Les dés sont jetés…. ou plutôt auraient du l’être, si la candidature de François Fillon n’était pas autant menacée. En tout état de cause, les primaires étant terminées, les protagonistes de l’élection présidentielle sont en place. Et cela tombe bien, car à partir d’aujourd’hui 1er février 2017 la régulation des temps de parole fondée sur l’équité commence… ce qui pourrait produire des effets politiques.
Le CSA a établi ses règles de temps de parole dans sa recommandation n°2016-2 du Conseil supérieur de l’audiovisuel aux services de radio et de télévision en vue de l’élection du Président de la République. Les principes sont les suivants.
Une régulation commençant le 1er février 2017… après les primaires
Tout d’abord, il faut souligner qu’alors que sa régulation des temps de parole commençait depuis 1995 à partir du 1er janvier – elle commença même en décembre en 2007 – le CSA ne fait commencer cette période de régulation que le 1er février 2017. Cependant, il faut se garder d’interpréter ce changement comme le signe d’un raccourcissement de la campagne : au contraire, il a très certainement un lien avec les primaires et les difficultés à les intégrer pour le moment dans le système de régulation.
En effet, la question des primaires n’est pas encore résolue par le CSA, alors que dans la mesure où elles anticipent les élections et « polarisent » l’attention des médias, la mise en place d’une régulation de celles-ci présente un enjeu fondamental. De ce point de vue, il n’est pas certain que la période actuellement prise en compte par le CSA pour la régulation suffise, car cela conduit à placer le débat des primaires hors période électorale, sachant que la régulation applicable hors période électorale est beaucoup plus souple et se fonde sur la représentation parlementaire plus que sur une logique de démocratie continue.
Dans un moment où les primaires se généralisent, le CSA aurait pu le prendre en compte en remontant encore dans le temps sa période de régulation : suite à la présidentielle de 2012, il avait engagé une réflexion sur cette question. Cependant, il a reçu de la part des médias une sorte de fin de non-recevoir, comme il l’indique dans un rapport de 2015 : « à ce titre, la concertation engagée par le Conseil n’a pas suscité de demandes formelles de la part de ses interlocuteurs tendant à ce qu’une régulation spécifique aux élections primaires soit mise en œuvre. Toutefois, certains d’entre eux ont suggéré que le Conseil puisse exercer, à la demande des intéressés, un rôle de bons offices ». Le CSA n’a donc pas été en mesure de construire une réglementation de nature à éviter l’effet de polarisation qu’il avait regretté précédemment dans ses rapports.
Sachant cela, comment interpréter le fait que le début de la régulation ait été déplacé du 1er janvier au 1er février 2017 autrement que par rapport aux primaires ? Trois considérations ont pu conduire à cette décision: accorder une plus grande liberté aux médias suite au mouvement impulsé par le Conseil constitutionnel, respecter une sorte de principe d’égalité en n’appliquant pas aux primaires socialistes une régulation qui n’aurait pas été appliquée aux primaires des Républicains de novembre 2016, mais aussi, et en cela la décision du CSA est plus contestable, éviter une confrontation avec les médias, ce qui pose le problème de la polarisation de ceux-ci sur les primaires et l’avantage qu’elle procure dès lors aux partis qui en organisent au détriment des autres. Ce point illustre parfaitement, a contrario, l’allongement dans le temps des campagnes électorales et la difficulté pour le modèle traditionnel d’y faire face. Une autre solution consisterait à faire démarrer la régulation du CSA dès le mois de novembre… soit un étirement considérable.
Les critères utilisés lors des périodes de régulation
Le CSA distingue trois périodes, suivant sa doctrine classique, en prenant en compte les modifications apportées par la loi organique du 25 avril 2016. La période préliminaire court du 1er février 2017 jusqu’à la publication de la liste des candidats, la période intermédiaire de cette publication jusqu’à la campagne officielle, qui démarre le deuxième lundi précédant le premier tour de scrutin. La période de la campagne officielle relève du principe d’égalité stricte prévue par le décret de 2001. La loi organique de modernisation de l’élection présidentielle a officiellement pris en compte cette régulation puisqu’elle prévoit désormais l’application d’un principe d’équité renforcée à partir de la publication de la liste des candidats.
Pour ce qui concerne l’équité, applicable lors des deux premières périodes, elle est fondée d’une part sur la représentativité du candidat et d’autre part sur sa contribution à l’animation du débat électoral. La représentativité du candidat repose sur les résultats obtenus aux plus récentes élections, ce qui vise d’après le CSA toutes celles qui se sont déroulées depuis la précédente élection présidentielle comprise, le nombre et les catégories d’élus dont peuvent se prévaloir les partis politiques qui soutiennent le candidat, et enfin les indications des sondages d’opinion réalisés et publiés conformément à la loi. La contribution du candidat à l’animation du débat électoral repose sur l’organisation de réunions publiques, les déplacements et visites sur le terrain, l’exposition au public par tout moyen de communication, y compris les réseaux sociaux, la participation à des débats et, lors de la première période, de la désignation d’un mandataire financier, ce qui montre une intéressante articulation entre la législation financière et la législation audiovisuelle.
Les évolutions les plus récentes du droit électoral consacrent donc l’importance croissante de la campagne électorale elle-même. Ces nouvelles règles de la démocratie continue sont encore mal maîtrisées et il faudra à leur propos faire preuve de vigilance. Elles pourraient notamment renforcer l’effet « course de chevaux » qui caractérise la formation de l’offre politique et l’importance des sondages dans la construction de celle-ci : plus les candidats seront hauts dans les sondages, plus ils seront exposés médiatiquement, plus ils seront hauts dans les sondages, et inversement. C’est la raison pour laquelle cette modification de la loi organique rendait nécessaire une réforme du droit des sondages électoraux qui eut lieu par la loi ordinaire du 25 avril 2016. Cependant, elles vont dans le sens du renforcement de la démocratie d’opinion qui a aussi sa légitimité.
Le CSA a aussi précisé ce qu’il faut entendre par les « conditions de programmation comparables » désormais applicables lors de la période intermédiaire, garantissant le principe d’équité renforcée, et la période d’égalité. Il s’agit de la présentation et l’accès à l’antenne des candidats et de leurs soutiens en fonction de certains créneaux horaires : tranche du matin (6h-9h30), tranche de la journée (9h30-18H), tranche de la soirée (18-24h) avec au sein de cette tranche une sous-tranche de 19h30 à 21h pour les chaines d’information généralistes, et enfin une tranche de la nuit (0h-6h). Il s’agit ici d’éviter l’effet pervers constaté pendant l’élection présidentielle de 2012 où l’équité avait permis à certains chaînes d’information de se contenter de passer les petits candidats à des heures creuses ou la nuit et les autres à des heures de grande écoute.
Conclusion : des effets politiques à la régulation des temps de parole ?
Dans sa volonté de mieux contrôler les primaires, le CSA mettait en garde contre le phénomène de « polarisation » des médias sur ces élections. Force est de constater que cet effet de polarisation s’est largement confirmé dans le cadre de l’élection présidentielle de 2017, les médias ayant été complètement accaparés par les primaires successives.
A partir d’aujourd’hui 1er février 2017, la donne devrait changer, le CSA veillant désormais à appliquer une plus stricte équité dans la couverture médiatique de la campagne. Certaines candidats devraient logiquement en profiter, restés jusqu’ici relativement silencieux. Emmanuel Macron, bien sûr, qui bénéficie d’une véritable dynamique de campagne, même si elle est peut être largement virtuelle. Mais cela devrait surtout être le cas pour Marine Le Pen.
A moins qu’aujourd’hui, finalement, le mieux à faire pour être élu soit finalement de parler le moins possible ?
Romain Rambaud