Eric Dupond-Moretti candidat dans les Hauts-de-France : retour sur les règles d’éligibilité aux élections régionales [R. Rambaud]

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La version initiale de cet article a été publiée le 5 mai, une mise à jour a été effectuée le 7 mai suite à l’annonce de la candidature d’Eric Dupond-Moretti en tête de liste de la section départementale du Pas-de-Calais

L’affaire a fait grand bruit le 5 mai pour des raisons politiques évidentes : Eric Dupond-Moretti pourrait être candidat aux élections régionales dans les Hauts-de-France. Le 7 mai au soir, on apprenait qu’Eric Dupond-Moretti sera tête de liste dans le département du Pas-de-Calais, « sur la liste de Laurent Pietraszewsksi », c’est à dire qu’il sera tête de liste « départementale » mais qu’il ne sera pas tête de liste régionale.

L’occasion de répondre à une question de droit électoral français essentielle, que peut-être certains pourraient se poser : un ministre qui travaille et sans doute vit à Paris, M. Dupond-Moretti étant inscrit au barreau de Paris depuis 2016 (après avoir passé 30 ans au barreau de Lille), peut-il se présenter aux élections régionales dans les Hauts-de-France ? En droit, cela revient à poser cette question : comment peut-il être éligible ? En l’espèce, il semble que l’éligibilité de M. Dupond-Moretti ne fait guère de doute. Il reste intéressant d’expliquer pourquoi.

Les critères généraux d’éligibilité aux élections régionales

Pour ce qui concerne les élections régionales, l’article L. 339 du code électoral dispose que « Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits avant le jour de l’élection, qui sont domiciliés dans la région ou ceux qui, sans y être domiciliés, y sont inscrits au rôle d’une des contributions directes au 1er janvier de l’année dans laquelle se fait l’élection, ou justifient qu’ils devaient y être inscrits à ce jour ».

Il résulte de ce texte deux critères cumulatifs : il faut d’une part avoir la qualité d’électeur et d’autre part disposer d’un lien de rattachement suffisant avec la collectivité territoriale (Memento, Elections régionales et des assemblées de Guyane et Martinique des 13 et 20 juin 2021, p. 14, v., Memento, Elections régionales et des assemblées de Guyane et Martinique des 13 et 20 juin 2021, p. 14, disponible sur le site du ministère de l’intérieur). Ce lien de rattachement se justifie cependant quant à lui selon des critères alternatifs : soit le candidat est domicilié dans la région, soit il y dispose d’un lien de rattachement fiscal. Le droit français exige en effet qu’il faut « avoir une attache avec la région, c’est-à-dire y être domicilié ou inscrit fiscalement » (Memento, p. 10.)

Le candidat doit avoir la qualité d’électeur… mais peu importe où en France

En premier lieu,  « Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits avant le jour de l’élection ». Ce texte pose une question que la jurisprudence et la pratique ont du trancher : la condition d’électeur signifie-t-il qu’il faut être électeur spécifiquement dans une commune de la région ou qu’il faut simplement disposer de la qualité d’électeur en général ?

Aujourd’hui, la doctrine du ministère de l’intérieur et la jurisprudence (CE, El. Reg. de Provence-Alpes-Côte d’Azur, 16 fev. 2005, n°266322 ; CE, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, 27 mai 2016, n°395414) sont alignés. La qualité d’électeur en général suffit : il n’est pas nécessaire d’être électeur dans la région pour y être éligible, il suffit d’avoir la qualité d’électeur tout court. Le mémento du candidat pour les élections régionales précise ainsi à propos de la commune d’inscription sur la liste électorale qu’ « il n’est pas nécessaire que cette commune soit située dans le ressort de la région où il est candidat » (Memento, p. 14. Même solution dans le Guide du candidat de 2015). Ainsi, quel que soit l’endroit où M. Dupond Moretti vote, sa qualité d’électeur en général suffit à remplir ce premier critère.

Le fait, le cas échéant, d’être inscrit sur les listes électorales dans la région présente cependant un avantage. En effet, il ressort du guide du candidat et des formulaires CERFA de candidature que l’inscription sur une liste électorale dans la région permet sur le plan administratif, c’est à dire en pratique au moment de l’enregistrement de la candidature à la préfecture, de présumer le lien de rattachement avec la collectivité territoriale. Le guide dispose ainsi que « L’attache régionale est démontrée par (art. R. 109-2 par renvoi des art. R. 183 et R.351) – le domicile indiqué sur l’attestation d’inscription sur les listes électorales fournie pour démontrer la condition d’électeur » (p. 14). Cependant, il ne s’agit ici que d’une présomption administrative permettant d’enregistrer la candidature, laquelle ne s’impose pas au juge électoral.

Car il reste le critère de l’attache avec la région…

La 1ère hypothèse d’attache avec la région : la domiciliation

L’article L. 339 du code électoral dispose d’abord que « Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale ou justifiant qu’ils devaient y être inscrits avant le jour de l’élection, qui sont domiciliés dans la région« . Le domicile est donc la 1ère hypothèse d’attache régionale.

Le « domicile réel » (Cass. civ., 4 mars 2008, n° 08-60206), défini par le Code civil comme le lieu où la personne a « son principal établissement » (code civil article 102), est l’endroit où se trouve le lieu d’habitation ordinaire (Cass. civ., 8 mars 1995, Bull. civ. II, n° 78). Alors qu’une personne peut avoir plusieurs lieux de résidence, la jurisprudence considère qu’elle ne peut avoir qu’un seul domicile réel. Seul le caractère réel du domicile est pris en compte : la conservation de centres d’intérêts, de famille ou de biens n’ont pas pour effet de caractériser le domicile, pas davantage que la présence d’autres liens matériels, moraux, pécuniaires et sentimentaux (Cass. civ., 8 juill. 1992, 2 arrêts, Bull. civ. II, n° 197 et n° 198 ; 2 mars 2001, n° 01-60226). En matière de droit électoral, il est fondamental de noter que le candidat n’a pas le libre choix de décider où est son domicile : la Cour de cassation a considéré que l’article 8 de la conv. EDH garantissant le droit au domicile et le libre choix du domicile personnel n’est pas opposable efficacement aux règles impératives de domiciliation du droit électoral (Cass., Civ., 2 mars 2001, n°01-60226).

Le lieu du domicile n’est donc pas à la seule appréciation du candidat mais bien des autorités administratives et du juge.

Ainsi sur le plan administratif de l’enregistrement de la candidature, le guide du candidat considère que si le domicile n’est pas indiqué sur l’attestation d’inscription des listes électorales (voire, mais sur ce point le guide de 2015 était plus clair et plus net que celui de 2021, sur les pièces d’identités fournies), le candidat peut apporter un préfecture un justificatif de domicile « de nature à emporter la conviction de la préfecture (ex : facture récente établie au nom du candidat par un organisme de distribution d’eau, de gaz, d’électricité, par un fournisseur internet ou par une assurance habitation et correspondant à une adresse dans la région) ». Cela signifie donc que si la préfecture n’est pas convaincue de la réalité du domicile, elle peut refuser d’enregistrer la candidature pour absence d’éligibilité du candidat.

Sur le plan contentieux (il s’agirait ici d’un contentieux électoral a posteriori, car l’enregistrement de la candidature, à la différence du refus d’enregistrement, n’est contestable que dans le cadre du recours contre les élections une fois que celles-ci se sont déroulées), le juge est souverain. Il arrive ainsi de façon très concrète que des personnes soient déclarées inéligibles et voient leur élection annulées par le juge qui considère que leur domicile est ailleurs. On peut rappeler ici le précédent de Dominique Reynié, tête de liste Les Républicains dans la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées (Occitanie), dont l’élection a été annulée car le Conseil d’Etat l’avait considéré comme inéligible car non domicilié dans la région : il résultait de l’examen des faits que M. Reynié avait son principal établissement en région parisienne et non dans la région concernée, eu égard aux conditions sommaires de son installation à Onet-le-Château (bail conclu avec sa mère après le 1er janvier) et à la courte durée de son habitation dans cette commune au jour de l’élection, ne lui conférant pas un caractère suffisant de stabilité (CE, 27 mai 2016, n°395414, 395572).

Concernant M. Dupond-Moretti, la question de sa domiciliation pourrait paraître problématique et ce fondement n’est sans doute pas le bon pour justifier de son éligibilité.

La 2ème hypothèse d’attache avec la région : le rattachement fiscal

L’article L. 339 du code électoral dispose ensuite que « Sont éligibles au conseil régional tous les citoyens inscrits sur une liste électorale (…) ou ceux qui, sans y être domiciliés, y sont inscrits au rôle d’une des contributions directes au 1er janvier de l’année dans laquelle se fait l’élection, ou justifient qu’ils devaient y être inscrits à ce jour ».

Cela signifie que l’éligibilité est dans ce cas liée au fait que le candidat est redevable dans la région d’une contribution directe locale au 1Er janvier de l’année, qu’il y est inscrit au rôle fiscal ou devrait y être inscrit en raison soit de la date d’acquisition d’un bien antérieure au 1er janvier (plus précisément, sur le rôle fiscal d’une commune de la région), soit d’une habitation antérieure au 1er janvier, c’est à dire qu’il convient d’établir par date certaine la redevabilité à la taxe, soit par un acte notarié, soit par un enregistrement auprès des services fiscaux (CE, 29 juillet 2002, n°235916). Le texte précise : en pratique, la preuve de l’attache fiscale peut être : la taxe d’habitation ; les taxes foncières (bâties ou
non bâties) ; la cotisation foncière des entreprises (CFE) (p. 14).

Ainsi, lors du dépôt de déclaration de candidature, pour établir l’attache fiscale avec la région, si l’intéressé n’est pas domicilié dans la région, il est prévu qu’il doit fournir (art. R. 109-2 par renvoi des art. R. 183 et R.351) :

– soit un avis d’imposition ou un extrait de rôle, délivré par la direction départementale des finances publiques, qui établit que l’intéressé est inscrit personnellement au rôle des contributions directes d’une commune de la région au 1er janvier 2021 ;

– soit une copie d’un acte notarié établissant que l’intéressé est devenu, dans l’année précédant celle de l’élection, soit en 2020, propriétaire d’un immeuble dans la région ou d’un acte notarié ou sous-seing privé enregistré au cours de la même année établissant que l’intéressé est devenu locataire d’un immeuble d’habitation dans la région ;

– soit une attestation notariée établissant que l’intéressé est devenu propriétaire par voie successorale d’une propriété foncière dans la région depuis le 1er janvier 2021 ;

– soit une attestation du directeur départemental des finances publiques établissant que l’intéressé, au vu notamment des rôles de l’année précédant celle de l’élection et des éléments que celui-ci produit, et sous réserve d’une modification de sa situation dont l’autorité compétente n’aurait pas eu connaissance, justifie qu’il devait être inscrit au rôle des contributions directes dans la région au 1er janvier 2021.

Le rattachement fiscal donne donc droit, en France, à l’éligibilité. Cette pratique contestable mais autorisée par la loi est le signe du maintien d’une conception « propriétariste » de l’éligibilité au niveau local, c’est à dire que la propriété confère « par nature » un lien avec la collectivité. Il s’agit ici sans doute d’une manifestation du citoyen – propriétaire, cohérente notamment au regard de l’ancienneté des textes dont il est question ici. Le citoyen-propriétaire a un lien établi avec la collectivité locale qui ne peut être remis en question, d’où l’absence d’analyse de la manœuvre par la jurisprudence (sauf sans doute des cas très particuliers comme des clauses d’annulation rétroactive de l’acquisition d’un bien), à la différence sur ce point du locataire (CE, El. Reg. de Provence-Alpes-Côte d’Azur, 16 fev. 2005, n°266322). En effet le juge se contente de la date certaine de l’acquisition, quand bien même le bien serait enregistré tardivement (v., pour l’acquisition d’un terrain sur le territoire de la commune un 27 décembre 1988 pour une élection se déroulant en 1989, CE, El. Mun. de la Foa, 9 mai 1990, n°107967)

Si cette règle peut bien sûr être légitime, elle est source de dérives car elle peut constituer une véritable « manœuvre légale ». En effet, en général, le rattachement fiscal est une stratégie privilégiée par des candidats non domiciliés dans une région pour s’y rendre éligible. Lorsqu’un candidat non domicilié souhaite se rendre éligible dans une collectivité, la meilleure manière de le faire est d’anticiper en faisant l’acquisition notarié d’un bien soumis à la taxe foncière avant le 1er janvier de l’année de l’élection, ne serait-ce qu’un garage par exemple. Il en résulte donc que même un achat tardif, effectué dans le seul but de se rendre éligible à une élection, est possible et ne sera pas sanctionné par la jurisprudence. Cette « manœuvre légale » est une véritable « chose cachée » du droit électoral des élections locales (v. R. Rambaud,  «Les choses cachées du droit électoral des élections municipales », in S. Ferrari, R. Rambaud, Droit électoral et droit des collectivités territoriales, BJCL, n°12/2020, p. 862), au sens où cet élément est bien connu des initiés mais sans doute ignoré du grand public. Cela est par ailleurs choquant concernant un principe pourtant fondamental du droit électoral : l’égalité. Il suffit en effet d’avoir de l’argent pour pouvoir se rendre éligible, là où quelqu’un qui n’a pas d’argent ne le peut pas. Cette règle mériterait sans doute d’être réformée, non pas pour la supprimer, mais au moins pour exiger une durée minimale de propriété.

En tout état de cause, si M. Dupond-Moretti n’est pas domicilié dans la région Hauts-de-France, c’est son rattachement fiscal qui lui permettra d’établir son attache avec la région et donc son éligibilité et ceci de façon probablement incontestable.

Le concernant cependant, nulle « manoeuvre légale » attachée à l’acquisition tardive d’un bien. Comme l’indique très clairement la déclaration de patrimoine de M. Dupond-Moretti disponible sur le site de la HATVP, celui-ci est propriétaire, en bien propre, pleine propriété et à 100%, d’une maison individuelle dans le département du Nord (59), qui est entrée dans son patrimoine en 1970. En France, en droit, cela suffit à le rendre éligible aux élections régionales des Hauts-de-France. Le reste, c’est de la politique.

Etre tête de liste dans le département du Pas-de-Calais : l’indifférence des sections départementales en matière d’éligibilité régionale [Mise à jour du 7 mai]

La nouvelle de la position précise du garde des Sceaux connue, reste de ce qui précède une question : si on retient l’hypothèse qu’Eric Dupond-Moretti est éligible du fait de sa propriété dans le département du Nord (59), peut-il être tête de liste dans le département du Pas-de-Calais (62), alors qu’il n’a semble-t-il pas de bien immobilier là bas ? Et bien… la réponse est oui.

Pour le comprendre (ou pas), il faut d’abord revenir au mode de scrutin des élections régionales, particulier parce qu’il comporte des « sections départementales », c’est à dire que la liste est composée d’autant de sous-listes départementales qu’il y a de départements dans la région (L. 338-1). Ceci résulte de la réforme de 2003 qui a voulu réinstituer une représentation des départements au sein du conseil régional : désormais, une fois que le nombre de sièges revenant à une liste au niveau régional a été calculé (avec la prime majoritaire de 25% pour le vainqueur), ces sièges sont répartis entre les sections départementales au prorata des voix obtenues par la liste dans chacun des départements correspondant aux sections, permettant de retrouver une représentation départementale au sein des conseils régionaux, mais sans altérer le principe de l’élection au niveau de la région. En effet, il ne s’agit que d’un principe de répartition des sièges entre les départements à l’intérieur de chaque liste qui n’a pas vocation à altérer le caractère régional de l’élection. Ce sont bien les résultats au niveau de la région toute entière qui déterminent le nombre de sièges de chaque liste, la liste gagnante bénéficiant d’une prime majoritaire pour éviter l’instabilité au sein de l’assemblée : les rapports de forces entre listes concurrentes (majorité, opposition) sont donc issus du score au niveau régional. C’est seulement dans un second temps, à l’intérieur de chacune des listes, qu’on s’intéresse à la répartition départementale, mais celle-ci ne modifie pas les rapports de force internes à l’assemblée.

Dans la mesure où il s’agit simplement d’un dispositif de répartition des sièges de second rang, le législateur n’est pas allé jusqu’à exiger une attache au département de la section départementale : le scrutin restant régional, les critères d’éligibilité et d’attache à la région restent régionaux. Ainsi, même si les listes sont composées de sous-listes départementales, les critères d’éligibilité s’apprécient au niveau de la région et si l’on est éligible dans la région, on peut se présenter dans n’importe quelle section départementale. Le guide est parfaitement clair sur cette question : « L’attache de chaque candidat s’apprécie au niveau de la région et non de la section départementale dans laquelle il se présente. Ainsi est éligible toute personne qui a une attache dans la région même si celle-ci n’est pas située dans la section départementale au titre de laquelle il présente sa candidature ». (p. 14).

C’est ainsi que juridiquement en effet, une maison dans le Nord (59) rend éligible dans le Pas-de-Calais (62), et qu’Eric Dupond-Moretti peut y prendre la « tête de liste ».

Romain Rambaud