1er janvier 2022, Présidence française du Conseil de l’Union européenne et temps de parole de l’élection présidentielle : la recommandation du CSA [art n°2/2] devenu l’ARCOM [R. Rambaud]

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Pour le droit électoral français et l’élection présidentielle en cours, le 1er janvier 2022 constitue une date importante à plusieurs égards (v. par exemple ici le précédent article sur le blog du droit électoral qui évoquait la réforme des procurations qui entre en vigueur), une attention particulière étant ici portée à l’évènement le plus important de ce début d’année : la Présidence française du Conseil de l’Union européenne.

La transformation du CSA en ARCOM

Tout d’abord, on peut le souligner à titre liminaire, le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) devient aujourd’hui l’ARCOM, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, née de la fusion du CSA et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi).

Si ses prérogatives sont stables en matière électorale, le nouveau rôle de l’ARCOM comme régulateur des réseaux sociaux, notamment dans le cadre de la lutte contre les fausses informations, pourrait sur le moyen terme conduire à des évolutions. Cependant à ce stade le sujet est encore prospectif.

Le début de la « période électorale » pour la régulation des temps de parole audiovisuels en rapport avec l’élection présidentielle

Ensuite, le 1er janvier marque la date de l’entrée dans la « période électorale » de la comptabilisation des temps de parole de l’élection présidentielle, conformément à la recommandation n° 2021-03 du 6 octobre 2021 du Conseil supérieur de l’audiovisuel aux services de communication audiovisuelle en vue de l’élection du Président de la République, que nous avions déjà commentée dans un premier article de ce blog (voir ici l’article du 25 octobre 2021, consacré plus particulièrement à la question de l’encadrement des chaînes d’opinion).

Une première période s’ouvre, du 1er janvier au 7 mars, dite période d’équité de la régulation du temps de parole. Durant cette période, les éditeurs veillent à ce que les candidats déclarés ou présumés et leurs soutiens bénéficient d’une présentation et d’un accès équitables à l’antenne.

Pour apprécier le respect du principe d’équité, l’ARCOM tient compte, d’une part, de la représentativité du candidat déclaré ou présumé et, d’autre part, de sa capacité à manifester l’intention d’être candidat (voir à ce sujet, l’article écrit sur ce blog consacré à Eric Zemmour au moment où celui-ci n’était pas encore candidat). Il est tenu compte de la nature et de l’horaire des émissions. La représentativité du candidat repose notamment sur : les résultats obtenus aux plus récentes élections, c’est-à-dire celles qui se sont déroulées depuis la précédente élection du Président de la République, y compris celle-ci, par le candidat ou les partis et groupements politiques qui le soutiennent ; le nombre et les catégories d’élus dont peuvent se prévaloir les partis et groupements politiques qui soutiennent le candidat ; les indications de sondages d’opinion réalisés et publiés conformément à la loi.

Les éditeurs suivants transmettent par voie électronique au Conseil le relevé des temps de parole et des temps d’antenne des candidats et de leurs soutiens. Les temps sont pendant cette période relevés tous les 15 jours, le CSA s’assurant du respect du pluralisme par ces différents médias au regard de la représentativité des différentes formes en présence.

TF1 ;
France Télévisions (France 2 ; France 3 pour son programme national et ses programmes régionaux, France 5, Outre-mer la 1 ère radio et télévision)
Canal + pour son programme en clair ;
M6 ;
C8
TMC ;
BFM TV
CNews ;
LCI ;
franceinfo: ;
RT France ;
RMC Découverte ;
RMC Story
Radio France (France Inter, France Info, France Culture, France Bleu) ;
RTL ;
Europe 1 ;
RMC ;
BFM Business ;
Radio Classique ;
Sud Radio ;
France 24 ;
RFI ;
TV5 Monde ;
Euronews.

Le Président de la République, s’il est candidat déclaré ou présumé, n’échappe pas à cette règle : selon le CSA, « Si le Président de la République est candidat déclaré ou présumé, toutes ses interventions relevant du débat politique sont, sauf circonstances exceptionnelles, prises en compte ». Cette règle est la poursuite logique des règles applicables en dehors de la période électorale, où le temps du Président de la République est décompté dès lors qu’il relève du débat politique national, conformément à l’arrêt du Conseil d’Etat Hollande du 8 avril 2009. Attention ici à ne faire ni confusion ni raccourci, car la notion de « débat politique » vaut pour les règles de régulation des temps de parole mais ne doit pas être confondue avec la notion de « débat électoral », qui est une notion beaucoup plus précise, puisque pour être électoral un propos doit être directement adressé pour de convaincre des électeurs en vue d’une élection à venir. Un propos peut donc très bien à la fois relever du débat politique et ne présenter aucun caractère électoral. Il est ainsi bien normal que le Président de la République intervienne dans le débat politique national, sans tenir pour autant des propos électoraux. Le droit distingue ici clairement.

Au contraire, certaines prises de position du Président de la République échappent à toute comptabilisation dès lors qu’elles relèvent de sa charge constitutionnelle au sens le plus institutionnel du terme. Selon le même arrêt de 2009 du Conseil d’Etat, « Considérant qu’en raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine, est celle du chef de l’Etat dans l’organisation constitutionnelle des pouvoirs publics et des missions qui lui sont conférées notamment par l’article 5 de la Constitution, le Président de la République ne s’exprime pas au nom d’un parti ou d’un groupement politique ; que, par suite, son temps de parole dans les médias audiovisuels n’a pas à être pris en compte à ce titre ». Le CSA précise ainsi que « Les interventions qui relèvent de l’exercice de sa charge ne sont pas prises en compte ». C’est seulement lorsqu’elles relèvent du « débat politique national » que les interventions du Président de la République sont décomptées par le CSA.

La Présidence française du Conseil de l’Union européenne : une fonction ne relevant pas, sauf exception, de la comptabilisation des temps de parole pendant l’élection présidentielle

Sans aucun doute, la Présidence française du Conseil de l’Union européenne relève par principe de la charge constitutionnelle et institutionnelle du Président de la République et ne relève donc pas non du « débat politique national », pour reprendre les termes de la jurisprudence précitée du Conseil d’Etat de 2009.

Cette position ne date pas de cette année mais est ancienne. Ainsi, dans ses conclusions sur l’arrêt de principe du Conseil d’Etat précité, le rapporteur public (un magistrat indépendant qui donne son avis en public, lequel n’engage cependant pas la juridiction), Mme Catherine de SALINS, indiquait ainsi précisément :

« Nous considérons que dans les missions que la Constitution impartit au Président de  la République ou qui peuvent résulter pour lui d’engagements internationaux de la France, il  en est qui échappent à tout débat politique. Il n’y a alors pas lieu de prendre en compte les  interventions s’y rapportant au titre du respect du pluralisme. Nous pensons par exemple aux  discours que le Président de la République peut être amené à faire devant le Parlement  européen, en qualité de président du conseil de l’Union européenne lorsqu’il exerce cette  fonction comme ce fut le cas au second semestre de l’année 2008″.

Catherine de SALINS, rapporteur public au Conseil d’Etat, arrêt du Conseil d’Etat d’assemblée du contentieux du 8 avril 2009

Cette position est parfaitement logique, tant juridiquement qu’en pratique.

Juridiquement, parce que par définition les interventions au titre de la Présidence du Conseil de l’Union européenne ne relèvent pas du « débat politique national », mais du débat européen et international. De ce point de vue on se trouve bien dans le « domaine réservé » du Président de la République consacré par la tradition constitutionnelle française. En pratique, parce qu’il ne faut pas que la tenue d’une élection, même présidentielle, empêche la France de remplir ses devoirs au niveau international : la Présidence française de l’Union européenne est un évènement qui n’arrive que tous les 13 ans, et au cas présent dans un contexte de crise (sanitaire, migratoire, climatique) au sein duquel l’Europe a une place aussi indispensable qu’immense.

Le CSA, dans sa recommandation d’octobre 2021, a adopté la même position. C’est donc une prise de position de CSA parfaitement conforme tant aux intérêts de l’Europe qu’aux intérêts de la France :

« Les interventions qui relèvent de l’exercice de sa charge ne sont pas prises en compte. Il en va de même des interventions qui relèvent de l’exercice de la présidence du Conseil de l’Union européenne »

Recommandation n° 2021-03 du 6 octobre 2021 du CSA

Par principe donc, les interventions du Président de la République au titre de l’exercice de la présidence du Conseil de l’Union européenne ne seront pas décomptées, pendant les six mois de cette Présidence.

Cependant, le CSA a tenu compte du fait que certaines de ces interventions pourraient avoir un très grand rapport avec le débat politique national, auquel cas les interventions devraient alors être décomptées, le CSA/ARCOM se prononçant alors en fonction du contenu et du contexte.

« à l’exception de celles qui sont susceptibles, en fonction du contenu et du contexte, de relever du débat politique »

Recommandation n° 2021-03 du 6 octobre 2021 du CSA

Dans une telle hypothèse, le temps de parole sera décompté.

Cependant, il faudra ici alors effectuer une nouvelle distinction, prévue par la délibération n° 2011-1 du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale.

Il existe en effet ici deux hypothèses, puisque le CSA distingue entre « les interventions éventuelles du Président de la République qui, en raison de leur contenu et de leur contexte, relèvent du débat politique lié aux élections » et donc les autres. Certaines interventions du Président de la République pourront donc continuer à être considérées comme relevant du débat politique simple, tandis que seules celles relevant « du débat politique lié aux élections, notamment celles qui comportent l’expression d’un soutien envers un candidat ou une liste de candidats, un parti ou groupement politique », devront faire l’objet d’un relevé distinct et auront pour effet que les éditeurs devront en tenir « compte en veillant à ce que les autres candidats, listes, partis ou groupements politiques bénéficient, en contrepartie, d’un accès équitable à l’antenne ».

Conclusion : une position logique et équilibrée de l’ARCOM sur la Présidence française du Conseil de l’Union européenne

En adoptant ces principes, dont elle veillera à l’application, le CSA/ARCOM a adopté une position logique et équilibrée, garante des intérêts de l’Union européenne et de la France, et garantissant l’égalité des conditions de campagne électorale entre les candidats.

Enfin, cet article est évidemment pour l’auteur de ses lignes l’occasion de vous souhaiter à toutes et tous une excellente année 2022. Tous mes meilleurs vœux !

Romain Rambaud