Un Président en campagne ? Ce que prévoit le droit électoral… [R. Rambaud]

Spread the love

C’est un sujet classique qui revient, alors que le Président de la République a annoncé une grande interview ce jeudi aux JT sur l’actualité internationale et va présider les cérémonies commémoratives du débarquement. Emmanuel Macron fait-il campagne ? Que peut faire un Président en campagne, et que ne peut-il pas faire ? Nous avons répondu à ces questions dans un article écrit par Louis Mondot sur France Info le 29 mai dernier, auquel nous pouvons renvoyer, ainsi qu’aux éléments ci-dessous, qui développent le droit de façon plus complète.

Le droit électoral n’interdit pas au Président de la République de faire campagne, mais recherche le difficile équilibre entre le maintien de l’activité du Président de la République d’une part, et la prise en compte des discours et des dépenses électorales d’un Président qui serait candidat ou soutiendrait des candidats d’autre part. Une réglementation qui laisse certes de nombreuses marges de manœuvre, mais n’est qui n’est pas non plus illégitime, la confusion pouvant se trouver plus dans les esprits de tous que dans le droit.

La régulation du temps de parle audiovisuel

Concernant le temps de parole, il faut se référer aux règles posées par l’ARCOM. L’Arcom a publié, mercredi 6 mars, une recommandation pour les élections européennes applicables aux services de radio et de télévision, entrée en vigueur le lundi 15 avril et qui complète la délibération générale du 4 janvier 2011. La délibération de 2011 prévoit que  « 3° Conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat, les interventions éventuelles du Président de la République qui, en raison de leur contenu et de leur contexte, relèvent du débat politique lié aux élections, notamment celles qui comportent l’expression d’un soutien envers un candidat ou une liste de candidats, un parti ou groupement politique, font l’objet d’un relevé distinct. Les éditeurs en tiennent compte en veillant à ce que les autres candidats, listes, partis ou groupements politiques bénéficient, en contrepartie, d’un accès équitable à l’antenne ».

L’ARCOM peut ainsi estimer que les messages du Président de la République ont un caractère électoral. C’est ce qui fut déjà considéré pour le (2ème) discours d’Emmanuel Marcon à la Sorbonne. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a estimé que c’était un discours de campagne, et devait donc être « intégralement » décompté du temps de parole de la liste Renaissance. « Si les propos du président de la République n’exprimaient pas un soutien explicite à la liste conduite par Mme Valérie Hayer, ils présentaient néanmoins, dans leur intégralité, un lien direct avec l’élection », avait jugé l’autorité régulatrice.

Cependant les conséquences sont faibles, puisqu’il s’agit alors de compenser pour les autres candidats, ce qui n’est pas très engageant.

Les comptes de campagne

Sur ce point, la position du Conseil constitutionnel aujourd’hui est claire, notamment depuis sa jurisprudence relative au compte de campagne de Nicolas Sarkozy de 2013 (Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel sur un recours de M. Nicolas Sarkozy dirigé contre la décision du 19 décembre 2012 de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques). Cette position a été confirmée par la CNCCFP pendant la campagne de 2017 et confirmée par sa décision relative au compte de campagne d’Emmanuel Macron de 2022.

Il en résulte qu’une action du Président de la République ne peut être considérée comme électorale qu’à des conditions très strictes.

Tout d’abord, sur le principe, une fois que la période de comptabilisation des dépenses électorales est ouverte, il est possible pour un Président de la République sortant de voir considérer certaines de ses dépenses comme des dépenses électorales. Cependant, pour qu’une action d’un Président de la République soit considérée comme de cette nature, les critères juridiques sont particulièrement stricts. Le Conseil constitutionnel considère ainsi dans un considérant de principe que :

« la législation relative au financement des campagnes électorales n‘a ni pour objet ni pour effet de limiter les déplacements du Président de la République non plus que sa participation à des manifestations publiques s’inscrivant dans l’exercice de sa charge ».

Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel

Il en déduit ainsi :

« que les dépenses relatives aux manifestations auxquelles il participe n’ont à figurer au compte de campagne que s’il apparaît que celles-ci ont revêtu un caractère manifestement électoral. »

Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel

La détermination du caractère « manifestement électoral » n’est pas clairement définie mais la décision du Conseil constitutionnel, et sa confrontation avec la décision de la CNCCFP de 2012, permet de dégager quelques critères.

Ainsi le Conseil constitutionnel estime que :

« Considérant que, parmi les huit manifestations en cause, la réunion à l’Élysée pour le troisième anniversaire du Fonds stratégique d’investissement le 17 novembre 2011, l’inauguration du salon des entrepreneurs à Paris le 1er février 2012, les cérémonies des vœux à Chasseneuil-du-Poitou le 5 janvier 2012 et à Lyon le 19 janvier 2012, les interventions au Tricastin le 25 novembre 2011 et à Fessenheim le 9 février 2012 sur le thème de la filière nucléaire ainsi que l’intervention à Lavaur le 7 février 2012 sur la politique familiale, peuvent être regardées comme se rapportant à l’exercice du mandat présidentiel « .

Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a donc été beaucoup plus strict que la CNCCFP, qui avait retenu 8 manifestations, là où le Conseil n’en retiendra qu’une seule :

qu’en revanche, il n’en va manifestement pas de même de la réunion publique organisée à Toulon le 1er décembre 2011 compte tenu de l’implication de l’Union pour un mouvement populaire dans cette manifestation, de l’ampleur du public convié, comprenant notamment des adhérents et sympathisants de l’UMP, des modalités d’aménagement des locaux et des moyens de communication déployés. »

Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 du Conseil constitutionnel

D’après cette décision, une réunion n’a donc de caractère manifestement électoral que si des éléments très nets sont présents : présence et engagement du parti politique dans la manifestation, présence d’adhérents et de sympathisants du parti dans l’évènement, et des éléments plus formels comme les modalités d’aménagement des locaux et les moyens de communication déployés… Des critères particulièrement flagrants, donc.

D’autres éléments peuvent être utilisés pour déterminer le caractère électoral d’un tel message, que l’on trouve notamment dans le rapport de la CNCCFP de 2019 à propos des élections européennes et de la jurisprudence associée. C’était le cas de la publication de la tribune « Renaissance » du Président de la République sur le site de la Présidence, de certaines réunions du Grand Débat national, et d’un clip gouvernemental (voir le rapport de la CNCCFP de 2019), qui avaient été considérés comme des dépenses électorales.

Cependant, comme dans l’hypothèse de Nicolas Sarkozy, la CNCCFP avait été plus stricte que les appréciations du juge électoral. Notamment, une tribune intitulée « pour une Renaissance européenne » avait été publiée le 4 mars 2019 sur le site internet de la Présidence de la République. La CNCCFP avait considéré que présentant de multiples points de convergence avec le programme de la candidate outre l’utilisation du mot « Renaissance », tant dans le titre de la liste que dans celui de la tribune, cette tribune revêtait un caractère électoral. Cependant, dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’Etat de janvier 2020 relatif aux élections européennes, le rapporteur public rejetait cette qualification, et le Conseil d’Etat considérait qu’en toute hypothèse cela n’avait pas pu altérer la sincérité du scrutin (conclusion que l’on a plutôt tendance à suivre sur le plan juridique).

Compte tenu de la qualité de son auteur, de la date de sa publication, bien antérieure à la présentation du programme défendu par la liste, de ses destinataires, du fait qu’elle ait été publiée simultanément dans les quotidiens de la plupart des Etats membres, il nous semble qu’elle relève de l’action internationale du chef de l’Etat et ne peut être regardée comme une opération de propagande électorale au soutien d’une liste, quelle qu’ait été l’appréciation de la commission nationale des comptes de campagne.

Conclusions de Mme Sophie Roussel, sur l’arrêt CE, 31 janvier 2020, N°s 431143.

En mars 2022, un mois avant le scrutin présidentiel, Emmanuel Macron diffuse sa « lettre aux Français », via ses comptes personnels sur Twitter et Facebook, des comptes suivis par des millions d’abonnés. La CNCCFP a alors estimé que la lettre comportait « des messages manifestement électoraux » et que le président-candidat avait ainsi « bénéficié d’une audience importante et constituée grâce à des moyens publics ». En effet, comme Emmanuel Macron utilisait depuis très longtemps sa page personnelle comme instrument officiel de communication, la CNCCFP a considéré que c’était grâce aux moyens de l’État qu’il avait ‘boosté’ sa page, et que c’était donc devenu sa page officielle. Ce message était manifestement électoral puisque c’était à ce moment-là qu’il a fait sa déclaration de candidature. » D’où la conclusion de la CNCCFP : « L’utilisation de ces comptes, à une date proche du scrutin, constitue un avantage indirect apporté par une personne morale ». Le président-candidat avait écopé notamment d’une sanction financière de 100 000 euros.

Ceci étant, en tout état de cause, les équipes de campagne peuvent admettre qu’en réalité, tel ou tel événement était manifestement électoral. Or si elles le déclarent et que le candidat rembourse ou prend à sa charge la dépense, ce n’est pas illégal. C’est ce qui avait été fait en 2022 dans le cadre du compte de campagne d’Emmanuel Macron : ces règles ont alors été plutôt bien respectées par l’équipe de campagne du candidat qui a pu intégrer dans son compte de campagne certains événements présentant, au moins pour partie, un caractère manifestement électoral (il en fut ainsi pour deux déplacements à Marseille et deux discours réalisés à Nice et à Belfort). De même, l’usage des locaux de l’Élysée pour le tournage de la websérie « Le Candidat » avait fait l’objet d’une facturation au mandataire financier.

Conclusion

Cette règlementation laisse donc des marges de manœuvre importantes. Faut-il s’en plaindre ? Il est incontestablement normal que le Président de la République puisse faire campagne dans un pays comme la France, si le droit organise clairement la séparation. Si elle l’est en droit, l’est-elle toujours dans les esprits, de ceux qui la font et de ceux qui la reçoivent ? C’est une bonne question, dont les ressorts sont culturels, et qui dépasse donc de très loin la seule question du droit…

Romain Rambaud