Il existe un vieux préjugé en contentieux électoral, qu’il s’agirait au demeurant de vérifier scientifiquement, selon lequel en cas d’annulation d’une élection, il arrive souvent que les électeurs votent pour le sortant. Raison pour laquelle l’annulation d’une élection n’est pas encourue automatiquement quand des irrégularités sont commises mais n’intervient que lorsque le juge a la conviction que la sincérité de l’élection a été altérée, c’est à dire que le résultat aurait pu être différent si les irrégularités n’avaient pas été commises. De ce point de vue, les résultats des élections partielles des 22 et 29 janvier 2023 sont plutôt rassurants pour le raisonnement du juge électoral.
Ces élections partielles faisaient suite à l’annulation de trois élections par des décisions du Conseil constitutionnel du 2 décembre 2022, qui avaient donné lieu à analyse sur le blog du droit électoral. Dans le cas où l’élection avait été annulée pour cause d’inéligibilité du suppléant, le sortant a été reconduit ; dans les deux autres cas où le juge avait estimé que la sincérité du scrutin avait été altérée, les résultats ont été différents avec des candidats malheureux finalement élus.
8ème circonscription du Pas-de-Calais : le sortant reconduit après l’annulation fondée sur l’inéligibilité de son suppléant
Dans la 8e circonscription du Pas-de-Calais, le Conseil constitutionnel avait, par la décision n° 2022-5794/5796 AN, annulé l’élection législative, constatant que le remplaçant du candidat élu député figurait sur une liste de candidats aux élections sénatoriales qui se sont déroulées dans le département du Pas-de-Calais le 24 septembre 2017, en troisième position. Le sénateur élu à l’époque ayant démissionné, il a été remplacé par sa suivante de liste. Dès lors, la personne se trouvant en troisième position est devenue remplaçante d’un sénateur en application des dispositions de l’article LO. 320 du code électoral. Elle ne pouvait, par suite, être remplaçante dans le cadre d’une élection législative. Dans la mesure où, selon l’article LO. 189 du code électoral, le Conseil constitutionnel doit statuer « sur la régularité de l’élection tant du titulaire que du remplaçant », ce dernier a jugé qu’il y avait lieu, en raison de l’inéligibilité du remplaçant, d’annuler l’élection du député. Cette décision était un coup dur pour le candidat mais elle était juridiquement normale : dans ce cas l’annulation est automatique puisqu’elle concerne l’éligibilité du candidat suppléant, sans besoin d’analyse sur la sincérité du scrutin.
Elle n’aura cependant pas eu d’impact sur le résultat final. Dans la 8e circonscription du Pas-de-Calais en effet, Bertrand Petit est le seul des trois députés sortants reconduit. Député apparenté au Parti socialiste, il a été investi par la Nupes, après avoir présenté en juin 2022 une candidature dissidente. Il s’est imposé avec 66,49 % des voix contre le candidat du RN Auguste Evrard (33,51 %), avec bien sûr une forte abstention (72,07 %). Les électeurs ont donc été ici très cohérents : ils ont renouvelé le même candidat.
2ème circonscription de la Marne : les électeurs corrigent finalement l’erreur de la commission de propagande qui avait conduit à l’annulation de l’élection
La situation de la 2ème circonscription de la Marne est particulièrement intéressante. En effet, Laure Miller, candidate renaissance, battue en juin, l’emporte finalement avec 51,8 % des voix contre l’élue sortante du Rassemblement national (RN), Anne-Sophie Frigout (48,2 %), sur fond de forte abstention (74,83 %). Avec quatre points de retard sur son adversaire au premier tour, Laure Miller a bénéficié d’un report des voix du candidat de la Nupes, Victorien Pâté, qui avait appelé à ne donner aucune voix au RN.
Or cette situation est particulièrement intéressante car l’élection initiale avait été annulée à cause d’un certain nombre de bulletins comptabilisés, à raison juridiquement, comme nuls, à cause d’une erreur de la commission de propagande, mais dont le Conseil constitutionnel avait estimé qu’il en résultait une altération de la sincérité du scrutin. A raison donc semble-t-il.
Il faut revenir ici à la décision du Conseil constitutionnel n°2022-5768 AN, rendue par le juge électoral sur saisine de Mme Miller précisément. Il s’agissait d’un problème associé à l’article L. 52-3 du code électoral, à savoir l’interdiction de noter sur le bulletin de vote un autre nom que celui du candidat ou du remplaçant, Mme Millet ayant indiqué sur son bulletin « La candidate officielle d’Emmanuel Macron ». En l’espèce, 965 bulletins portant cette mention avaient été considérés comme nuls par la commission du recensement du fait de cette mention, alors qu’évidemment ils étaient décisifs pour l’issue du scrutin, l’écart de voix étant très faible entre les candidats arrivés en tête au premier tour : 7 369 voix pour 22,46 % des suffrages pour la première, 7 213 voix pour 21,98 % des suffrages pour la seconde et 6 964 voix pour 21,23 % des suffrages pour la troisième Mme Miller, éliminée donc du fait de la non comptabilisation de ces 965 bulletins (n°2022-5768 AN).
L’originalité de cette espèce est donc la non comptabilisation de ces bulletins par la commission de recensement. Pourtant, comme le reconnaît le Conseil constitutionnel, la commission de recensement n’avait en l’espèce fait que respecter le droit. Le Conseil constitutionnel note ainsi que « c’est à bon droit que cette dernière a écarté les bulletins litigieux ». Pourtant, le respect du droit par la commission de recensement a entraîné l’annulation de l’élection ! Le Conseil constitutionnel note en effet que « Toutefois, en l’absence de doute sur l’intention des électeurs qui les ont utilisés et alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’utilisation des bulletins litigieux ait résulté d’une manœuvre, le vote de ces électeurs a été privé de portée utile. Dès lors, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu du faible écart de voix entre les trois candidats arrivés en tête, l’absence de prise en compte des bulletins irréguliers du décompte des voix a eu pour effet de modifier l’identité des candidats qualifiés pour le second tour de scrutin, altérant ainsi la sincérité du scrutin ». L’élection a donc été annulée à première vue… parce qu’une commission de recensement a appliqué correctement le droit. En première lecture, cette décision pourrait donc paraître surprenante, érigée en parangon de la primauté de la sincérité du scrutin qui dominerait à ce point que le droit serait complétement écarté, voire qu’il aurait fallu / qu’il aurait été attendu / que la commission de recensement commette une irrégularité pour que la sincérité du scrutin ne soit pas altérée. Bien sûr, il y avait de cela dans cette décision, mais une autre explication venait renforcer cette annulation. Car en réalité, il fallait prendre le problème en amont. Certes, la candidate avait commis une erreur dans ses bulletins au départ, qu’elle a par la suite au demeurant essayé de corriger. Cependant, il y a eu également un problème au niveau de la commission de propagande, qui avait envoyé ces bulletins aux électeurs alors même que l’article L. 52-3 du code électoral n’était pas respecté, alors qu’il lui revient en principe de vérifier le respect de cet article (CE 11 juill. 2011, n° 342851, Elections cantonales de Saint-Leu [La Réunion] , Lebon T. 942 ; CE 5 févr. 1993, n° 135894, Beucher et autres, Elections régionales dans le département de la Mayenne ; pour les élections européennes, CE 8 déc. 2004, n° 268793 : v. QE n° 19720 de V. Lopez, réponse JO Sénat du 20 mai 2021, p. 3318; solution confirmée en dernière analyse par Conseil d’État, El. Mun. de la commune du Pré Saint-Gervais, 12 octobre 2021, n°448270). Il y avait donc, bien en amont, une irrégularité commise par la commission de propagande. Or c’est cette irrégularité qui a été à la source de la difficulté, car alors même que la candidate a « ultérieurement adressé directement aux bureaux de vote de la circonscription une nouvelle version de son bulletin de vote expurgée de la mention litigieuse, laquelle a été mise à disposition des électeurs dans les bureaux de vote », il est resté 965 mauvais bulletins, pour beaucoup sans doute apportés par les électeurs directement de leur domicile. C’est donc en réalité la première irrégularité, celle commise par la commission de propagande, qui a justifié l’annulation de l’élection (v. dans le même sens Conseil d’État, 3ème chambre, 12/10/2021, n°448270).
Les résultats de l’élection législative partielle du 29 janvier 2023 viennent donc corriger finalement l’erreur administrative qui fut fatale lors de l’élection initiale. Un soulagement sans doute autant pour les acteurs administratifs de la chaîne des opérations électorales que pour Mme Miller et la sincérité du scrutin elles-mêmes !
On soulignera ici qu’un raisonnement du même type a été utilisé par le juge électoral pour annuler récemment les élections dans la première circonscription de l’Ariège, par la décision n° 2022-5751 AN du 27 janvier 2023. En l’espèce, des bulletins au nom de Mme CARRIE, candidate soutenue par le Rassemblement national dans la deuxième circonscription de l’Ariège, avaient été mêlés à ceux au nom de M. GARNIER, candidat également soutenu par ce parti, dans les bureaux de vote de la commune de Tarascon-sur-Ariège. 136 bulletins au nom de Mme CARRIE ont été retrouvés dans l’urne et comptabilisés à bon droit comme nuls par la commission de recensement à l’issue du scrutin du 12 juin 2022. Toutefois, le Conseil constitutionnel a ici également estimé que « toutefois, en l’absence de doute sur l’intention d’au moins une partie des électeurs qui les ont utilisés de voter pour le candidat soutenu par le Rassemblement national dans la 1ère circonscription de l’Ariège, et alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’utilisation des bulletins litigieux ait résulté d’une manœuvre, le vote de ces électeurs a été privé de portée utile », sanctionnant l’erreur initiale s’étant produite dans ce bureau de vote, considérant en effet que « Dès lors, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu de l’écart de huit voix entre M. GARNIER et le dernier candidat qualifié pour le second tour, l’absence de prise en compte des bulletins irréguliers au nom de Mme CARRIE dans le décompte des voix de M. GARNIER a pu avoir pour effet de modifier l’identité des candidats qualifiés pour le second tour de scrutin et a ainsi altéré la sincérité du scrutin » et annulant le scrutin.
La 1ère circonscription de la Charente : l’inversion de résultats à la suite d’une annulation prononcée pour des suffrages « irrégulièrement exprimés »
Enfin une autre satisfaction pour le juge électoral vient de la situation particulière de la 1ère circonscription de la Charente. En effet, dans sa décision n°2022-5874 AN, le Conseil constitutionnel, saisi par M. Pilato, candidat malheureux, avait annulé l’élection parce qu’après vérification et recomptage des voix, certaines voix litigieuses avaient été retranchées et celles-ci étaient en nombre supérieur à l’écart de voix. En effet, 18 votes correspondant à des différences de signature significatives ont été considérés comme irrégulièrement exprimés, 8 votes ont fait l’objet d’émargements entre les deux cases du 1er et 2nd tour de sorte qu’il était impossible de vérifier à quel tour ils correspondaient, et 1 vote correspondait à un vote sans procuration régulière, soit 27 suffrages irréguliers. L’écart de voix étant de 24, l’élection a été annulée car l’élection du vainqueur n’était plus acquise.
Finalement, au second tour de l’élection partielle, le candidat de La France insoumise (LFI) pour la Nupes, René Pilato, est arrivé en tête des suffrages exprimés (50,99 %) face au candidat sortant de la majorité présidentielle, Thomas Mesnier (49,01 %), porte-parole du parti Horizons d’Edouard Philippe, avec un écart de 474 voix malgré une participation très faible (30,21 %). Un écart de voix qui s’est finalement creusé entre les deux élections en faveur du candidat de gauche, sans doute en raison également du contexte national relatif à la réforme des retraites. Signe que reporter une élection n’est jamais neutre non plus sur le plan politique.
Conclusion : satisfecit pour le raisonnement du juge électoral
Ces trois décisions peuvent donc être source de satisfaction pour le juge des élections. Elles montrent autant l’utilité de recourir au juge que la bonne articulation entre la décision d’annuler liée à une analyse de la sincérité du scrutin et le comportement ultérieur des électeurs.
Mais elles montrent aussi, en creux, la délicatesse dont doit faire preuve le juge au regard de l’annulation car un écart temporel au niveau des élections peut avoir un véritable impact politique… et cela explique aussi que le juge n’annule pas les élections en l’absence d’irrégularités suffisantes quand bien même l’écart de voix ne serait finalement, après réformation, que d’une seule (v. par exemple très récemment la décision n° 2022-5769 AN du 20 janvier 2023 relative à la 8ème circonscription de Seine-et-Marne).
Cela est d’autant plus vrai quand cet écart temporel entre deux élections causé par le contentieux électoral ne se mesure pas en semaines, mais en mois. De ce point de vue, il est sans doute regrettable que les délais de jugement des élections soient si longs, en rupture avec la logique du contentieux électoral qui veut que ces contentieux soient jugées rapidement, autant pour ne pas perturber le fonctionnement des institutions que pour ne pas risquer que les procédures judiciaires emportent, par elles-mêmes, des conséquences politiques.
Romain Rambaud