Comme nous l’avions indiqué en début de semaine [Josselin Rio, NDLR], la disposition sur les émissions de campagne officielle audiovisuelle des législatives pose des problèmes et le parti En Marche ! avait fait un recours devant le Conseil d’Etat et une QPC a été transmise au Conseil constitutionnel (ordonnance n°410833 du 29 mai 2017). Celui-ci a rendu la décision n° 2017-651 QPC du 31 mai 2017. Association En Marche ! [Durée des émissions de la campagne électorale en vue des élections législatives].
L’association « En Marche ! » invoquant le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions faisait valoir que l’attribution du temps d’antenne par l’article 167-1 ne tenait pas compte de la véritable représentativité des partis concourant aux élections législatives. Et la répartition inégalitaire du temps de propagande pendant la campagne officielle vient effectivement d’être censurée par le Conseil constitutionnel. La décision du Conseil appelle cependant plusieurs mises en garde quant à sa motivation et à son applicabilité dans le temps si bien qu’elle aura finalement un impact réduit sur les élections législatives des 11 et 18 juin prochains.
Le nouvel équilibre du Conseil constitutionnel
Cet article attribuait une durée importante aux partis représentés par un groupe à l’Assemblée lors de la précédente législature (1h30 au 1er tour pour les groupes « d’opposition » et les groupes de la « majorité ») et une durée démesurément faible pour les autres partis (7 minutes au premier tour à condition de présenter 75 candidats minimum).
Le Conseil constitutionnel a considéré, au regard du principe de pluralisme qu’il qualifie de « fondement de la démocratie » (considérant 5) que le législateur ne peut fixer des durées d’émissions « manifestement hors de proportion avec la participation de ces partis et groupements à la vie démocratique de la Nation » (considérant 6). Il exige que cette proportion dépende de la représentativité des mouvements politiques. Ainsi, il impose au législateur de déterminer des règles veillant à assurer une « participation équitable à la vie démocratique de la Nation et à garantir le pluralisme des courants d’idées et d’opinions » (considérant 9) en ce qui concerne les partis non représentés par un groupe à l’Assemblée Nationale.
Il semble que cette représentativité soit exigée à deux niveaux. Le Conseil détaille trois disproportions à corriger dans son considérant 10. Le premier constat est l’absence de prise en compte par l’article 167-1 §2 du nombre de groupes représentés à l’Assemblée qui sont associés à la majorité ou à l’opposition. Autrement dit, le Conseil admet qu’une inégalité de traitement peut apparaître entre les groupes représentés à l’Assemblée en fonction de cette répartition majorité-opposition.
La deuxième irresponsabilité législative relève du rapport qui concerne plus précisément la situation de fait d’ « En Marche ! » mais également du « Front National » et des « Insoumis ». Il s’agit de l’inégalité entre les groupes représentés et ceux qui ne le sont pas mais qui bénéficient d’une représentativité accrue au regard des résultats de l’élection présidentielle. Le Conseil relève effectivement que l’article 167-1 ne tient pas compte de l’importance des courants d’idées ou d’opinions que les partis et groupements représentent.
Enfin, le Conseil souligne une inégalité entre l’ensemble des partis et groupements visés par le §3, autrement dit ceux devant bénéficier de 7 minutes. Ceux qui n’ont pas obtenu de bons résultats à l’élection présidentielle ne devraient pas être traités de la même façon que ceux qui bénéficient de cette fameuse « importance [dans les] courants d’idées ou d’opinions ».
Le Conseil constitutionnel n’instaure donc pas une stricte égalité entre tous les mouvements mais souhaite mettre en place, comme pour l’élection présidentielle, un traitement équitable. D’ailleurs dans le calcul des nouveaux temps à attribuer, le Conseil s’inspire de sa décision 2016-729 DC du 21 avril 2016 dans laquelle il valide les critères de calcul de la représentativité des candidats en vue d’un accès équitable à la campagne audiovisuelle. Ainsi, dans son considérant 15, l’évaluation de cette importance du courant d’idées ou d’opinions pour les élections des 11 et 18 juin devra tenir compte « du nombre de candidats qui déclarent s’y rattacher [au parti ou groupement] et de leur représentativité, appréciée notamment par référence aux résultats obtenus lors des élections intervenues depuis les précédentes élections législatives». Deux remarques sur ce calcul : d’une part le Conseil constitutionnel semble faire une différence entre l’importance d’un courant d’idées et d’opinions et la notion de représentativité du parti ou groupement. D’autre part, les précédentes élections ne renvoient pas uniquement aux présidentielles mais à l’ensemble des opérations électorales depuis les précédentes législatives. Aussi, si l’on applique la logique du Conseil constitutionnel, les partis ayant participé aux régionales de 2015 devraient obtenir plus de temps d’antenne que En Marche !. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel tiendra-t-il compte de cette donnée ? Dans le cas contraire, les autres mouvements pourraient se voir ouverte la possibilité de contester en référé cette non prise en compte au regard de la présente décision du Conseil.
Une marge de manœuvre regrettable accordée au législateur
La décision du Conseil constitutionnel ne donne pas pleinement satisfaction au regard du caractère auto-reproductif intrinsèque à la disposition du code électoral contestée. Le Conseil constitutionnel admet en effet que le législateur peut tout à fait tenir compte de la composition de la chambre lors de la précédente législature. Les juges de la rue Montpensier laissent une marge de manœuvre souveraine au législateur au travers de leur traditionnelle formule « il est loisible au législateur » pour déterminer un accès aux antennes du service public en fonction des groupes représentés à l’Assemblée.
Pire, cette marge de manœuvre, au-delà d’une marge d’appréciation est couverte par le Conseil constitutionnel par un objectif d’intérêt général de « clarté du débat électoral » ( considérant 8). Il considère donc qu’un préjugé de représentativité, qu’une photographie périmée de 5 ans de la présence ou non de mouvements politiques à la chambre est susceptible de conditionner la représentativité présente des concurrents actuels à la députation. L’explication avancée par le commentaire en ligne de la décision, émis par les services du Conseil, n’est pas plus convaincante. Le Conseil poursuivrait une jurisprudence permettant au législateur de favoriser l’émergence d’une majorité stable et cohérente. Si cet argument permet de justifier les modes de scrutins retenus, il ne devrait pas permettre de justifier des inégalités (ou pour adhérer à la logique d’équité du Conseil des iniquités) entre des candidats à une procédure élective. En d’autres termes, le législateur doit pouvoir être souverain sur les techniques électorales à mettre en place, mais pas sur les familles politiques qui doivent constituer les majorités et oppositions du pays.
Le Conseil constitutionnel évoque donc la clarté du débat électoral alors que la présomption de représentativité d’une famille politique (potentiellement sur le déclin lorsque l’on regarde l’actualité politique du moment en ce qui concerne tant le Parti Socialiste que Les Républicains) instaure plutôt un obscurantisme partisan.
Un plafonnement de l’équité temporaire
La dernière raison pour laquelle la décision du Conseil n’apparaît pas complètement satisfaisante est son applicabilité dans le temps. Le Conseil constitutionnel n’a pas choisi de faire entièrement confiance au CSA dans la réévaluation des temps d’antenne et a craint un chaos audiovisuel en cas d’absence de base légale. Il a ainsi reporté le plein effet de l’inconstitutionnalité au 30 juin 2018 (considérant 14) laissant un an au législateur le soin de modifier la norme. C’est au regard de ce report que le Conseil a fixé les conditions d’appréciation de l’importance du courant politique décrit en amont. Le législateur, lui ne devrait pas être lié par ces critères et pourra tout à fait choisir, on l’espère, de mettre fin au critère de représentativité « héréditaire » des groupes sortants.
Cette position est relativement paradoxale au regard d’une dernière donnée de la décision : le plafonnement de l’équité. Si le Conseil apporte des critères plus enclins à faire respecter la proportion d’accès aux médias audiovisuels, il fixe tout de même un plafond aux nouveaux temps susceptibles d’être alloués. La réévaluation ne pourra « excéder cinq fois les durées fixées par les dispositions du paragraphe III de l’article L.167-1 du Code électoral ». Autrement dit, là où les mouvements d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon disposaient anciennement de 7 minutes, ils ne pourront à présent pas bénéficier de plus de 35 minutes au premier tour. Le commentaire en ligne de la décision du Conseil explique ce plafond par la volonté des juges constitutionnels de ne pas « méconnaître l’intention d’origine du législateur ». Mais si cette volonté d’origine est inconstitutionnelle ?
La majorité de demain risque donc d’émerger encore une fois d’une inconstitutionnalité plafonnée, réévaluée mais belle et bien toujours présente.