Boule puante sans conséquence ou révélation importante ? Mercredi 2 juin, le Canard Enchaîné publiait un article intitulé « La tête de liste RN Thierry Mariani manque d’adresse dans sa région », dans lequel il était soutenu que M. Mariani aurait fait valoir un faux domicile à Avignon, correspondant à la location d’un studio meublé appartenant à Anne-Sophie Rigault, ancienne tête de liste RN aux élections municipales. L’intéressé aurait lui-même déclaré au journaliste du célèbre palmipède : « Je n’y passe pas ma vie, c’est vrai, mais j’y ai dormi quelques fois ». Cette location, réalisée en vue des élections municipales de 2020 et dont le bail a été enregistré aux services des impôts le 20 janvier 2020, lui aurait permis d’abord de s’inscrire sur les listes électorales d’Avignon et pouvoir ainsi se présenter aux élections municipales, conformément à l’article L. 228 du code électoral en vertu duquel « Sont éligibles au conseil municipal tous les électeurs de la commune et les citoyens inscrits au rôle des contributions directes ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits au 1er janvier de l’année de l’élection ». Elle lui aurait ensuite permis, plus tard, de justifier de son éligibilité pour les élections régionales en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, conformément à l’article L. 339 du code électoral qui dispose que « Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits avant le jour de l’élection, qui sont domiciliés dans la région ou ceux qui, sans y être domiciliés, y sont inscrits au rôle d’une des contributions directes au 1er janvier de l’année dans laquelle se fait l’élection, ou justifient qu’ils devaient y être inscrits à ce jour ».
Nous n’entrerons pas ici dans les détails de l’analyse juridique concernant l’impact de cette révélation et ses potentielles conséquences au niveau électoral voire pénal : nous avons déjà consacré un article à cette question. M. Mariani a semble-t-il confirmé qu’il n’est pas domicilié à Avignon (en droit, il ne peut exister qu’un seul « domicile réel ») ou n’y réside pas à titre habituel de façon réelle et continue. Un recours en radiation a été déposé et l’audience aura lieu mercredi 16 juin. M. Mariani encourt le risque d’être radié des listes électorales mais également un risque pénal puisque l’article L. 88 du code électoral prévoit que « Ceux qui, à l’aide de déclarations frauduleuses ou de faux certificats, se seront fait inscrire ou auront tenté de se faire inscrire indûment sur une liste électorale, ceux qui, à l’aide des mêmes moyens, auront fait inscrire ou rayer, tenté de faire inscrire ou rayer indûment un citoyen, et les complices de ces délits, seront passibles d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros ».
Cependant, contrairement à ce qu’indique semble-t-il l’auteur du recours, même si M. Mariani était radié des listes électorales, cela n’aurait pas pour effet automatique nous semble-t-il de le rendre inéligible, car le droit impose pour être éligible non pas d’être inscrit sur une liste électorale, mais de justifier devoir y être inscrit, c’est-à-dire avoir la qualité d’électeur (18 ans, nationalité française, ne pas être privé de ses droits civils et politiques). Par ailleurs, pour les élections régionales, le lieu d’inscription sur les listes électorales est indifférent : il n’est pas obligatoire d’être inscrit dans une commune de la région. Dans un tel cas de figure, Thierry Mariani pourrait rester tête de liste dans la région PACA, tout en n’étant plus en situation de voter… pour lui-même.
En effet, pour être éligible dans une région, il faut outre sa qualité d’électeur (en général) prouver une attache avec la région, qui est soit la domiciliation, soit un rattachement fiscal. N’étant pas domicilié dans la région (v., pour l’annulation de l’élection de Dominique Reynié en tant que conseiller régional de la région Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées en 2016 pour défaut de domiciliation réelle, CE, 27 mai 2016, n°395414), ce qui fonde l’attache régionale de M. Mariani est le fait qu’il justifie devoir être inscrit au rôle d’une des contributions directes au 1er janvier de l’année de l’élection. Il s’agit en l’espèce de l’assujettissement à la taxe d’habitation pour 2021 correspondant à son bail enregistré le 20 janvier 2020. Sur un plan strictement formel, M. Mariani est de ce seul fait éligible. Autrement dit, celui-ci a utilisé une technique, l’enregistrement d’un bail auprès des impôts avant le 1er janvier de l’année de l’élection, qui est certes connue, mais qui n’est pas dépourvue de risques. En effet, le juge électoral pourrait être saisi a posteriori d’un recours, auquel cas il pourrait vérifier trois éléments : la date certaine du bail, qui en l’espèce est garantie par son enregistrement le 20 janvier 2020, le fait que le local est redevable de la taxe d’habitation, c’est-à-dire qu’il est meublé et destiné à l’habitation (v., le précédent contraire de Jean-Marie Le Pen en PACA, CE, 16 fev. 2005, n°266322), mais aussi que les conditions de la conclusion et de l’enregistrement du bail, associées aux circonstances de l’espèce et aux résultats de l’élection, ne sont pas constitutives d’une manœuvre ayant affecté la sincérité du scrutin, c’est-à-dire altéré frauduleusement la volonté des électeurs (CE, El. Mun. de Château-Thierry, 29 juillet 2002, n°239440 ; CE, El. mun. de Vitry-le-François, 29 juill. 2002, n°240049 ; CE, El. Mun. de Froissy, 17 juin 2015, n°382880, a contrario). Il ne faudrait pas en effet que le simple enregistrement d’un bail suffise à écarter toute possibilité de manœuvre : cela conduirait à instaurer une distinction entre le « mauvais » fraudeur, celui qui n’a pas pensé à enregistrer son bail, et le « bon » fraudeur, celui qui l’a fait. Ce serait une véritable incitation à la fraude. Tout dépendra cependant en l’espèce de nombreuses circonstances, notamment l’écart de voix, qui pourrait conduire le juge à considérer que la sincérité du scrutin n’a été altérée.
En tout état de cause, cette affaire soulève une question de fond très sérieuse bien au-delà du seul cas de Thierry Mariani, celle du « tourisme électoral » au détriment des intérêts des collectivités territoriales. Est-il normal qu’il soit possible de se rendre éligible à des élections locales n’importe où en France grâce au simple enregistrement, s’il le faut aux derniers jours du mois de décembre, du bail d’un appartement meublé auprès des services des impôts ? De ce point de vue, compter sur la disparition progressive de la taxe d’habitation pour mettre fin aux manœuvres est un pari risqué, non seulement parce qu’un nouvel impôt est toujours susceptible de surgir, mais aussi parce que ce qui vaut pour la taxe d’habitation vaut pour les autres contributions. Est-il normal que le fait d’acheter un bien soumis à la taxe foncière par acte notarié au mois de décembre de l’année précédant l’élection garantisse de façon presque parfaite l’éligibilité ? Si on peut voir dans cette règle le maintien d’une conception propriétariste du rattachement à une collectivité locale (ces règles pour les élections départementales datent de la loi du 10 août 1871, l’article L. 194 du code électoral prévoyant aujourd’hui encore pour ces élections une éligibilité liée au fait d’avoir « hérité depuis la même époque d’une propriété foncière dans le département »), l’argument est-il encore valable lorsqu’il s’agit d’acheter un garage, technique elle aussi éprouvée par les initiés ? La règle est-elle équitable sur le plan démocratique alors qu’elle place dans des situations différentes ceux qui ont les moyens financiers d’acheter un bien, et qui peuvent alors se rendre éligibles partout, et ceux qui ne le peuvent pas ? La nature, par ailleurs, a horreur du vide : il paraît, aussi, que des manœuvres à l’inscription au rôle de la cotisation foncière des entreprises existent (Conseil d’État, 1ère chambre, 22/04/2021, n°446026).
En conclusion, les dispositions prévoyant que l’inscription (effective ou qui aurait dû être faite) au rôle d’une contribution directe suffit à rendre éligible au niveau des élections locales (L. 194, L. 228, L. 339) encouragent des pratiques qui, bien qu’autorisées en principe sous réserve du contrôle du juge électoral, constituent autant de failles légales propices aux manœuvres. Pourtant, empêcher ces détournements tout en permettant aux propriétaires et aux locataires légitimes d’être éligibles serait très aisé, en prenant exemple sur les règles prévues pour l’inscription sur les listes électorales (article L. 11 du code électoral) qui supposent d’être inscrit, pour la deuxième fois sans interruption l’année de la demande d’inscription, au rôle d’une des contributions directes. Le simple fait d’exiger, pour les personnes qui ne sont pas domiciliées dans la collectivité territoriale concernée par l’élection, deux années d’affilée d’inscription au rôle, permettrait de faire le tri entre ceux qui ont une attache réelle et suffisamment durable avec la collectivité et ceux qui, au dernier moment, manœuvrent grâce à une bonne connaissance de la loi. Une réforme des critères d’éligibilité pour les élections locales est donc nécessaire.
Romain Rambaud