07/06/2017 : Cumul des mandats : législatives et sénatoriales 2017, la loi du 14 février 2014 enfin appliquée [M. Le François]

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Au plus tard trente jours après leur élection ou leur réélection, les 11 ou 18 juin 2017, les député(e)s devront être en conformité avec la loi organique promulguée le 14 février 2014 interdisant aux parlementaires de cumuler leur mandat avec une fonction exécutive locale. Le même exercice s’appliquera lors du renouvellement de la moitié des sièges du Sénat, le 24 septembre 2017.

Ces deux scrutins marquent la fin du répit qui a présidé à l’application d’un texte qui met fin à une tradition bien française. Bon nombre de parlementaires ont d’ores et déjà anticipé cette réforme dans les mois qui ont précédé une année électorale transformée en « chamboule tout », selon la judicieuse expression employée par le Président du Conseil constitutionnel, le 10 mai 2017, lors de la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle conformément à l’article 58 de la Constitution de la Vème République.

Si les lois sur le non cumul n’expliquent pas tout, nul ne peut nier leurs effets: 37% des députés sortants ne se représentent pas, un record pour des élections législatives. Et dans les mois qui ont précédé le scrutin du mois de juin, 170 députés ont déjà tranché entre le Palais Bourbon et « leur » ville.

Une exception française

En juin 2012, 476 députés sur 577 (82%) et 267 sénateurs sur 348 (77%) disposaient  au moins d’un autre mandat électif. Bon nombre de ces parlementaires étaient à la tête d’un exécutif local : 261 députés (45%) et 166 sénateurs (48%) étant soit maire, soit président de conseil général, soit président de conseil régional.

Autant de chiffres signant une exception typiquement française, car en Europe, le nombre d’élus « cumulant » ne dépasse pas la barre des 20%, ce pourcentage restant à 10% en Allemagne. Cette exception est historiquement justifiée. Longtemps, le mandat local n’était pas indemnisé. Un mandat national permettait à celui qui n’était pas « bien né » de s’occuper de sa ville, de sa circonscription cantonale grâce à son mandat de parlementaire.

Cette exception, il faut le souligner, n’est pas réservée au seul domaine politique, le cumul étant un art très partagé dans un pays qui, contrairement à ce que pensait Churchill,  compte beaucoup plus de fromages que de jours dans l’année.

Quoi de plus logique, l’autorité dans l’Hexagone se forge dans la centralité et se déploie avec la présence dans des réseaux constituant autant de pôles d’influence. Associer la verticalité d’un pouvoir dans un champ clairement délimité et l’horizontalité offerte par l’occupation de secteurs clés dans différents domaines, tout en s’efforçant de le faire le plus longtemps possible, c’est l’essence même du cumul.

Cette pratique semble d’ailleurs consubstantielle à l’organisation des pouvoirs en France car elle n’est pas une discipline réservée aux seuls hommes politiques, comme le prouvent les systèmes de représentation, d’organisation et de prise de décision dans le monde économique et patronal, le secteur agricole, ou bien encore dans l’univers éditorial, universitaire ou médiatique.

Les dispositions adoptées en 2014 s’inscrivent dans le prolongement des lois votées en 1985, puis 2000, accompagnées de nombreux rapports ou travaux de commission –Commission Balladur, rapport Combrexelles, pour ne citer que deux textes– .

Quelle application/ Comment ?                   

La loi organique n°2014-125 et la loi n°2014-126  du 14 février 2014 organisent désormais le principe de l’incompatibilité entre les mandats de parlementaires nationaux et européens avec une fonction exécutive au sein d’une collectivité locale, d’un établissement public de coopération intercommunale, d’un syndicat mixte ou d’une instance représentative des Français établis hors de France.

Dans ce cadre, l’article 1er de la loi organique précitée énumère de façon exhaustive les fonctions que ne pourront plus exercer les parlementaires :

« 1°  maire, maire d’arrondissement, maire délégué et adjoint au maire ;

« 2°  président et vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale ;

« 3°  président et vice-président de conseil départemental ;

« 4°  président et vice-président de conseil régional ;

« 5°  président et vice-président d’un syndicat mixte ;

« 6°  président, membre du conseil exécutif de Corse et président de l’assemblée de Corse ;

« 7°  président et vice-président de l’assemblée de Guyane ou de l’assemblée de Martinique ; président et membre du conseil exécutif de Martinique ;

« 8°  président,  vice-président et membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; président et vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; président et vice-président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;

« 9°  président, vice-président et membre du gouvernement de la Polynésie française ; président et vice-président de l’assemblée de la Polynésie française ;

« 10°  président et vice-président de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;

« 11°  président et vice-président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

« 12°  président et vice-président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;

« 13°  président de l’Assemblée des Français de l’étranger, membre du Bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger et vice-président de conseil consulaire.

Et l’article 12 de la loi organique de préciser son entrée en vigueur à compter du premier renouvellement des assemblées parlementaires suivant le 31 mars 2017, soit juin 2017 pour les députés, septembre pour les sénateurs et enfin mai 2019 pour les députés européens.

Les députés et les sénateurs élus ou réélus en 2017

Il convient de distinguer deux situations, dont seule la première demeure la plus courante.

– Au plus tard le trentième jour qui suit la proclamation des résultats de l’élection du député (12 ou 19 juillet selon que l’élection a été acquise le 11 ou le 18 juin), du sénateur (25 octobre) ou, en cas de contestation, la date à laquelle le jugement confirmant cette élection est devenu définitif, le député ou le sénateur qui se trouve en situation d’incompatibilité au sens des articles L.O. 141-1 et L.O. 297 du code électoral est tenu de démissionner du mandat ou de la fonction qu’il détenait antérieurement.

À défaut, le mandat ou la fonction acquis à la date la plus ancienne prend fin de plein droit.

Il ne s’agit plus d’un délai d’option comme les différentes lois sur le non cumul mais d’un délai de grâce. Désormais, le mandat de parlementaire prime sur tout autre mandat local. Cette nuance juridique permet de réaffirmer la fonction de parlementaire.

– En cas d’élections acquises le même jour, le député ou le sénateur est tenu, dans les mêmes conditions, de démissionner du mandat ou de la fonction acquis dans la circonscription comptant le moins grand nombre d’habitants. À défaut, le mandat ou la fonction acquis dans la circonscription comptant le moins grand nombre d’habitants prend fin de plein droit.

Tant qu’il n’est pas mis fin à la situation d’incompatibilité prévue aux articles L.O. 141-1 (députés) et L.O. 297 (sénateurs) du code électoral, l’élu concerné “ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire”

 S’agissant des sénateurs renouvelables en 2020

Les sénateurs de la série 2 (départements de l’Ain à l’Indre puis du Bas-Rhin à la Haute-Savoie, la Seine-Maritime, puis des Deux-Sèvres jusqu’au Territoire de Belfort pour la Métropole, la Guyane, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Saint -Barthélémy et Saint-Martin pour l’Outre-mer) renouvelables en septembre 2020 se verront opposer la loi du 14 février 2014 dès le 2 octobre 2017, date du début de la session ordinaire.

Une décision du conseil constitutionnel (CC, le 13 février 2014, n° 2014-689 DC) précise d’ailleurs que « les dispositions de la loi organique seront applicables à l’ouverture de la session ordinaire qui suit cette élection tant aux sénateurs faisant l’objet d’une nouvelle élection qu’aux sénateurs élus lors du renouvellement de septembre 2014 ». Et conformément à l’article 28 de la Constitution du 4 octobre 1958, le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire s’ouvrant le premier jour ouvrable d’octobre et prenant fin le dernier jour ouvrable de juin.

Aussi, Manuel Valls, alors Premier ministre avait retenu une interprétation plus favorable appliquant le délai de trente jours maximum à compter du 2 octobre pour démissionner de sa fonction exécutive ou de son mandat de sénateur.

Il convient donc de distinguer les sénateurs qui ont mis fin à une situation de cumul de mandat ou de fonction avant le 2 octobre et ceux qui attendront le début de la session ordinaire.

– Avant le 2 octobre, le parlementaire est libre de démissionner de son mandat de parlementaire ou de la fonction exécutive locale.

En cas de démission du mandat de sénateur, le démissionnaire est remplacé par le suivant de liste en cas de scrutin proportionnel ou à l’occasion de l’organisation, dans les trois mois,  d’une élection partielle en cas de scrutin majoritaire. Néanmoins, il est nécessaire de rappeler que conformément à l’article L.O.322 du code électoral, l’organisation d’une élection partielle l’année d’un renouvellement partiel est prohibée. »

  • Après le 2 octobre, il convient de distinguer deux situations, l’élection au Sénat avant la fonction exécutive et l’élection au Sénat après la fonction exécutive.

Lorsque le sénateur est élu parlementaire après son élection à la tête d’un exécutif local, il perd la fonction exécutive locale.

Lorsque le sénateur est élu parlementaire avant qu’il n’exerce une fonction exécutive, il est remplacé comme sénateur par son suivant de liste (scrutin proportionnel) ou par son suppléant (scrutin majoritaire). Néanmoins, sa lettre de démission doit expressément faire référence à la loi sur le non cumul du mandat de député, de sénateur avec une fonction exécutive locale.

Tant qu’il n’est pas mis fin, à la situation d’incompatibilité prévue aux  articles L.O. 141-1 (députés) et L.O. 297 (sénateurs) du code électoral, l’élu concerné ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire.

 Une mutation en cours                               

Force est de constater que la mise en œuvre progressive du “non cumul”, facilement compréhensible par l’impossibilité de réduire la durée des mandats parlementaires,  traduit  une lente mais inexorable évolution des mentalités et des pratiques politiques.

Les historiens se plaisent à rappeler qu’en 1846, la Chambre des pairs comptait 54 % de députés qui étaient aussi maires ou conseillers généraux. Ces derniers seront élus au suffrage universel à partir de 1848, mais la Troisième République ne déroge pas à la règle, car durant 69 ans,  le cumul a concerné entre 25 et 35 % de députés – maires et entre 40 et 50 % de députés – conseillers généraux.

En conformité avec les promesses électorales du président de la République Emmanuel Macron, François Bayrou, ministre de la Justice a présenté le 1er juin 2017 la réforme intitulée « pour redonner confiance dans la vie démocratique » et qui sera structurée en trois projets de lois -ordinaire, organique et constitutionnelle. L’annonce à la presse de l’interdiction  future du cumul dans le temps du mandat de député ou de sénateur mais aussi de l’exercice d’une fonction exécutive locale renforcera cette évolution.

Après la Libération, le pourcentage d’élus portant plusieurs mandats avait diminué, avant de repartir à la hausse jusqu’à ce que dans les années 70, les trois quarts des députés disposent aussi d’un mandat local, signe d’une contradiction très française entre le territoire électoral d’une circonscription législative ou sénatoriale et la mission législative du parlementaire.

Comme si seule la “base” était créatrice, et que l’élu devait obligatoirement faire son trou et donc cumuler, pour acquérir une légitimité et le droit de représenter, mais aussi pour…légiférer.

Gageons que le projet de réforme “pour la confiance dans notre vie démocratique” présenté par le ministre de la Justice François Bayrou prolongera, si elle entre application, cette mutation.

Magali Le François

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