Arrêt Civitas du Conseil d’Etat du 30 décembre 2024 : le juge confirme l’applicabilité de la dissolution administrative des associations (L. 212-1 CSI) aux partis politiques… mais la question d’une QPC reste en suspens [R. Rambaud]

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Dans un arrêt du Conseil d’État Civitas du 30 décembre 2024, n°489498, Inédit au recueil Lebon, ce dernier a validé la dissolution administrative prononcée sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieur contre l’association Civitas, dont la particularité, justifiant d’y consacrer ici un article, est que cette structure est un parti politique au sens de la loi de 1988, dument enregistré auprès de la CNCCFP (v. avis CNCCFP sur les comptes des partis politiques au titre de l’exercice 2022)

On ne reviendra pas ici dans le détail concernant cette procédure très utilisée ces dernières années : sur ce point, on renverra à deux précédents articles écrits à la RDLF consacré le premier à l’histoire et la construction de cette arme de dissolution massive, l’autre au contrôle opéré par le juge sur ces dissolutions qui gagnerait à être actualisé au regard des jurisprudences plus récentes, notamment relative à l’annulation de la dissolution des soulèvements de la Terre, puisque le juge a alors en partie répondu (notamment sur le contrôle de proportionnalité), ainsi qu’il le fait dans l’arrêt Civitas précité, à certaines critiques que l’on avait pu émettre alors : on renverra sur ce sujet au site internet du Conseil d’Etat avant d’y revenir en partie.

L’intérêt de cet arrêt est non seulement de considérer que la dissolution est justifiée, mais surtout qu’il confirme, ce qui est une question de droit qui mériterait d’être reposée, l’application de cette procédure à un parti politique. Cependant le débat n’est pas complètement clos car en l’espèce, étrangement, les requérants n’ont pas soulevé de QPC alors que la question aurait pu être posée, et pourrait donner lieu à des réponses quelque peu différentes.

Une dissolution justifiée en raison de d’exaltation de la collaboration et de l’incitation à la haine et à la violence

Concernant le plan des principes, le juge confirme son contrôle resserré développé dans les jurisprudences précitées ci-dessus en considérant que « 3. Eu égard à la gravité de l’atteinte portée par une mesure de dissolution à la liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République, les dispositions de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont d’interprétation stricte et ne peuvent être mises en œuvre que pour prévenir des troubles graves à l’ordre public », et que « 4. La décision de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait prise sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ne peut être prononcée, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que si elle présente un caractère adapté, nécessaire et proportionné à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public par les agissements entrant dans le champ de cet article ».

Cela le conduit à faire un tri entre les motifs choisis par le ministère de l’intérieur tout en consacrant qu’en tout état de cause plusieurs motifs auraient suffi à justifier la dissolution de Civitas.

Il estime ainsi que l’association ne pouvait être dissoute sur le fondement d’une remise en cause de la forme républicaine du Gouvernement, considérant que « 11. si l’association Civitas a pour objet de  » promouvoir et défendre la souveraineté et l’identité nationale et chrétienne de la France en s’inspirant de la doctrine sociale de l’Eglise, du droit naturel et des valeurs patriotiques, morales et civilisationnelles indispensables à la renaissance nationale (…)  » et si certains de ses représentants tiennent des propos hostiles aux principes républicains, il ne ressort pas des pièces du dossier que son objet ou son action ait tendu à attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement. Il s’ensuit que l’association est fondée à soutenir que le décret attaqué a fait une inexacte application des dispositions du 3° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ».

En revanche la dissolution est fondée sur les motifs de l’exaltation de la collaboration et de l’incitation à la haine, et « Il résulte (…) de l’instruction que l’auteur du décret aurait pris la même décision s’il ne s’était fondé que sur les dispositions des 5° et 6° de l’article L. 212-1 et sur celles de l’article L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure ».

En premier lieu, « il ressort des pièces du dossier que l’association Civitas, par la voix de ses responsables nationaux ou locaux, a organisé des commémorations à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Philippe Pétain, rendu hommage à des personnalités favorables à la collaboration avec l’ennemi pendant la seconde guerre mondiale et utilisé à cette occasion des emblèmes rappelant ceux utilisés par l’autorité de fait se disant  » gouvernement de l’Etat français « . Contrairement à ce que soutient l’association, et alors même que, selon elle, certains des agissements ou propos retenus par le décret attaqué auraient été extraits de leur contexte ou s’inscriraient dans le cadre de controverses historiques, ces éléments, compte tenu de leur caractère précis et concordant, caractérisent l’existence de faits d’exaltation de la collaboration au sens du 5° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ».

En deuxième lieu, « il ressort des pièces du dossier que l’association Civitas, dont des responsables tiennent régulièrement des propos à connotation explicitement ou implicitement antisémite, promeut une vision du monde dans laquelle occupe une place centrale la dénonciation du rôle et de l’influence prêtés aux personnes de confession juive. Elle appelle en outre à la discrimination à l’égard des personnes de confession musulmane et, plus largement, des personnes étrangères ou françaises issues de l’immigration, systématiquement associées aux dangers présentés par la criminalité, l’islamisme radical ou le terrorisme. Enfin, l’expression publique de certains de ses responsables développe une vision hostile aux personnes homosexuelles et, plus largement, à des groupes de personnes à raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, présentés dans des termes à connotation dégradante. Il ressort également des pièces du dossier que la mise en ligne des propos des responsables de l’association suscite souvent des commentaires à caractère discriminatoire ou haineux, qui ne font l’objet ni d’une condamnation, ni d’une modération de la part de l’association (…) Il résulte de ce qui précède que le décret attaqué a pu, sans être entaché d’erreur de droit, d’erreur d’appréciation ou d’erreur de fait, retenir que les prises de position de l’association Civitas propagent des idées ou des théories tendant à justifier ou encourager la discrimination, la haine ou la violence envers des groupes de personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, motif justifiant sa dissolution administrative en application du 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

Le juge, mettant alors en oeuvre son nouveau contrôle de proportionnalité en la matière, estime ainsi enfin que « 13. Enfin, la mesure de dissolution critiquée, eu égard à la nature, à la gravité et à la récurrence, pendant plusieurs années, des prises de position mentionnées aux points 8 et 9, ne peut être regardée, en l’espèce, comme dépourvue de caractère nécessaire ni comme présentant un caractère disproportionné au regard des risques de troubles à l’ordre public résultant de ces prises de position ».

La confirmation de l’applicabilité de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure aux partis politiques

Mais ce n’est pas sur cette dimension que cet arrêt est le plus intéressant et le plus novateur. Le considérant clé de la décision est le suivant :

« 12. En quatrième lieu, si l’association Civitas fait valoir qu’elle revêt le caractère d’un parti politique depuis la modification de ses statuts en 2016, les partis politiques constitués en association relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ne sont pas exclus par principe du champ d’application de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Le moyen tiré de ce que décret serait entaché de détournement de procédure ou de détournement de pouvoir, au motif qu’il aurait pour objet, sous couvert de la dissolution d’une association, de procéder à la dissolution d’un parti politique ne peut donc qu’être écarté, sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance que n’a pas été parallèlement dissoute l’association de financement du groupement politique Civitas ».

Ce faisant, le Conseil d’Etat indique expréssément, explicitement et de façon contemporaine, que l’article L. 212-1 du code de la sécurité est applicable à un parti poitique y compris au sens de la loi de 1988.

La solution selon laquelle il est possible de dissoudre un parti politique en soi n’est pas nouvelle : il y en a eu de nombreux exemples dans l’histoire longue depuis la loi du 10 janvier 1936, par exemple pour des structures portant le nom de « partis » : Le Parti National Populaire (ancien Ligue des Jeunesses Patriotes), le Parti franciste et Parti National Corporatif Républicain le 18 juin 1936, Le Parti du peuple algérien le 26 septembre 1939, le Parti national bretonle 19 octobre 1939, Parti national malgache ou Panama le 10 mai 1947, Parti communiste algérien le 12 septembre 1955,le Parti patriote révolutionnaire le 15 mai 1958, le Parti Nationaliste le 13 février 1959 (CE, Association « Parti Nationaliste », 17 avril 1963, n° 47.273, Rec. T. associations p. 14), le Parti communiste internationaliste (CE, Ass., Sieurs Krivine et Franck, 21 juillet 1970, n° 76.179 et 76.232, Rec. 499) et le Parti communiste marxiste-léniniste de France (CE, Ass., Sieur Jurquet, 21 juillet 1970, n°76.233, Rec. 500) le 12 juin 1968, le (Parti communiste révolutionnaire prolétarien et/ou Nouvelle résistance populaire), la Gauche prolétarienne (Parti communiste révolutionnaire prolétarien et/ou Nouvelle résistance populaire)
le 27 mai 1970 (CE, Sieur Geismar, 13 janvier 1971, n° 81.087, Rec. 31). Cependant on constate que ces solutions sont antérieures à la loi de 1988 qui a crée une véritable définition du parti politique en France.

Il s’agit donc d’une solution finalement à la fois ancienne et nouvelle : ancienne parce que des partis politiques avaient déjà été dissous sous l’empire de la loi de 1936 dans l’histoire, mais aussi nouvelle en tant que cette solution est désormais affirmée explicitement et ceci malgré une législation précise en matière de partis politiques qui, on aurait pu le penser à l’instar de Civitas, pouvait protéger particulièrement les partis politiques. C’est là cependant qu’une curiosité intervient : l’absence de QPC déposée contre l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure dans son rapport non pas avec la liberté d’association seulement, mais avec les partis politiques.

La question d’une QPC contre l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sur le fondement de l’article 4 de la Constitution en suspens

Certes, l’article L. 212-1 a déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil d’Etat alors que celui-ci avait valeur d’ordonnance avant d’être ratifié (Conseil d’État du 30 juillet 2014, Association « Envie de rêver » et autres, (req. n° 370306, 372180). Certes, dans un arrêt de 2012 relatif à Génération indentitaire, le Conseil d’Etat a refusé de transmettre une QPC contre cet article pour défaut de caractère nouveau de la requête à propos d’un recours de Génération Indentitaire (CE, 2 juillet 2021, Génération identitaire, n° 451741). Certes, une partie de l’article L. 212-1 CSI, modifié par la loi « Séparatisme », mais une partie seulement, a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans un contrôle DC (Décision 2021-823 DC – 13 août 2021 – Loi confortant le respect des principes de la République). On pourrait penser qu’il n’y a aucun sujet.

Et pourtant… Si l’article L. 212-1 a été déclaré conforme à la Constitution au regard du principe de la liberté d’association, il ne l’a jamais été explicitement à notre connaissance au regard de l’article 4 de la Constitution qui prévoit que « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Certes, cet article 4 ne protège pas les partis politiques de tout, et notamment pas de l’administration fiscale (CE, Jeanne, 22 avril 2021, n°449138). Il est cependant parfois considéré par le juge comme apportant une protection supplémentaire aux partis politiques, qui en vertu de celui-ci ne sont pas jugés par le juge administratif n’étant pas en charge d’une mission de service public (Cour de cassation, n arrêt du 25 janvier 2017) et le contrôle sur le fond de leurs comptes étant réduite à l' »incohérence manifeste » (CE, Sect., Association Cap sur l’avenir 13, 9 juin 2010, n° 327423).

Le fait est d’autant plus remarquable que l’article 131-39 du code pénal prévoit que la peine de dissolution judiciaire des personnes morales n’est pas applicable « aux partis ou groupements politiques ni aux syndicats professionnels ». Seul l’article L. 212-1 CSI permet donc de procéder à de telles dissolutions vis-à-vis d’associations qui répondraient à la définition du parti politique établie par la jurisprudence du Conseil d’État, c’est-à-dire qui se placeraient volontairement sous l’empire de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988.

Mais, alors, ne serait-il pas possible, en faisant preuve d’imagination sur le plan de la procédure et du fond, de chercher à une soulever une QPC portant sur la constitutionnalité de la dissolution des partis politiques sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure au regard de l’article 4 de la Constitution ?

En rappellant que les QPC ne se forment pas d’office, on s’étonnera que les avocats de CIVITAS ne l’aient pas fait. Une prochaine fois ? Pour la science, ce serait intéressant. Et pour ceux que cela intéresse, je veux bien l’écrire si besoin : n’hésitez pas à me contacter.

Romain Rambaud