Elections européennes du 9 juin 2024 : pourquoi le redimensionnement de la campagne électorale pourrait être décisif [R. Rambaud]

Les élections européennes du 9 juin 2024 constitueront le grand rendez-vous électoral de l’année 2024. Depuis la loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l’élection des représentants au Parlement européen et le retour à une circonscription unique à la place des huit circonscriptions suprarégionales en vigueur de la loi de 2003 à celle de 2018, l’élection européenne est en effet la seule élection aujourd’hui en France de dimension nationale, avec l’élection du Président de la République. Elle constituera évidemment, dans le contexte politique de 2022 de réélection d’Emmanuel Macron sans pouvoir se présenter à un troisième mandat, et de majorité relative à l’Assemblée Nationale, un rendez-vous politique extrêmement important, quasi-équivalent à des élections de mi-mandat, sans doute.

Dans ce cadre, il faut probablement s’attendre à une campagne électorale de grande intensité, d’autant que cette intensité sera favorisée par de nouveaux éléments juridiques participant au redimensionnement de la campagne électorale.

Celle-ci ne viendra probablement pas des réformes actuellement en cours de discussion au niveau européen, qu’il s’agisse du projet de refonte du texte de 1976, incarné par la résolution législative du Parlement européen du 3 mai 2022 sur la proposition de règlement du Conseil portant élection des députés au Parlement européen au suffrage universel direct, abrogeant la décision du Conseil (76/787/ECSC, CEE, Euratom) et l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, défendant l’idée de la création d’une circonscription européenne à côté des circonscriptions nationales dans laquelle seraient élus des débuts européens, ou nouvelle proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes, ce texte est, à l’heure où ces lignes sont écrites, toujours au Parlement européen en 1ère lecture, suite à l’adoption d’amendements (COM(2021)0734 – C9‑0432/2021 – 2021/0375(COD). Ces deux textes en effet ont très peu, voire aucune si on tient à respecter le standard électoral d’un an avant modification de systèmes essentiels du droit électoral, chance d’être en vigueur pour les prochaines élections européennes. Ce redimensionnement viendra donc d’éléments déjà existants mais qui, la fois précédente, n’ont pas encore produit tous leurs effets.

Un redimensionnement de la campagne électorale déjà engagé en 2019 via le retour à la circonscription unique


Le choix de 2018 du retour à une circonscription unique a été accusé par certaines forces politiques d’être une manœuvre politique. En effet, la circonscription nationale unique pourrait avantager les partis ayant moins de ressources au niveau régional en têtes d’affiche et en militants, ce qui serait le cas de La République en Marche, il est vrai peu opérationnelle au niveau local, au détriment des partis plus implantés. C’est la principale raison pour laquelle le parti Les Républicains avait indiqué son opposition à cette réforme[1]. Par ailleurs, la nationalisation du scrutin pourrait favoriser les grandes forces politiques pour plusieurs autres raisons. Tout d’abord, la multiplication du nombre de sièges à pourvoir rend plus difficile la possibilité pour certaines listes de se porter candidates. En effet, lorsque les élections européennes se tenaient dans une circonscription nationale, le nombre de listes était environ d’une vingtaine, tandis que le passage à des circonscriptions régionales par la loi d’août 2003 ainsi que l’abaissement du seuil de remboursement forfaitaire à 3% des suffrages exprimés a produit une explosion du nombre de listes : 169 listes avaient l’obligation de déposer un compte de campagne pour les élections européennes de 2004 (CNCCFP, rapport 2004), 160 en 2009 (CNCCFP, rapport 2009) et 193 en 2014 (CNCCFP, rapport 2014). La nationalisation évite ainsi la dispersion des voix au profit de listes marginales (soutenant par exemple des positions très écologistes, très européanistes ou très nationalistes), ce qui peut bénéficier aux grandes forces politiques déjà présentes au niveau national. Ensuite, cette dimension stratégique est perceptible dans sa dimension financière, dans la mesure où la mise en place d’une circonscription nationale produit un redimensionnement de la campagne électorale. Certes, d’après l’exposé des motifs de la loi de 2018, le montant du plafond de dépenses correspond « au plafond actuellement prévu par le législateur multiplié par le nombre de circonscriptions pour chaque liste de candidats », et le Gouvernement se prévôt du souci des finances publiques, dans la mesure où le plafond désormais prévu ne reprend pas le décret n°2009-370 du 1er avril 2009 portant majoration du plafond des dépenses électorales qui prévoyait un coefficient de majoration de 10%. Cependant il ne faut pas négliger le fait qu’un budget de 9 200 000 € correspond à un peu plus de la moitié du budget de l’élection présidentielle pour un premier tour, ce qui suffit à montrer le possible impact de la nationalisation sur la campagne[2].

De ce point de vue, la lecture du rapport de la CNCCFP pour les élections européennes de 2019 s’avère particulièrement instructif[3]. Ainsi, selon la CNCCFP, « lors de l’élection du 26 mai 2019, 34 listes se sont présentées au suffrage des électeurs. Selon les dispositions de la loi n° 2011-412 du 11 avril 2011, 14 candidats têtes de liste étaient dispensés de déposer leur compte, dans la mesure où ils avaient recueilli moins de 1 % des suffrages exprimés et n’avaient perçu aucun don de personne physique. Parmi les candidats ayant déposé un compte, huit ont obtenu au moins 3 % de suffrages exprimés et pouvaient donc prétendre au remboursement forfaitaire de l’État, soit moins d’un quart de l’ensemble des candidats ayant participé au scrutin. Le montant global des recettes et des dépenses déclarées par les candidats s’est élevé à 38,83 millions d’euros en recettes et 37,61 millions d’euros en dépenses, soit une moyenne de 2,59 millions d’euros de recettes et de 2,51 millions d’euros de dépenses pour les 17 candidats ayant perçu des recettes et engagé des dépenses durant la campagne, se répartissant entre 37,61 millions d’euros, soit une dépense moyenne de 4,16 millions d’euros, pour les huit candidats ayant obtenu au moins 3 % des suffrages exprimés, et 0,54 million d’euros pour les huit candidats n’ayant pas atteint ce seuil. Il ressort de la comparaison entre les différents scrutins avec la modification du mode de scrutin (2004 et 2019) des montants de dépenses plus élevés dans le cas de la circonscription nationale unique »[4]. On constate donc à la fois une diminution du nombre de candidatures et une augmentation des dépenses, qui a sans doute pour effet d’avantager davantage les grandes forces politiques. Ainsi, lors de l’élection du 26 mai 2019, « on relève une hausse de près de 41 % du montant total des dépenses déclarées par les candidats par rapport au scrutin de 2014. On note également une légère diminution de la part des candidats ayant obtenu au moins 3 % de suffrages exprimés dans le montant total des dépenses déclarées : lors du scrutin de 2014, celle-ci représentait près de 97 % du total des dépenses engagées. En mai 2019, cette part s’élève à 88,5 % »[5].

Graphique n°6 du rapport CNCCFP de 2019

On le constate dans une certaine mesure aussi par une analyse au cas par cas en examinant les données qui sont disponibles en open data sur datagouv.fr : si la liste RN qui est arrivée en tête avec 23,34 % des suffrages et 23 sièges n’a dépensé (dépenses déclarées) que 3.768.883 euros et ne se trouve qu’en 5ème position, la liste de Nathalie Loiseau est celle qui a dépensé (dépenses déclarées) le plus avec 6.822.953 euros, ce qui a peut-être participé à lui permettre d’obtenir 22,42 % des voix et 23 sièges. On notera au demeurant, ainsi que le souligne le rapport de la CNCCFP, que « L’implication des formations politiques dans ce scrutin, sous ses formes directes ou indirectes, est significative : ainsi, plus du quart de l’ensemble des dépenses déclarées avaient été préalablement refacturées par les formations politiques aux mandataires financiers. Au total, la participation des partis dans les dépenses des candidats s’élève, en moyenne, à près de 40 % du total des dépenses déclarées »[6] , ce qui confirme l’avantage ainsi donné aux forces structurées, comme le confirment là aussi l’analyse des comptes : Mme Loiseau a bénéficié d’un emprunt après de son parti de 4.760.000 euros, M. Bellamy de 2.000.000 euros, Mme Aubry de 4.341.028 et M. Glucksmann de 4 370 000 euros et M. Jadot de 3.390.000 euros, là où M. Bardella lui, mais ceci est un autre sujet, trouvait son financement essentiellement par l’intermédiaire de prêt souscrits auprès de personnes physiques (4.082.129 euros).

Un tel redimensionnement de la campagne électorale n’a sans doute pas fini de produire tous ses effets et devrait même se renforcer pour les prochaines élections européennes sous l’influence de deux facteurs.

Un redimensionnement à venir sous l’influence de nouveaux facteurs : conséquences financières des résultats de 2022 et rôle nouveau possible pour les partis politiques européens

Outre les raisons politiques évoquées ci-dessus, deux facteurs pourraient participer au redimensionnement de la campagne électorale.

Le premier, qui pourrait profiter particulièrement au Rassemblement Nationale, est la reconfiguration financière qui est liée aux résultats de 2022. Comme il a été indiqué précédemment, le Rassemblement a, au regard de son score, finalement dépensé moins que d’autres formations politiques et a dû, pour son financement, plutôt que recourir à un emprunt auprès du parti, opérer un emprunts auprès de personnes physiques, ce qui peut expliquer aussi dans une certaine mesure ces dépenses moins importantes. La situation pourrait cette fois être différente eu égard aux résultats des élections législatives de 2022. En effet, l’article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique prévoit que l’aide de l’Etat aux partis politiques est composée de deux fractions, la première fonction des résultats aux élections législatives, la deuxième fonction du nombre de parlementaires (v. sur ce point l’article de Zérah Brémond au moment des législatives de 2022). Le décret n° 2023-585 du 11 juillet 2023 pris pour l’application des articles 8, 9 et 9-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 modifiée relative à la transparence financière de la vie politique est logiquement favorable au Rassemblement National qui se voit, avec 6 801 787,94 €, le deuxième parti le mieux doté après Ensemble pour la majorité présidentielle (8 826 708,36 €), devant la France Insoumise (5 275 406,67 €). En somme, le Rassemblement National disposera de davantage de ressources propres lui permettant de mener une campagne de probablement plus grande envergure sur le terrain. Là où il avait été contraint, en 2019, de souscrire des prêts, le Rassemblement National pourra cette année mener sa campagne électorale sur ses fonds propres.

Le deuxième est le rôle nouveau que pourraient jouer les partis politiques européens lors de cette élection. Adopté en 2003, le règlement instituant le statut des partis politiques a été refondu complètement en 2014 : le texte en vigueur aujourd’hui est le règlement n° 1141/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes, lequel a fait l’objet d’une modification en mai 2018 en vue des élections européennes de 2019 (règlement (UE, Euratom) n° 2018/673 du Parlement européen et du Conseil du 3 mai 2018 modifiant le règlement n° 1141/2014 relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes).

Or, sur le plan des élections européennes, l’article 21 du règlement de 2014 prévoit que « (…) le financement de partis politiques européens par le budget général de l’Union européenne ou par toute autre source peut servir à financer les campagnes menées par les partis politiques européens à l’occasion des élections au Parlement européen auxquelles eux-mêmes, ou leurs membres, participent, conformément à l’article 3, paragraphe 1, point d). Conformément à l’article 8 de l’acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, le financement et l’éventuelle limitation des dépenses électorales pour tous les partis politiques, candidats et tiers en vue des élections au Parlement européen et de leur participation à celles-ci sont régis dans chaque État membre par les dispositions nationales. 2. Les dépenses liées aux campagnes visées au paragraphe 1 sont clairement indiquées en tant que telles par les partis politiques européens dans leurs états financiers annuels ». Dès lors, si le financement et l’éventuelle limitation des dépenses électorales en vue des élections au Parlement européen sont régis dans chaque État membre par les dispositions nationales, le règlement de 2014 permet aujourd’hui aux partis politiques européens de financer des campagnes électorales pour les élections européennes. Suivant ces éléments, l’APPF a dégagé un certain nombre de principes dans son rapport pour l’année 2020 pour déterminer ce qui relève d’une campagne électorale européenne. Tout d’abord le champ d’application : les campagnes des partis de l’UE doivent être menées dans plusieurs États membres pour être considérées comme ayant une dimension européenne. Ensuite le contenu : les campagnes véritablement européennes doivent se concentrer principalement sur des sujets européens, c’est-à-dire des sujets qui concernent les citoyens de l’UE. En d’autres termes, les partis de l’UE doivent éviter d’inclure des sujets purement nationaux, régionaux ou locaux dans leurs campagnes. Le troisième principe est celui de propriété : les partis de l’UE doivent toujours être en mesure de démontrer que les campagnes ont été menées dans le contexte des élections européennes et dans leur intérêt. Le quatrième est le principe de paternité : les campagnes des partis de l’UE doivent leur être clairement et sans ambiguïté imputées par le biais, par exemple, de logos et de bannières. En d’autres termes, les citoyens de l’UE doivent pouvoir associer ces campagnes aux partis de l’UE qui les mènent et les financent. Enfin, le dernier principe est celui du droit national : les campagnes des partis de l’UE doivent être compatibles avec le droit national applicable. En effet, conformément à la loi relative à l’élection des députés européens au suffrage universel direct, le financement, la limitation et la participation aux européennes sont régis dans chaque État membre par des dispositions nationales (APPF, Annual activity report 2020, p. 14-15).

La CNCCFP explique à propos de ces éléments dans son guide dédié, récemment publié (CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire, Toutes élections et spécificités applicables aux élections des représentants au Parlement européen 2024, Edition 2024, adoptée le 28 novembre 2023 et complétée par un addendum du 5 décembre 2023, pp. 58-59) :

« l’interprétation retenue par l’Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes (APPF) est extrêmement restrictive, la portée de l’article 21 du règlement européen de 2014 étant limitée par les termes de l’article 22 qui, selon elle, interdit  le financement direct ou indirect des partis politiques nationaux ou des candidats nationaux, qui  demeurent soumis à l’application de leurs réglementations nationales.

Ainsi qu’il résulte des éléments transmis par le directeur de l’APPF au Président de la Commission le 20 mai 2023, les campagnes menées par les partis politiques européens à l’occasion des élections au Parlement européen seront examinées à la lumière des critères suivants : · Champ : les campagnes des partis politiques européens doivent être menées dans plusieurs États membres pour pouvoir être considérées comme ayant une dimension européenne ; · Contenu : de véritables campagnes européennes doivent également concerner principalement des sujets européens, à savoir des sujets qui affectent les citoyens dans toute l’Union. En d’autres termes, les partis politiques européens doivent éviter d’inclure des sujets purement nationaux, régionaux ou locaux dans leur campagne ; · Appropriation : les partis politiques européens doivent être en mesure à tout moment de démontrer que leur campagne ait été menée dans le contexte des élections européennes, ainsi que leur intérêt comme force politique dans ces élections. Les partis politiques européens doivent menée une campagne qui leur est propre et l’assumer ; · Imputabilité : les campagnes des partis politiques européens doivent leur être imputables de manière claire et non équivoque au moyen, par exemple, de logos ou d’affiches. En d’autres termes, les citoyens de l’Union doivent être en mesure d’associer ces campagnes aux partis politiques européens qui les mènent et les financent ; · Droit national : les campagnes des partis politiques européens doivent être compatibles avec le droit national applicable. Il s’ensuit que les partis politiques européens doivent en principe s’en tenir aux limites exposées ci-dessus, y compris dans le cadre de leur campagne aux élections européennes.

En conséquence, même si toute participation financière directe ou indirecte (par exemple un cofinancement de meeting) d’un parti politique européen doit être mentionnée dans le compte de campagne, l’approbation (éventuellement après réformation) d’un tel compte par la Commission serait sans préjudice de l’appréciation par l’APPF de la régularité de l’intervention dudit parti, avec les conséquences en termes de sanctions qui pourraient s’ensuivre. Il est à noter que les informations dont dispose la Commission (notamment l’état descriptif précisant la répartition du financement entre le PPE et la liste nationale ainsi que le mode de calcul utilisé) pourraient être transmises à l’APPF dans le cadre de sa collaboration avec la Commission en application des dispositions de l’article 24 du règlement (UE, EURATOM) n° 1141/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 – et du I.1 de l’avis du Conseil d’État du 19 mars 2019 n°397096 sur les modalités d’intervention des PPE dans le cadre des élections des représentants au Parlement européen en France (publié le 6 mai 2019) ».

C’est par ce biais que pourrait émerger une européanisation indirecte des campagnes électorales dans les Etats membres, par exemple en France.

Les choses ont longtemps été incertaines en droit français, dans la mesure où la loi française implique normalement qu’un parti politique européen ne peut financer une campagne électorale d’une liste en France s’il a son siège dans un autre État et/ou n’est pas soumis à la législation financière des partis en France : ainsi, le rejet du compte de campagne de la liste « Force vie » dans la circonscription « Est » lors des opérations électorales du 25 mai 2014 par la CNCCFP a été confirmé par le Conseil d’État dans un arrêt 2015,à propos d’un don de 18 000 euros du parti ECPM, parti politique européen dûment enregistré, inscrit au titre des recettes du compte de campagne (CE, 22 juill. 2015, n° 387320, Élections européennes dans la circonscription Est). L’application d’un tel système d’interdiction n’était pas toujours aisée, notamment lorsqu’il s’agissait de concilier ces règles avec le principe posé par le droit européen de la possibilité pour un parti politique européen de faire campagne directement, c’est-à-dire sans financer un parti ou une campagne, mais en engageant immédiatement des dépenses. Dans un arrêt de 2015, le Conseil d’État avait admis la légalité des dépenses directes d’un parti politique européen en considérant que celles-ci n’avaient pas à figurer dans les comptes de campagne d’un candidat, quand bien même ces dépenses consisteraient à le soutenir. En l’espèce, il s’agissait, dans la circonscription Nord-Ouest, de la participation du PPE et du PSE au financement de campagnes de promotion sur internet en faveur respectivement de M. Jérôme Lavrilleux et M. Gilles Pargneaux, le Conseil d’État estimant que cela « n’est pas de nature à conduire à les regarder comme ayant participé, par ce biais, au financement des campagnes électorales des listes présentées dans la circonscription en cause par l’Union pour un mouvement populaire et par le Parti socialiste » (CE, 16 févr. 2015, n° 381058, Élections européennes dans la circonscription Nord-Ouest. Cf. CE, 22 oct. 1979, n° 17541, Él. des représentants à l’Assemblée des communautés européennes). Force est de constater que ce raisonnement présentait un caractère un peu artificiel : ce fut l’avis de la CNCCFP qui a considéré au contraire, dans son guide du candidat pour les élections européennes de 2019, que le financement d’une campagne électorale par un parti politique européen (non soumis à la législation française sur le financement électoral) devait être considéré comme interdit (CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire relatif à l’élection des représentants au Parlement européen, 10 janv. 2019, p. 42). Cependant, dans un avis du 6 mai 2019, donc au milieu de la campagne électorale de l’époque, le Conseil d’Etat a considéré à l’inverse que les nouvelles dispositions de l’article 21 du règlement n° 1141/2014 du Parlement et du Conseil du 22 octobre 2014 permettent aux partis politiques européens de participer, y compris financièrement, à la campagne en vue de l’élection des représentants au Parlement européen en France, seuls ou conjointement avec des partis nationaux. Ces dispositions prévalent en application du principe de la hiérarchie des normes, ici la supériorité des règlements européens d’application directe sur la loi française. Une liste qui bénéficierait d’une contribution d’un parti européen devrait faire apparaître celle-ci dans ses comptes de campagne en application de l’article L. 52-12 du Code électoral, le contrôle étant exercé à la fois par l’APPF et par la CNCCFP (CE, sect. de l’intérieur, 19 mars 2019, n° 397096). Cette solution a conduit cette dernière à modifier sa position dans son guide pendant la campagne électorale de 2019 (V., la mise à jour du guide du candidat effectuée par la CNCCFP le 14 mai 2019). Ces avancées devraient permettre aux partis politiques européens d’acquérir une nouvelle place dans la vie politique française pour ce qui concerne les élections européennes.

Pour le moment, cette faculté nouvelle ne semble pas avoir produit d’effets. La CNCCFP notait ainsi dans son rapport de 2019 que « S’agissant des partis politiques européens, en l’espèce, parmi les comptes de campagne effectivement déposés à la commission, aucune participation financière provenant d’un parti politique européen, enregistré auprès de l’Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes, n’a été retracée » (Rapport CNCCFP, 2019, pp. 64-65). Il pourrait cependant en aller autrement pour les élections européennes de 2024, avec pourquoi pas des effets politiques importants.

Il faut rappeler en effet qu’en principe aujourd’hui, le mécanisme des candidats têtes de liste, ou Spitzenkandidaten, destinés à prendre la tête de la Commission européenne en cas d’élection, peut renforcer ces partis politiques européens. Cela pourrait conduire les partis européens à s’engager davantage dans la campagne, et les partis nationaux à bénéficier davantage de leur soutien, participant à la construction d’une plus grande vie politique européenne.

Les élections européennes de juin 2024 constitueront donc un excellent test pour vérifier ces différentes hypothèses. A suivre, alors que la campagne électorale en France commence à peine.

Romain Rambaud