Dans le premier article que nous avons consacré sur ce blog à l’élection présidentielle américaine et à ses rapports avec les sondages, nous avons fait référence et cité, comme tant d’autres observateurs, le site de synthèse des différents sondages réalisés aux Etats-Unis par Nate Silver, le blog FiveThirtyEight.
Ce site, qui donnait déjà vainqueur Obama il y a une semaine, a confirmé et même renforcé ses prévisions, n’hésitant pas à affirmer que, fort du soutien de 50.5 % des suffrages populaires et de 303 grands électeurs (contre 234 pour son rival), Obama a 80 % de chances de gagner l’élection ! Ces résultats sont certes confirmé, mais dans une bien moindre mesure, par le site Realpolitics, lequel donne 201 grands électeurs pour Obama, 191 pour son adversaire et 146 indécis. La nuance est de taille.
Or, Le Monde nous apprend aujourd’hui qu’une part du débat électoral aux Etats-Unis ces jours-ci porte sur la question suivante : mais qui est donc ce mystérieux Nate Silver, dont le blog comparatif de sondages semble faire de plus en plus autorité parmi les observateurs ?
Si la question est politique aux Etats-Unis, le point de vue français conduirait à la poser également en des termes juridiques, et nous avions d’ailleurs souligné cette difficulté dans notre article précédent comme une problématique relevant du droit des sondages : comment appréhender ces sites de synthèse des différents sondages ? Sont-ils fiables, sont-ils contrôlés, qu’en penser du point de vue de la démocratie ? Voilà un problème bien exotique pour ceux s’intéressent, en France, au droit des sondages…
La question mérite d’être posée : alors que les sondages nationaux donnent Obama et Romney au coude-à-coude, l’assurance de Nate Silver a de quoi désarçonner. En tout cas, la polémique enfle, ainsi que le laisse entendre l’article du Monde, qui titre « Nate Silver, le jeune statisticien promu gourou de la prédiction politique ».
Nate Silver est un statisticien de 34 ans, connu pour avoir développé un logiciel destiné aux statistiques de baseball et de poker.Un rapport avec les jeux qui peut étonner et qui n’est pas sans lien avec ces derniers, puisque les sites de paris sportifs donnent aussi Obama gagnant des élections… Mais de quoi parle-t-on ?
Nate Silver construit son modèle sur la base de la méthodologie suivante : il compile les sondages des 136 instituts de sondage américains (dont 53 actifs), en fait la moyenne, puis les équilibre par les sondages New York Times/CBS News ou Wall Street Journal/NBC News, qui comportent davantage d’éléments quantitatifs que les séries quotidiennes. Puis il ajoute à ces sondages dix ou vingt sondages réalisés par cinq à dix instituts dans les différents Etats, en particulier dans les swing states, dont l’importance est capitale pour l’élection en termes de grands électeurs.
Modèle rigoureux ou cuisine sondagière invraisemblable ? Très attaqué par les républicains, qui ont remis en cause son impartialité politique, Nate Silver, qui avait correctement prévu les résultats de l’élection dans 49 Etats en 2008, a été défendu par le Washington Post, considérant ce modèle comme un simple agrégateur de sondages. Le jeudi 1er novembre, Nate Silver est venu dans l’émission « Morning Joe » sur MSNBC afin de défendre son modèle : l’échange a fini par un pari à 1000 dollars sur la véracité des chiffres, car il faudra bien attendre le 6 novembre pour savoir. Le jeu, toujours….
Néanmoins, que Nate Silver se trompe ou non, le problème reste entier. En effet, les républicains mécontents n’auront pas manqué de mettre en oeuvre la contre-attaque : c’est ainsi qu’ils ont créé leur propre site, le site Unskewedpolls, qui chercher donc à rétablir la vérité… en redressant les sondages dans un sens beaucoup plus favorable à Romney.
Sans mauvais jeux de mots visant le candidat républicain, on peut donc se demander : à quel saint se vouer ?
En toute hypothèse, cette polémique et plus généralement les débats sur les sites internet de synthèse de sondages aux Etats-Unis démontrent deux choses, notamment du point de vue français :
D’une part, que ceux qui pensaient que le recours aux sondages posait problème en France n’ont rien vu. Une étude plus approfondie sur le système américain est donc plus que jamais indispensable. Et il y a manifestement du travail.
D’autre part, que le système administratif français, garantissant un contrôle de la part d’une autorité indépendante, légitime en vertu du droit, et à la compétence statistique et juridique reconnue, susceptible d’être soumise à un légitime examen des observateurs, est sans doute préférable à un tel modèle d’autorégulation.
Research in progress…
Romain Rambaud