendement finalement a été rejeté et le texte d’appliquera dès les élections de mars 2026.
En effet comme le note la rapporteure, « les aléas de la navette parlementaire ne permettront pas de respecter l’article L. 567-1 A du code électoral ([12]), issu d’une tradition républicaine, qui prévoit que le régime électoral ou le périmètre des circonscriptions ne peut être modifié dans l’année qui précède le premier tour d’un scrutin. Si cette disposition ne s’impose pas au législateur qui peut y déroger au cas par cas, il convient, en responsabilité, de garantir la stabilité du droit applicable en matière électorale. Une adoption conforme et donc définitive en deuxième lecture à l’Assemblée nationale de la présente proposition de loi, permettrait d’avoir un délai entre l’entrée en vigueur de la réforme et les élections municipales d’environ onze mois. Ce délai apparaît acceptable et semble suffisant pour informer largement les citoyens de la modification du mode de scrutin et pour permettre aux élus locaux de constituer leurs listes. Votre rapporteure invite donc l’ensemble de ses collègues parlementaires à adopter la proposition de loi ainsi que la proposition de loi organique dans leur version issue du Sénat pour garantir leur adoption définitive et leur promulgation rapide ». Ce qui fut fait.
En effet, en vertu du principe de stabilité du droit dans l’année qui précède le scrutin, introduit dans le code électoral par la loi du 2 décembre 2019 à l’article L567-1 A du code électoral : « Il ne peut être procédé à une modification du régime électoral ou du périmètre des circonscriptions dans l’année qui précède le premier tour d’un scrutin ». Dans l’idéal, il en résulte que toute modification du régime électoral des élections municipales (et communautaires) qui se dérouleront en 2026 devrait être adoptée avant mars 2025. Cependant, il ne faut guère s’en inquiérer. D’abord parce que la valeur purement législative de l’article L567-1 A du code électoral fait qu’une nouvelle loi pourra l’écarter. Ensuite parce que les risques d’inconstitutionnalité sont faibles : il faut rappeler ici que dans une décision n°2008-563 DC, le Conseil constitutionnel a refusé de consacrer un PFRLR impliquant la non-modification d’un mode de scrutin dans l’année précédant l’élection. Une promulgation en avril 2025 pour le mois de mars 2026 devrait donc ne poser aucun problème, il existe des précédents (par exemle mai 2013 pour mars 2014 pour les municipales ou juin 2018 pour mai 2019 pour les européénnes), d’autant que le Conseil constitutionnel procèdera rapidement au contrôle obligatoire de la loi organique.
Le débat est ouvert concernant l’utilité de cette réforme. Le panachage permet un choix, mais il peut être présenté comme un « tir au pigeon » des sortants. Les rapports interpersonnels sont ambivalents : vote-t-on pour des personnes ou pour un projet politique ? Faut-il clarifier la désignation du maire… à condition qu’il y ait des vocations et qu’il ne démissionne pas ?
On se contentera ici d’une observation tirée de l’enseignement. Invariablement ou presque, lorsque l’on demande à des étudiants de classer par ordre « démocratique » les modes de scrutin des élections locales, ils placent les communes de moins de 1000 habitants en première place. Du fait de la proximité et du panachage. La plupart du temps, ils oublient même la parité comme critère de sélection (37,6 % de conseillères municipales dans ces communes contre 48,5 % dans les autres). C’est pourtant en son nom que ces propositions de loi ont été portées. Ces étudiants ont-ils raison ? Ce sera en tout cas pour eux la fin d’un mythe.
En droit des élections politiques, ce mode de scrutin avait au moins le mérite d’être différent. Le chercheur perd un objet d’études. L’étudiant quelque chose à apprendre. La France une ingénierie démocratique originale. « Votre rapporteure en est convaincue : le scrutin de liste va permettre de donner un nouveau souffle à la démocratie locale en attirant de nouveaux talents, qu’ils soient féminins d’abord puisqu’il faudra nécessairement augmenter la part des femmes dans les conseils municipaux, mais aussi masculins par le renouveau profond du mode fonctionnement des équipes municipales qu’il induit » : mais n’est-ce pas trop demander à un mode de scrutin que de résoudre la crise démocratique ?
Romain Rambaud
