15/03/2017 : Mise en examen de François Fillon : le droit pénal à l’épreuve de la réalité électorale [R. Rambaud]

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C’est donc avec 24h d’avance que François Fillon a été convoqué par les juges et mis en examen, sur sa demande semble-t-il, afin d’éviter l’effet désastreux des images. La situation est inédite, puisque c’est la première fois qu’un candidat majeur à l’élection présidentielle doit à ce point mener sa campagne électorale avec une procédure judiciaire sur le dos. La « trêve judiciaire » est une tradition abandonnée, ce qui pose autant question sur le principe de la séparation des pouvoirs que sur l’évolution du droit électoral dans le sens de la « démocratie continue » (D. Rousseau), conformément à l’évolution que nous développons sur ce blog de façon régulière.

Bien sûr, la presse se fait déjà largement l’écho de cette mise en examen, sans revenir ici sur ce qui a été dit sur la question de la qualification d’empêchement au sens de l’article 7 de la Constitution, débat qui semble s’être éloigné aujourd’hui… en tout cas pour le moment.

Problématique générale de l’articulation entre droit pénal et droit électoral

Sur le fond, les questions relatives à la mise en examen de M. Fillon semblent rejoindre des questions plus générales sur les rapports entre le droit pénal et le droit électoral, qui ont été évoquées ici à plusieurs reprises, à propos du dépassement des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy ou des affaires relatives au Front National. En effet, une hypothèse de recherche, qui fait l’objet de travaux en cours, est de considérer d’une part que le droit pénal de droit commun a des difficultés à avoir une prise sur les questions électorales, tandis que d’autre part le droit pénal électoral spécial se caractérise encore aujourd’hui par une faible effectivité et de faibles sanctions. D’où une efficacité relativement limitée du droit pénal en matière électorale.

Cette hypothèse a été parfaitement illustré par l’affaire des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy : non-lieu sur l’affaire de la prise en charge du paiement de la pénalité par l’UMP à l’époque sur la base de l’incrimination d’abus de confiance, et finalement, pour ce qui concerne le dépassement en tant que tel, non-renvoi de Nicolas Sarkozy (à la différence d’autres prévus dans l’affaire) pour les infractions de «faux, escroquerie, et abus de confiance» et renvoi pour la seule infraction de dépassement des comptes de campagne prévue à l’article L. 113-1. I. 3° du code électoral, une infraction faiblement sanctionnée (3750 euros d’amende et un an emprisonnement).

Le même type de difficultés peut-il se produire avec l’affaire Fillon ? Ce dernier a été mis en examen semble-t-il pour« détournement de fonds publics » et « complicité et recel de détournement de fonds publics », « complicité et recel d’abus de biens sociaux » et « manquement aux obligations déclaratives ». Trois infractions distinctes, qui ne seront pas forcément faciles à qualifier et pour lesquelles l’enquête demandera du temps. Par ailleurs les questions de procédure continuent de poser des problèmes particuliers au regard des réalités électorales.

Le détournement de fonds publics

Pour ce qui concerne le détournement de fonds publics, sa complicité et son recel, il faut se référer à l’article 432-15 du code pénal, modifié en dernière analyse par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, en vertu duquel « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction ».

C’est une infraction pénale de droit commun, qui d’ordinaire vise le fonctionnaire, le greffier, le notaire, mais aussi l’homme politique et l’élu : par exemple la Chambre criminelle de la Cour de cassation a appliqué à plusieurs reprises cette infraction à un maire (Crim. 13 sept. 2006, n°05-84111 ; 20 mai 2009, n°08-87354) et au moins une fois à un président de conseil général (Crim. 4 mai 2006, n°05-81.151). Cette infraction a même été utilisée pour sanctionner précisément des cas d’emplois fictifs, concernant des agents affectés au groupe des élus communistes et républicains de la mairie et mettant en doute la réalité du travail de ces personnes au profit de la commune (Crim. 13 sept. 2006, n°05-84111). On peut donc être en désaccord avec une position soutenue par une part de la doctrine, comme Jean-Eric Schoettel et Pascal Jan, selon laquelle ce délit ne serait pas applicable au parlementaire, dès lors qu’il a déjà été utilisé contre des maires pour des activités décentralisées et contre un président de conseil général.

Cependant, c’est la question des faits constitutifs qui posera  ici des difficultés, dans la mesure où la mission du collaborateur parlementaire n’est pas clairement définie, sauf si les dernières révélations sur les rétrocessions des enfants Fillon sont établies. C’est l’argumentation de François Fillon lui-même : dans sa lettre lue devant les juges, il déclare « Il est également de mon devoir de venir aujourd’hui devant vous afin de vous affirmer: oui, j’ai employé mon épouse et la réalité de son travail est indéniable. Cette réalité a été confirmée dans le détail par plusieurs personnes qui ont travaillé à ses côtés durant de nombreuses années ». Quant à l’argument selon lequel une telle appréciation conduirait le juge à s’immiscer dans ce qui doit ou non constituer une activité parlementaire, c’est de ce point de vue sans doute le plus sérieux. On retrouvera donc en l’espèce des problèmes que l’on a déjà croisés en la matière, à savoir la difficulté de réunir les éléments constitutifs. La jurisprudence à venir sera en tout état de cause fondamentale.

L’abus de biens sociaux

L’incrimination de recel d’abus de biens sociaux est définie à l’article L. 241-3 du code de commerce, puisqu’il s’agit de l’infraction visant « Le fait, pour les gérants, de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ». Sans doute cette incrimination a-t-elle été retenue sur l’aspect « Revue des deux mondes » de l’affaire. A suivre.

Le manquement aux obligations de déclaration

Cette incrimination est liée à la législation sur la transparence de la vie publique qui a été étudiée dans le détail par Sylvie Torcol dans une contribution sur ce blog à laquelle on renvoie. En vertu de l’article 26 de la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, « Le fait, pour une personne mentionnée aux articles 4 ou 11 de la présente loi, de ne pas déposer l’une des déclarations prévues à ces mêmes articles, d’omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. Peuvent être prononcées, à titre complémentaire, l’interdiction des droits civiques, selon les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal, ainsi que l’interdiction d’exercer une fonction publique, selon les modalités prévues à l’article 131-27 du même code ». C’est de cette incrimination qu’il s’agit en l’espèce, et elle vise bien, selon le rapport de la HATVP publié en février 2016 pour l’année 2015, la « sous-évaluation mensongère ». Par ailleurs, François Fillon aurait omis de déclarer un prêt de 50.000 euros auprès du directeur de la revue des Deux Mondes.

La Haute autorité pour la transparence de la vie publique pratique depuis quelques temps déjà la saisine du Procureur pour manquement à ces déclarations : Marine et Jean-Marie Le Pen ont déjà fait les frais de cette décision, le Conseil d’Etat ayant rejeté leurs recours contre cette décision en considérant qu’elle n’était pas détachable de la procédure pénale. L’affaire est encore en cours, car ces questions prennent du temps. C’est ici que surviennent les problèmes de procédure.

Les problèmes de procédure

Le droit pénal et le droit de la procédure pénale sont protecteurs, et c’est bien ce qu’on leur demande. Cependant, les questions de procédure sont autant d’arguments utilisables pour une défense, d’autant lorsque celles-ci s’articulent avec des questions électorales.

C’est ainsi qu’un débat a eu lieu concernant la compétence du Parquet National Financier. Pour une partie de la doctrine, comme Jean-Eric Shoettel (Les petites affiches, 14 février 2017) ou Pascal Jan (sur son blog), ce dernier n’était en effet pas compétent. En effet en vertu de l’article 705 du code de procédure pénale, le « procureur de la République financier, le juge d’instruction et le tribunal correctionnel de Paris exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l’application des articles 43,52,704 et 706-42 pour la poursuite, l’instruction et le jugement des infractions suivantes : 1° Délits prévus aux articles 432-10 à 432-15 ,433-1 et 433-2 ,434-9,434-9-1,445-1 à 445-2-1 du code pénal, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d’une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d’auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent ». Pour ces auteurs, le dossier n’est pas d’une complexité telle qu’elle justifierait la compétence du PNF. Nul doute que l’analyse devra être faite de façon approfondie au fond.

Par ailleurs, les infractions seront difficiles à caractériser et l’instruction prendra du temps, d’autant que la mise en examen de François Fillon est d’abord une mesure protectrice. En effet, si la mise en examen peut être une mesure préalable à des actes de coercition adoptés par le juge (contrôle judiciaire, assignation à résidence, détention provisoire), elle est en elle-même une mesure de protection vis-à-vis de la personne contre qui l’enquête est menée puisqu’elle l’informe de la situation, lui donne accès à un avocat, lui permet de demander à ce que des actes d’instruction soient menés (Article 82-1 et s. du code de procédure pénale). C’est donc précisément à partir de la mis en examen que le combat judiciaire peut-être mené… et que les avocats peuvent utiliser toutes les mesures dilatoires qu’ils peuvent imaginer.

La protection de l’immunité parlementaire

Enfin, s’il devait y avoir des mesures de coercition, elles feraient l’objet de mesures supplémentaires qui se heurteraient immédiatement à une difficulté: François Fillon est protégé par son immunité parlementaire prévue par l’article 26 de la Constitution, en vertu de laquelle « Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive ». Depuis 1995 il n’y a plus de distinction selon que l’Assemblée est en session ou non.

L’immunité parlementaire ne fait pas obstacle à l’ouverture d’une enquête, ni à l’engagement des poursuites. Un parlementaire peut être entendu en qualité de témoin ou de mis en cause, ou interrogé et mis en examen par un juge d’instruction. L’inviolabilité ne fait pas obstacle à une perquisition au domicile d’un parlementaire, ni à une fouille de son véhicule. En revanche, toute mesure de restriction ou de privation de liberté supposerait d’abord la levée de l’immunité parlementaire.

Ce qui pose donc, au final, une question simple mais déjà politiquement désastreuse : le prochain épisode de la saga judiciaire « Fillon » sera-t-il une demande par les juges de levée de son immunité parlementaire ?

Romain Rambaud

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