Chers lecteurs,
Suite au succès (et ce n’était pas acquis !) de la conférence citoyenne sur les élections départementales du 18 mars 2015, vous trouverez ci-dessous le texte de l’intervention de Jean-Pierre Grandemange….
Bonne lecture !
« Les 22 et 29 mars prochains, aura lieu l’élection des assemblées délibérantes chargées de régler par leurs délibérations les affaires des départements, et il se pourrait bien que cela se produise pour la dernière fois.
C’est du moins ce que l’on peut supposer, si l’on se réfère aux propos tenus par le Premier ministre, monsieur Manuel Valls, devant l’Assemblée nationale, le 8 avril dernier, dans son discours de politique générale.
Il y annonçait leur suppression à l’horizon 2020, et même si le propos a été nuancé depuis, il n’en demeure pas moins que le département est fréquemment présenté comme un échelon de trop dans notre fameux mille feuilles administratif. En effet, il présente le défaut de se retrouver coincé entre des intercommunalités, sans cesse plus vastes, et dont les métropoles constituent le nec plus ultra, et des méga-régions dont la taille vient d’augmenter (Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral).
Le département ne constituerait donc plus qu’un vestige d’un passé révolu qu’il serait souhaitable, voire indispensable, de voir disparaître, pour permettre à notre pays de mieux faire face aux défis auxquels il est confronté, notamment sur le plan économique.
Les nostalgiques de la souveraineté nationale y voient une étape supplémentaire dans la marche vers la substitution du vieux triptyque, issu de la révolution française, et constitué des communes, des départements et de l’Etat, par celui, au sein duquel, au dessus des intercommunalités et des régions, on trouverait l’Union Européenne à la place de l’Etat.
Un premier pas a, d’ailleurs, déjà été franchi, au 1er janvier 2015. Le département du Rhône est désormais amputé de la partie de son ancien territoire qui comprend la métropole lyonnaise.
Ce sort attend, peut être, les autres départements, qui ne subsisteraient, au mieux, que dans leurs parties rurales, dont aucune puissante intercommunalité ne voudrait.
En attendant cet éventuel dépeçage, les départements vont se doter de nouvelles assemblées délibérantes, les conseils départementaux, composés de nouveaux élus, les conseillers départementaux, élus en application d’un nouveau mode de scrutin, le scrutin majoritaire binominal paritaire à 2 tours (I), au sein de nouvelles circonscriptions (II), et dotés de nouvelles compétences (III).
I Un nouveau mode de scrutin : le scrutin majoritaire binominal paritaire à deux tours
Jusqu’à présent, les conseillers généraux étaient élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours, soit le même mode de scrutin que celui utilisé, traditionnellement, pour l’élection des députés. Ce mode de scrutin est très simple, puisqu’à défaut qu’un candidat obtienne plus de 50% des suffrages exprimés, représentant plus d’un quart des suffrages des électeurs inscrits, un second tour est organisé, et à l’issue de celui-ci, est élu le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages (article L 193 du code électoral).
Lorsque, en 2010, la loi (n° 2010-1563 du 16 décembre 2010) de réforme des collectivités territoriales a créé le conseiller territorial, qui devait assumer les fonctions de conseiller régional et de conseiller général, c’est ce mode de scrutin qui avait été retenu, et ceci, en dépit de ses incidences (indirectes) négatives sur la représentation des femmes au sein de ces assemblées.
Depuis, la loi (n° 2013-403) du 17 mai 2013, relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, a supprimé le conseiller territorial (avant même qu’il ait pu exercer ses fonctions). Cette loi a aussi prévu (à compter du 22 mars prochain) que les conseillers généraux soient remplacés par des conseillers départementaux et que ces derniers soient élus en application d’un mode de scrutin original, le scrutin binominal, paritaire, majoritaire, à 2 tours.
De type majoritaire, ce mode de scrutin risque de ne pas favoriser « les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation », que la loi est pourtant censée garantir, en vertu de l’article 4 de la Constitution. En outre, il faut souligner qu’en 2010 (article 2 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales), le législateur a fait passer, de 10% des électeurs inscrits à 12,5% des électeurs inscrits, le seuil de suffrages nécessaire pour qu’un candidat puisse se maintenir au second tour, et ceci afin de limiter le nombre de triangulaires (article L 201-1 du code électoral). Cette disposition, qui n’a pas été remise en cause, lors du remplacement du conseiller territorial par le conseiller départemental en 2013, devrait, logiquement, atteindre le but qui lui était assigné, mais pas nécessairement au détriment du parti politique qui était censé en faire les frais.
En revanche, ce nouveau mode de scrutin garantira une représentation paritaire des femmes et des hommes au sein des conseils départementaux, grâce au mécanisme prévu par l’article L 191 du code électoral. Selon ce texte, « Les électeurs de chaque canton du département élisent au conseil départemental deux membres de sexe différent, qui se présentent en binôme de candidats dont les noms sont ordonnés dans l’ordre alphabétique sur tout bulletin de vote imprimé à l’occasion de l’élection ».
Les conseils départementaux comprendront donc un nombre pair de conseillers, et la moitié d’entre eux sera forcément de sexe féminin. Le changement risque d’être brutal pour ces assemblées qui présentent la caractéristique d’être, à ce jour, les moins féminisées de France. On n’y dénombre ainsi que 13 femmes sur les 57 membres du Conseil Général de l’Isère, 7 sur les 36 du Conseil Général de la Drôme et 2 sur les 33 du Conseil Général de l’Ardèche où aucune femme n’avait, d’ailleurs, jamais siégé jusqu’en 2008.
Cet état de fait n’est pas vraiment surprenant car l’élection de ces conseillers n’avait encore jamais été touchée par des dispositions de type paritaire, à la différence de ce qui s’est passé en ce qui concerne les conseils municipaux et régionaux. C’est ainsi que la loi (n° 2000-493) du 6 juin 2000, tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives a instauré l’obligation qu’à l’occasion des élections municipales (dans les communes de plus de 3500 habitants), mais aussi régionales, européennes et sénatoriales (lorsque ces dernières ont lieu à la représentation proportionnelle), l’écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne puisse être supérieur à un, dans chacune des listes. Cette loi exigeait également que chaque liste soit « composée alternativement d’un candidat de chaque sexe », pour les élections régionales, européennes et sénatoriales, et ce principe a été étendu aux élections municipales, dans les communes de plus de 3500 habitants, par la loi (n° 2007-128) du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
En conséquence, le pourcentage de femmes a augmenté de façon notable au sein de ces assemblées.
Il a atteint 48,5 % dans les communes de plus de 3500 habitants, à la suite des scrutins municipaux organisés en mars 2008, et le pourcentage global des femmes conseillères municipales, quelle que soit la taille de la commune, s’est alors établi à 35 %, contre 21,7 %, en 1995. L’élargissement de cette exigence aux communes de plus de 1000 habitants, a même permis de faire passer le pourcentage de femmes dans l’ensemble des conseils municipaux à 40,3%, en 2014.
De même, alors que seuls 27,5 % des conseillers régionaux étaient de sexe féminin, en 1998, celles-ci représentent 48 % de ces conseillers, depuis les élections de 2010.
En revanche, le résultat a été moins probant en ce qui concerne les élections sénatoriales, le nombre de sénatrices ne progressant guère depuis quelques années. Alors que leur pourcentage était passé de 10,3% à 16,9%, entre 1998 et 2001, puis à 21,9%, en 2008, il n’est monté qu’à 22,1%, en 2011, puis à 25%, en 2014. Ce « ralentissement dans la progression » de la parité s’explique par le fait que l’obligation de constituer des listes paritaires ne concerne pas tous les départements (mais seulement ceux où les sénateurs sont élus à la proportionnelle), mais aussi en raison du classement presque systématique des candidates en deuxième, quatrième position, et ainsi de suite, dans les départements où le scrutin est proportionnel. Ces choix, politiques, conduisent, mécaniquement, à réduire la présence des femmes au sein du palais du Luxembourg à chaque fois qu’une liste obtient un nombre impair de sièges.
Le même phénomène s’observe, également, à l’Assemblée nationale où, en l’absence de mesures réellement contraignantes, le pourcentage de femmes n’est passé que de 12,1% à 26,9% entre 2002 et 2012. L’influence de la législation réduisant l’aide publique aux partis et groupements politiques qui ne respectent pas la parité au niveau des candidatures aux élections législatives (article 9-1 de la loi du 11 mars 1988), commence à montrer ses limites.
Le risque était donc grand que la composition des conseils généraux demeure excessivement masculine si l’on se refusait à élire leurs membres au scrutin proportionnel. Pour des raisons tenant à la volonté de conserver un certain lien entre les électeurs et leurs représentants au sein de l’assemblée départementale, mais aussi pour d’autres moins avouables (la crainte de permettre l’entrée en force du Front national dans ces organes), le choix a, cependant, été fait de conserver le scrutin majoritaire, mais sous une forme qui garantit la parité.
Les conseils généraux, et leurs 13,8 % de femmes, vivent donc leurs derniers instants, avant de céder la place aux conseils départementaux qui, eux, seront composés, à parité, de représentants des deux sexes. Le fameux binôme de candidats, validé par le juge constitutionnel (Décision n° 2013- 667 DC du 16 mai 2013, considérants 10 et s.), va faire de ces organes délibérants les plus féminisés de France. De 544 femmes conseillères générales, présentes dans ces assemblées en 2011, nous allons passer à plus de 2 000 femmes conseillères départementales dans les prochains jours. Plus de 1 500 conseillers généraux sortants (hommes) devront donc passer la main.
Enfin, un « malheur » n’arrivant jamais seul, les « rescapés » de cette « invasion » féminine devront, aussi, partager de façon paritaire les postes exécutifs car les listes de candidats en vue de pourvoir les postes de vices présidents et des autres membres de la commission permanente devront être composées, alternativement, d’un candidat de chaque sexe (article L. 3122-5 du code général des collectivités territoriales).
II De nouvelles circonscriptions : Des cantons établis sur des bases essentiellement démographiques
Etablis sous la Révolution française, la plupart des cantons n’ont pas connu de modification de leur limites géographiques depuis lors, et ceci en dépit des phénomènes démographiques intervenus au XIXème et XXème siècle. Ainsi, des écarts démographiques et des inégalités entre cantons, au sein d’un même département, se sont creusés. Le rapport entre le canton le plus peuplé et le canton le moins peuplé pouvait atteindre un rapport de un à quarante-sept. Dans quatre-vingt huit départements, ce rapport était supérieur à un à cinq ; dans quarante-neuf départements, il était supérieur à un à dix et dans dix-huit départements, il était supérieur à un à vingt (voir l’exposé des motifs de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires).
Imposé par la loi (n° 2013-403) du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, le redécoupage des cantons devait obéir à deux séries de règles.
La première, précisée à l’article 4 de cette loi, prescrivait une division du nombre de cantons par deux, afin de ne pas augmenter le nombre de ces élus, avec toutefois un minimum de 17 cantons pour les départements de plus de 500000 habitants et un minimum de 13 pour les départements de plus de 150000 habitants.
La seconde, développée à l’article 46 de la loi du 17 mai 2013, et validée par le Conseil constitutionnel (CC n° 2013-667 DC du 16 mai 2013), fixait certaines directives en ce qui concerne la délimitation de ces nouveaux cantons. Elle exigeait, principalement, que ce redécoupage s’opère sur des bases essentiellement démographiques (et aussi que le territoire de ces cantons soit continu et que toute commune de plus de 3500 habitants soit intégralement incluse dans un canton), tout en admettant qu’il puisse être apporté à ces règles des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ou par d’autres impératifs d’intérêt général.
Saisi à de nombreuses reprises (environ 2500 requêtes ont été formées à l’encontre des 98 décrets en Conseil d’Etat pris par le Premier ministre en février 2014) de la légalité des découpages opérés, le juge administratif a veillé à l’application de ces critères. Il a ainsi posé le principe en vertu duquel un écart de l’ordre de plus ou de moins 20% par rapport à la moyenne de la population par canton au sein du département était conforme à l’exigence de respecter les bases essentiellement démographiques (CE 5 novembre 2014, M. Ceccaldi et autres, Commune de Ners et autres). Cette position n’est pas sans rappeler la jurisprudence que le Conseil constitutionnel a développée, en matière de répartition de sièges de députés (CC n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009) et de conseillers territoriaux (CC n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010). Au-delà, le principe d’égalité de suffrage n’est, en principe, pas respecté, car les élus n’assurent plus la représentation d’une fraction sensiblement identique de la population. Toutefois, ce principe, comme tout principe, peut connaître des exceptions, mais de portée limitée (il n’y en a eu que 29 sur 2054 cantons), et à la condition qu’elles soient justifiées. C’est à ce titre que le juge administratif a vérifié que certaines de ces exceptions étaient bien conformes à ce qui était prévu par la loi (et jugé conforme à la Constitution par le juge constitutionnel). Il a ainsi jugé que le principe d’égalité de suffrage n’était pas violé lorsque l’écart de la population d’un canton à la moyenne départementale, même conséquent (- 43,55% pour un canton de Corse-du-Sud) était justifié par un cumul de contraintes géographiques comme le relief et les caractéristiques particulières des voies de communication.
Cette prépondérance du critère démographique va modifier l’essence même des conseillers départementaux. Alors qu’ils représentaient, jusqu’alors, des territoires, ils représenteront, désormais, des populations. Et il en ira ainsi, même lorsque la moyenne de la population de leur canton s’écartera de presque plus ou moins 20% par rapport à la moyenne départementale, voire au-delà.
Les territoires ruraux, montagnards, qui bénéficiaient d’une nette sur représentation n’en disposeront plus, et leurs représentants ne pèseront désormais plus beaucoup au sein de l’assemblée départementale. Ainsi, dans la Drôme les cinq cantons du Diois qui envoyaient cinq représentants au sein du Conseil général n’en enverront plus que deux, élus dans un gigantesque canton qui regroupe les cinq précédents.
Le même phénomène peut s’observer en Isère avec le canton de Matheysine-Trièves formé approximativement par le regroupement de six anciens cantons du sud-ouest isérois et qui verra donc sa représentation divisée par trois (tout en bénéficiant encore d’une sur représentation par rapport à la moyenne départementale).
Parfaitement justifiée sur le plan juridique, ce nouveau découpage risque d’accentuer le clivage, la fracture diront certains, entre les espaces urbains, disposant de nombreux relais au sein de l’assemblée départementale, et les périphéries où pourrait se développer un sentiment d’abandon, de relégation.
III Des compétences à préciser
La troisième nouveauté, concernant les élections départementales, réside dans le fait que les candidats à ces fonctions ne savent pas encore, exactement, quelles seront les compétences qu’ils auront à exercer. Le fameux projet de loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République, qui vise, notamment, à réorganiser, en la rationnalisant, la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et les intercommunalités, a été déposé sur le bureau du Sénat le 18 juin 2014. Après avoir été examiné par la Haute assemblée du 16 décembre 2014 au 27 janvier 2015, ce texte a été transmis à l’Assemblée nationale, le 28 janvier 2015 et cette dernière vient tout juste d’achever son examen le 10 mars, avant de le transmettre au Sénat, le lendemain. Son adoption définitive n’est donc pas prévue avant plusieurs semaines.
Il n’en demeure pas moins que le principal bénéficiaire de ce texte devrait être l’échelon régional. Il devrait se voir confier la responsabilité du développement économique, aux côtés de l’Etat, mais aussi le logement et l’habitat, la politique de la ville et de rénovation urbaine, et bénéficier d’un renforcement de son rôle en matière de transports. Le projet gouvernemental prévoyait même que la gestion de la voirie départementale (article 9) et des collèges (article 12) lui soient confiées, ce que le Sénat a supprimé en première lecture.
A l’inverse, le département devrait faire figure de grand perdant, certaines de ses compétences étant transférées aux métropoles, d’autres aux régions. Au final il ne devrait plus bénéficier que d’une compétence principale en matière de solidarité sociale et territoriale et d’une compétence partagée pour les domaines de la culture, du sport et du tourisme.
En attendant que ces compétences soient définitivement fixées, on peut craindre que ces incertitudes favorisent l’abstention, qui ne cesse de se croître dans notre pays, réserve faite des élections présidentielles.
Jean-Pierre Grandemange