Demain à 9h30 se tient au Conseil constitutionnel une audience particulièrement attendue, sur l’affaire n°2025-1129 QPC [Démission d’office d’un conseiller municipal ayant été condamné à une peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire], concernant un conseiller municipal de la commune de Dembéni et conseiller communautaire de la communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou, à Mayotte, déclaré démissionnaire d’office par le préfet.
Cette QPC porte sur :
L’article L. 230 du code électoral, en vertu duquel : « Ne peuvent être conseillers municipaux : / 1° Les individus privés du droit électoral (…) ».
L’article L. 236 du même code, en vertu duquel « Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d’inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d’État, conformément aux articles L. 249 et L. 250. Lorsqu’un conseiller municipal est déclaré démissionnaire d’office à la suite d’une condamnation pénale définitive prononcée à son encontre et entraînant de ce fait la perte de ses droits civiques et électoraux, le recours éventuel contre l’acte de notification du préfet n’est pas suspensif ».
Comme l’indique le Conseil d’Etat dans son arrêt de renvoi, et comme l’a consacré de longue date la jurisprudence du juge administratif, « Il résulte de ces dispositions combinées que, dès lors qu’un conseiller municipal ou un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer immédiatement démissionnaire d’office ». La mise en oeuvre de cette règle peut produire des effets il est vrai assez spectaculaires, comme par exemple pour la démission d’office d’Hubert Falco à Toulon. Il est vrai aussi que la solution est inverse pour les parlementaires, puisque ces derniers ne sont déchus de leur mandat qu’en cas de condamnation complètement définitive, l’exécution provisoire n’entraînant pas dans leur cas la déchéance (Conseil constitutionnel, décision n° 2021-26 D du 23 novembre 2021 et Décision n° 2022-27 D du 16 juin 2022). Il existe là une inégalité, jusqu’ici justifiée par la particularité du mandat de parlementaire.
Le Conseil d’Etat a accepté de transmettre une QPC portant sur une interprétation constante, considérant que « Le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit d’éligibilité, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 3 de la Constitution, en tant qu’elles s’appliquent à des élus ayant fait l’objet d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision sur le fondement de l’article 471 du code de procédure pénale, alors que cette sanction n’est pas devenue définitive, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ». En effet, le Conseil d’Etat estime qu’il faut déterminer si, alors que le législateur est compétent, en vertu du septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, pour fixer les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales, la règle est constitutionnelle alors qu’il ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit en vertu de ces dispositions que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur.
C’est évidemment un sujet très important, en particulier pour ceux qui s’intéressent au droit électoral au niveau des collectivités territoriales. Mais en quoi cette QPC pourrait-elle intéresser au delà des geeks du droit électoral ?
Car on lui prête, à tort ou à raison, le fait qu’elle pourrait avoir un effet sur Mme Le Pen dont on attend le jugement et aussi la question de savoir si les juges lui appliqueront une peine d’inéligibiltié et avec exécution prosivoire ou non (voir sur ce point le présent article du blog du droit électoral).
A tort d’abord, parce que les articles L. 230 et L. 236 ne concernent pas directement l’élection présidentielle : la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel ne les cite pas. Ce qui concerne Marine Le Pen est bien davantage l’article L. 199 du code électoral, rendu applicable à l’élection présidentielle par la loi de 1962, qui dispose : « Sont inéligibles les personnes désignées à l’article L. 6 et celles privées de leur droit d’éligibilité par décision judiciaire en application des lois qui autorisent cette privation ». A tort ensuite, parce que la situation de Mme Le Pen est assez différente de celle de l’article d’espèce, qui parle de l’article L. 236 du code électoral, qui concerne les élus en cours de mandat et qui sont frappés d’une peine d’inéligibilité. Situation totalement différente de celle de Mme Le Pen qui pourrait se voir empêchée d’être candidate à l’élection présidentielle, ce qui n’est pas du tout la configuration de l’article dont la constitutionnalité est contestée. On ne peut donc pas dire que la décision du Conseil constitutionnel aurait un impact direct sur la situation de Marine Le Pen ipso facto.
A raison cependant, dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel déciderait dans le cadre de cette affaire, par une sorte d‘obiter dictum, de poser un principe. Si le législateur ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit en vertu de ces dispositions que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur, est-ce que cela signifie que, pour être privé de son droit d’éligibilité y compris dans le cadre d’une candidature seulement, cette privation doit être devenue absolument définitive et que l’exécution provisoire est impossible dans ce cas de figure ?
C’est la question posée et à laquelle le Conseil constitutionnel pourrait répondre… ou pas.
Romain Rambaud
