La décision n° 2024-32/33/34/35/36/37/38/39/40/41 ELEC du 20 juin 2024
M. Olivier TAOUMI et autres vient de tomber. Les recours dirigés contre le décret de convocation des électeurs du 9 juin 2024 sont rejetés et les élections législatives pourront donc se tenir comme prévu le 30 juin et le 7 juillet.
Toutes les questions traitées dans les articles du présent blog et dans la tribune de l’AJDA (ci-dessous) sont jugées, et le Conseil constitutionnel adopte effectivement l’interprétation conséquentialiste à laquelle nous avions fait référence en fin d’article. Cette interprétation justifiée aujourd’hui notamment en opportunité par les JO devient désormais l’interprétation officielle.
L’inteprétation du délai des « 20 jours au moins » prévu par la Constitution
Il juge ainsi que aux termes du deuxième alinéa de l’article 12 de la Constitution : « Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution » et qu « Il résulte de ces dispositions que le premier tour des élections législatives anticipées peut être organisé dès le vingtième jour suivant l’acte par lequel le Président de la République prononce la dissolution de l’Assemblée nationale. »
Ce faisant, le Conseil constitutionnel a répond aux arguments soulevés dans les requêtes et aux questions que nous avions soulevé dans nos articles précédents. Ainsi ces requérants considéraient que « Plusieurs requérants soutiennent que les dates prévues par l’article 1er pour la tenue du premier tour du scrutin méconnaîtraient les exigences du deuxième alinéa de l’article 12 de la Constitution qui impose un délai minimal pour l’organisation des élections législatives anticipées. Au soutien de ce grief, ils font notamment valoir que le décret portant dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République n’aurait pris effet que le lendemain de la date de sa publication au Journal officiel, en application des règles de droit commun régissant l’entrée en vigueur des lois et règlements, et soutiennent que les délais prévus par la Constitution devraient être considérés comme des délais francs ».
Le Conseil constitutionnel ne retient pas cette interprétation et considère que le point de départ est le jour de la signature du décret de dissolution et que les délais ne sont pas francs, qu’il ne faut pas 20 jours francs entre les deux événements, mais que les élections législatives anticipées peuvent être organisées dès le 20ème jour suivant la dissolution, comme le montre le raisonnement suivant du Conseil constitutionnel :
« 9. Le Président de la République a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale par un décret du 9 juin 2024 qui a pris effet le jour même.
10. Dès lors, en fixant au 30 juin 2024 ou, par dérogation, au 29 juin, la date du premier tour de scrutin, les dispositions contestées ont mis en œuvre, sans le méconnaître, l’article 12 de la Constitution ».
En adoptant cette interprétation qui ramasse le plus possible les délais, le Conseil constitutionnel adopte une interprétation favorable au maintien des élections législatives anticipées, sans doute conséquentialiste au regard de l’éventuel impact d’un report sur les JO comme nous le soulignions dans notre tribune à l’AJDA et dans nos autres articles. Concernant le point de dépat du délai notamment, cette lecture n’était pourtant pas évidente au regard notamment par exemple d’un avis du Conseil d’Etat de 1955 qui faisait application pour l’entrée en vigueur de la dissolution des règles de droit commun de l’époque soous la IV République (avis du Conseil d’Etat du 2 décembre 1955, n°268.433), et ne faisait pas partir le délai du jour de la signature de l’acte de dissolution. Dans une décisions n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013 Loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution, le Conseil constitutionnel avait fait référence à une « suspension de ce délai en cas de dissolution de l’Assemblée nationale prononcée en application de l’article 12 de la Constitution, à compter du jour du décret de dissolution et jusqu’au jour prévu par la première phrase du troisième alinéa de cet article 12″, laissant penser que la dissolution pouvait avoir un effet dès le jour du décret de dissolution, mais dans un contexte beaucoup plus lointain que l’avis du Conseil d’Etat de 1955 qui concernait directement les délais de la dissolution concernant le texte de la IVème République. Quant à la question de savoir si les délais prévus par la Constitution visait des jours francs ou non, les précédents ne permettaient pas de trancher, mais l’exemple le plus étroit jusqu’ici, celui de 1988, montrait le respect de jours francs. En choisissant une interprétation en termes de jours calendaires et non de jours francs, le Conseil constitutionnel a adopté l’interprétation la plus favorable au pouvoir exécutif, permettant de sauver à la fois le 30 juin et le 29 juin (le vote anticipé dans les Outre-Mer situés à l’Ouest de la Métropole).
Si cet argument était le plus sérieux, le Conseil constitutionnel juge également les autres griefs.
Concernant le délai, alors que certains requérants estimaient que « par sa brièveté, le délai séparant l’annonce de la convocation des électeurs et les dates du premier tour de scrutin porterait atteinte à la liberté et à la sincérité du scrutin et méconnaîtrait les stipulations du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », le Conseil constitutionnel écarte ce grief logiquement puisqu’il résulte de l’application même des délais constitutionnels, qui ne sauraient donc pas nature encourir des griefs de cette nature, puisque protégés par essence par le texte constitutionnel.
Les élections législatives sont donc maintenues au 29 et 30 juin.
L’analyse des effets du décret de convocation sur la sincérité du scrutin
Outre la question des délais, le Conseil constitutionnel est comme nous l’avions dit et en application de la jurisprudence Delmas de 1981, compétent pour examiner si décret est susceptible de porter atteinte à la sincérité du scrutin.
Il répond alors à plusieurs arguments.
Tout d’abord concernant la date pour enregistrer les candidatures. Le Conseil constitutionnel estime que « Compte tenu de la date de publication du décret portant convocation des électeurs, en prévoyant que les déclarations de candidatures seront reçues à partir du 12 juin 2024 et jusqu’au 16 juin à 18 heures, les dispositions contestées de l’article 2 du décret ne méconnaissent aucune des exigences constitutionnelles invoquées par le requérant ».
Certains requérants faisaient valoir que la date d’ouverture de la campagne électorale prévue par l’article 3 du décret serait incompatible avec les délais dans lesquels le tribunal administratif doit se prononcer sur la régularité ou le refus d’enregistrement d’une déclaration de candidature en application des articles L. 159 et L.O. 160 du code électoral, mais comme le souligne le Conseil constitutionnel, ces questions n’ont pas de lien juridique direct. Il estime ainsi logiquement que l' »article 3 du décret, qui se borne à fixer au 17 juin 2024 la date d’ouverture de la campagne électorale, est sans incidence sur le contrôle des déclarations de candidatures exercé en application de ces dispositions ».
Le Conseil constitutionnel répond ensuite longuement au grief soutenu notamment par la France Insoumise en vertu duquel le « gel » des listes électorales porterait atteinte au principe de sincérité du scrutin, mais aussi du droit de suffrage, ainsi que de l’article L. 2 du code électoral et des stipulations de l’article 3 du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cependant le Conseil constitutionnel juge logiquement que les dispositions adoptées en application de l’article 12 prévalent et que ce gel des listes électorales est rendu nécessaire par les conditions matérielles d’organisation des électeurs eu égard aux délais, d’autant que des exceptions sont prévues pour les recours en justice et pour les Français ayant passé l’âge de 18 ans ou acquis la nationalité française, jusqu’au 10ème jour avant le scrutin.
Certains requérants soutenaient que les délais prévus par l’article 7 du décret du 9 juin 2024 seraient insuffisants pour permettre aux candidats et aux partis et groupements politiques de demander à bénéficier des aides financières prévues par les articles 8 et 9 de la loi du 11 mars 1988, mais le Conseil constitutionnel rejette cet argument eu égard à la simplicité administrative par laquelle la demande peut être faite.
Certains requérants reprochaient à l’article 8 du décret du 9 juin 2024, compte tenu de la date d’ouverture de la campagne électorale prévue par son article 3, de faire obstacle à l’expression des partis et groupements politiques qui ne sont pas représentés par des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale, au motif que ces derniers ne seraient pas en mesure, dans le délai imparti pour demander à bénéficier d’une émission du service public de la communication audiovisuelle, de justifier du rattachement de soixante-quinze candidats. Cependant le Conseil constitutionnel écarte le grief en considérant que le décret de convocation n’exige pas ce rattachement et que l’argument donc ici est inopérant.
Certains requéraient invoquaient les risques pour la sincérité du scrutin de la dématérialisation des procurations prévues par le décret de convocation : « l’article 9 du décret du 9 juin 2024 supprimerait la possibilité d’une vérification du caractère personnel de ces demandes et entraînerait un risque de fraude ou de défaillance du système informatique. Il en résulterait une atteinte à la sincérité du scrutin ». Le Conseil constitutionnel rejette ces arguments en considérant que d' »une part, le recours à une télé-procédure entièrement dématérialisée pour l’établissement d’une procuration n’a ni pour objet ni pour effet de supprimer l’exigence d’une volonté libre de l’électeur pour donner procuration, dont le contrôle est assuré par le juge de l’élection. D’autre part, une telle procédure n’est pas, par elle-même, de nature à affecter la régularité du vote des électeurs ». Au passage, c’est un raisonnement très, peut-être trop, favorable à la procuration.
Enfin certains requérants soutenaient que les dates prévues par l’article 10 du décret du 9 juin 2024 pour le vote par voie électronique pour l’élection des députés des Français établis hors de France seraient incompatibles avec le délai minimum exigé pour la tenue des élections générales par le deuxième alinéa de l’article 12 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel estime que ces dispositions se bornent à fixer la période précédant la date du scrutin, prévue par l’article 1er du décret, pendant laquelle est ouverte dans ces circonscriptions la possibilité de voter par voie électronique, laquelle ne constitue au demeurant qu’une modalité de vote des électeurs établis hors de France.
Le sort probable des recours restants à juger contre le décret de dissolution
Le Conseil constitutionnel n’a pas épuisé le contentieux. Il reste des requêtes à juger, plus précisément 8 requêtes à juger, dont certaines sont dirigées contre le décret de dissolution lui-même. En séparant ainsi les contentieux et en ne jugeant pas tout en même temps, on peut penser que le Conseil constitutionnel n’a pas l’intention de tout remettre en question.
Il est donc probable qu’il maintienne sa jurisprudence selon laquelle il n’est pas compétent pour connaître ce décret de dissolution (n°88-4 ELEC du 4 juin 1988, Décision du 4 juin 1988 sur une requête de Monsieur Rosny MINVIELLE de GUILHEM de LATAILLADE, ; Décision n° 97-14 ELEC du 10 juillet 1997 Décision du 10 juillet 1997 sur une requête présentée par Monsieur Jean-Michel ABRAHAM), et dans une moindre bien mesure qu’il se déclare compétent mais pour rejeter le recours. Il est très probable, en tout cas, que ce deuxième examen ne remette pas en cause… la dissolution elle-même. Autrement, le Conseil constitutionnel serait bien farceur… ce qu’il n’est pas, et bien heureusement !
Romain Rambaud