07/04/2017 : Retour sur la publication des comptes d’ensemble de 2015 des formations politiques : quelques enseignements [M. Sannet]

Dans une perspective de « marché électoral », les ressources des formations politiques revêtent une importance capitale. Comment en effet mobiliser les adhérents, les sympathisants, les électeurs et l’attention médiatique sans (liste non exhaustive) communiquer, organiser des meetings, conventions thématiques, apporter un soutien logistique et financier aux candidats ? En cette période électorale et à la veille des scrutins nationaux, la CNCCFP a établi, en application de l’art. 11-7 de la loi n°88-227, une publication sommaire des derniers comptes déposés par les formations politiques, à savoir ceux arrêtés au 31 décembre 2015.

A cette date, 451 partis politiques (+20 par rapport au 31/12/2014) étaient tenus de déposer des comptes d’ensemble certifiés. Seuls 338 (+ 4) s’y sont conformés. La majorité des partis politiques n’ayant pas respecté leur obligation sont des partis à vocation locale ou n’ayant plus d’activité effective.

Sans prétendre à un tour d’horizon exhaustif (se référer pour davantage d’informations aux données publiées en Open Data par la CNCCFP et/ou à l’avis relatif à la publication générale des comptes des partis et groupements politiques au titre de l’exercice 2015), nous proposons ici une synthèse de quelques données-clés.

L’activité « économique » des partis politiques

Comme le rappelle l’art. 7 de la loi n°88-227 et en vertu de l’art. 4 de la Constitution, les partis « se forment et exercent leur activité librement ». Ce principe de libre administration permet à chaque formation politique d’exercer toutes les activités utiles à son objet. Le parti est un agent économique (bien que de caractère associatif, en principe sans but lucratif), en interaction avec des acteurs marchands. Afin d’appréhender l’activité « économique » des formations politiques, retenons les critères posés par l’art. R. 612-1 du Code de commerce, à savoir le total du bilan (« patrimoine » du parti), les produits d’activité courante et le nombre de salariés. Ainsi :

Seuls 6 partis politiques présentent un total de produits d’activité courante supérieur à 3,1 M€ (par ordre décroissant : LR ; PS ; PCF ; FN ; Jeanne ; EELV).

10 partis ont un total de bilan supérieur à 1,55 M€ soit les 6 susmentionnés (dans le même ordre) + COTELEC, l’UDF, le PG et LO.

NOTA – En application des règles issues de l’art. 7 de la loi n°2017-286 publiée au JO le 7 mars 2017 (voir précédents articles), un seuil de « ressources » de 230 K€ détermine désormais la nomination obligatoire de 2 commissaires aux comptes. Dès lors et en retenant la notion de produits d’activité courante pour apprécier cette notion de « ressources », seules 36 formations demeureraient astreintes à la double certification de leurs comptes d’ensemble. Cette disposition, comme plusieurs de la nouvelle loi, s’inscrit dans une démarche d’adaptation du droit aux contingences de l’action politique.

Enfin, l’emploi de permanents politiques est réservé à quelques grandes formations. La masse salariale cumulée des partis politiques est de 35 M€ au 31/12/15. Seuls 5 partis (PS : 15 M€ ; PCF : 7 M€ ; LR : 5 M€, FN : 2 M€, EELV : 2 M€) ont une masse salariale dépassant 50 SMIC en équivalent temps plein. Le poste de salaires ne comprend pas la facturation des salariés à disposition. Le bénévolat et le militantisme, conditions essentielles du dynamisme politique du mouvement, ne sont pas valorisés.

En résumé, l’activité économique des partis n’est significative que pour 5 d’entre eux. Les partis nationaux concentrent l’essentiel des ressources. Pourtant, au sens des données publiées, les organisations les plus en vue demeurent de simples « PME » (par comparaison avec les seuils de la PME communautaire : 250 salariés, chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 M€, total bilan inférieur à 43 M€).

Les produits enregistrés par les formations politiques

Entrons plus avant dans le détail des comptes d’ensemble des formations politiques. Quelle est la structuration moyenne des produits comptabilisés par les partis (assez stable d’un exercice à l’autre) ?

Dotation publique accordée au titre de 2014 et versée en 2015

La dotation publique est un pilier du système de financement voulu par le législateur en 1988. Il s’agit en effet d’assainir des pratiques antérieures (rétro-commissions, conflits d’intérêt avec des entreprises ou associations liées, etc.). Le financement public se veut une garantie d’équité politique et de moralité. L’aide attribuée est assise sur le nombre de suffrages obtenus aux élections législatives dans sa première fraction et sur le nombre de parlementaires rattachés au parti dans sa seconde fraction. Son montant global dépend de crédits budgétaires votés annuellement par le Parlement.

Comme le montre l’infographie, ce système de financement écarte de facto 89 % des formations déclarées. PS (25 M€) et LR (19 M€) concentrent 68 % de l’aide allouée.

Les dons et cotisations

Le poids des dons et cotisations, relativement mineur pour les grandes formations politiques, est un enjeu de viabilité pour les partis à faible surface financière.

Seules 8 % des formations politiques (25 partis) dépassent néanmoins le seuil de 153 K€ de dons au 31/12/2015. Relevons, parmi elles, 2 formations constituées en 2015 : LE CAP AJ POUR LA FRANCE et LA MANIF POUR TOUS.

Plus généralement, les partis des candidats aux élections primaires de la Droite et du Centre ont eu un recours significatif à ce mode de financement.

Le parti LR représente à lui seul plus d’un tiers des dons perçus par l’ensemble des formations politiques.

Contributions d’élus

Malgré le choc électoral subi par le PS aux élections municipales de 2014, les contributions d’élus demeurent une source de financement privilégiée des partis de la gauche « historique » (PS et PCF représentent à eux seuls 75 % du poste en 2015).

Cotisations

Enfin, si 140 formations ne comptabilisent aucune cotisation d’adhérent (interrogeant sur leurs modalités d’action politique voire, dans certains cas, sur la réalité de leur activité), 4 d’entre elles concentrent plus des deux tiers des cotisations versées (dans l’ordre d’importance : PS, LR, PCF, FN).

La santé économique et financière des formations politiques

Nombre de formations politiques affichent une situation économique et financière préoccupante au 31/12/2015 : 21 % des partis ayant déposé leurs comptes présentent des fonds propres négatifs. Parmi elles se trouvent 6 formations dont les fonds propres sont inférieurs à -1 M€ en particulier LR (-29 M€) et le FN (-8 M€).

Rappelons ici que les formations politiques n’ont pas été expressément soustraites par le législateur du champ des procédures collectives. Le dessaisissement judiciaire des dirigeants d’un parti politique pour des raisons économiques, hypothèse à haut risque politique, ne peut être a priori exclue.

Analyse de la structure des charges

Malgré les élections départementales de 2015, une quote-part faible des charges des organisations politiques est consacrée aux campagnes électorales (8 %). En réalité, ce poste exclut les concours en nature apportés par les partis aux campagnes, non valorisés dans une rubrique spécifique des comptes d’ensemble.

Les frais généraux (frais de personnel + autres achats et charges externes) demeurent prépondérants. Ils correspondent au fonctionnement quotidien d’une association mais sont souvent induits par des activités rattachées au domaine politique (organisation de réunions, déplacements, travail programmatique des permanents, communication au sens large, etc.).

Conclusion

Les partis politiques français sont en majorité des « partis à faible surface financière » (synonyme policé de « micro-partis »), satellites de partis nationaux (24 formations présentent des produits provenant à plus de 50 % d’une autre formation politique) ou plus souvent issus d’une stratégie d’enracinement local (154 formations disposent de produits inférieurs à 15 K€ au 31/12/2015).

L’échiquier politique national et principalement les partis représentés au Parlement (bénéficiant d’une dotation publique significative) ont l’assise financière la plus large sans être toujours la plus solide (voir l’endettement bancaire du parti LR et, dans une moindre mesure, du PS).

Relevons enfin la constitution sous forme de parti politique loi 1988 (donc contrôlé par deux commissaires aux comptes et la CNCCFP) de la Haute Autorité de la primaire de la Droite et du Centre. S’agissant d’une élection de droit privé donc non soumise à la supervision directe de la Commission, le choix de ce statut peut apparaître comme une volonté de transparence.

Mais au-delà des chiffres se pose la question du système de financement français : est-il suffisant pour éviter la tentation d’un recours à des ressources illicites ? Permet-il l’émergence de nouveaux courants d’idées ? La dotation publique, en favorisant le parti au pouvoir, est-elle contracyclique (le parti majoritaire présentant une activité politique réduite au contraire des partis d’opposition, amenés à dépenser plus pour reconquérir le pouvoir) ? Autant de questions demeurant dans le débat public. Mais l’impopularité des partis permet-elle un débat dépassionné ? Dans un contexte de restrictions, les crédits budgétaires et avantages fiscaux accordés aux donateurs et cotisants, aussi nécessaires soient-ils, peuvent être perçus comme non prioritaires voire abusifs.

La publication des comptes d’ensemble des partis et leur périodicité, dans un contexte d’accélération du temps politique, ne permettent pas à elles seules de répondre aux exigences de l’électorat en termes de moralisation et de transparence.

Matthieu Sannet