29/03/2016 : Le Bénin, champion d’Afrique francophone de l’alternance démocratique : les clés du succès [Komi Dodji Akpatcha]

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imagesJadis champion d’Afrique des coups d’Etat militaire[1], le Bénin semble avoir troqué ce titre peu glorieux contre celui de champion d’Afrique de l’alternance démocratique, depuis l’amorce du renouveau démocratique dans les Etats africains au début des années quatre-vingt-dix.

téléchargement (1)En effet, depuis la tenue de la Conférence nationale souveraine en 1990[2] suivie de l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990 d’inspiration libérale et démocratique3, le Bénin s’est distingué au sein des États d’Afrique francophone par l’alternance régulière au sommet de son Etat. La preuve en est encore donnée lors du deuxième tour de l’élection présidentielle du 20 mars 2016 avec la victoire de Patrice TALON, un homme d’affaires soutenu par l’opposition, devant Lionel ZINSOU, Premier ministre sortant et candidat soutenu par le président sortant Yayi BONI.

Il s’agit de la quatrième alternance démocratique dans ce pays depuis l’ouverture démocratique[3], alors que d’autres Etats d’Afrique noire francophone n’en ont jamais connu jusqu’alors. Si certains Etats comme le Sénégal se trouvent dans la même lignée que le Bénin[4], d’autres comme le Togo, le Gabon, ou le Cameroun se retrouvent à l’opposé[5] alors que d’autres encore, comme le Niger ou le Mali, ont vu leur élan démocratique subitement stoppé par la résurgence des coups d’Etats militaires.

A l’heure où certains États d’Afrique noire francophone semblent avoir verrouillé toutes les possibilités d’alternance[6], le Bénin vient une nouvelle fois donner l’exemple d’une maturité politique de ses acteurs et confirmer son avancée démocratique. Mais alors, quels sont les facteurs qui expliquent cette réussite électorale béninoise ? La réponse à cette question réside dans la définition et le respect des règles de jeu par les acteurs, dont la maturité politique transcende les divergences d’opinion.

  1. Le respect des règles de jeu par les acteurs

téléchargement (2)Tous les constituants africains du renouveau démocratique ont pris conscience qu’une véritable démocratie ne peut se construire sans la possibilité d’une alternance régulière au sommet de l’Etat. C’est dans ce sens que les nouvelles Constitutions africaines ont consacré des mesures devant conduire à la fin de la présidence à vie. Il était clair aux yeux des constituants que la tenue régulière d’élections ne suffit pas à elle seule à garantir l’alternance. Ainsi, au-delà de la reconnaissance du multipartisme, qui contribue à l’expression plurielle des opinions, l’une des mesures phares favorables à l’alternance démocratique dans les Constitutions africaines réside dans la limitation des mandats présidentiels[7]. En effet, il était question pour les nouveaux constituants de mettre fin au « one man show présidentiel [8]» qui caractérisait les régimes politiques africains, et qui favorisait l’autoritarisme et le pouvoir personnel.

Ainsi, la Constitution béninoise de 1990, la toute première du nouveau constitutionnalisme africain, a inscrit cette disposition à l’article 42 dont l’alinéa 2 indique qu’ « en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». Cette disposition se retrouve dans presque toutes les Constitutions africaines[9] adoptées au début des années quatre-vingt-dix dans la mesure où il est admis partout que « l’alternance démocratique rime avec la limitation des mandats d’autant plus que la présidence à vie débouche sur des convulsions ou crises sociales graves, voire sur des guerres civiles[10]».

téléchargementToutefois, force est de constater que la majorité des États, à travers une instrumentalisation à outrance des procédures de révision constitutionnelle par le chef de l’Etat et sa majorité[11], sont revenus quelques années plus tard sur le principe de la limitation du mandat présidentiel, anéantissant par la même occasion toute possibilité d’alternance démocratique et permettant de « régénérer partiellement la figure d’un Président démiurge à vie[12] ». Il en est ainsi de la révision constitutionnelle du 31 décembre 2002 au Togo, qui, en modifiant les dispositions de l’article 59[13] permet désormais, au Président de se faire réélire ad vitam aeternam. C’est le cas également de la constitution gabonaise[14] et celle d’autres Etats d’Afrique noire francophone. Toujours dans la même logique de stérilisation des possibilités d’alternance, le mode de scrutin pour l’élection présidentielle s’est vu réformer dans ces États : le Togo et le Gabon ont ainsi mis fin au scrutin majoritaire à deux tours pour l’élection présidentielle préférant l’élection du président de la République à un tour[15].

Emporté dans un processus de démocratisation assumé, le Bénin s’est distingué par l’intangibilité des règles relatives à l’élection présidentielle. Ainsi, la disposition relative à la limitation des mandats présidentiels n’a pas été touchée depuis lors, justifiant la permanence de l’alternance démocratique dans cet Etat. A ces occasions, les chefs de l’Etat sortants, empêchés par la Constitution de renouveler leur mandat, se sont conformés aux dispositions constitutionnelles telles qu’établies en quittant pacifiquement le devant de la scène. Ces derniers, quand bien même tentés à un moment donné de toucher à cette disposition pour s’éterniser au pouvoir comme dans d’autres Etats, en ont été vite dissuadés par un peuple béninois vigilant et une Cour constitutionnelle tenace dont l’indépendance affirmée est à souligner[16]. De plus, le scrutin majoritaire à deux tours consacré dans ce pays[17], permet au peuple de s’exprimer librement sur le choix d’un Président légitime.

téléchargement (3)Ainsi, si l’on prend l’hypothèse du premier tour du scrutin présidentiel de 2016, Lionel ZINSOU aurait été élu Président de la République béninoise avec moins de 30% des suffrages[18] si le Bénin avait aussi modifié son mode de scrutin. Le match ZINSOU-TALON[19] n’aurait donc pas eu lieu, au détriment de la démocratie béninoise. Le scrutin à deux tours a permis au peuple béninois et aux hommes politiques écartés lors du Premier tour de se rassembler ensuite devant Patrice TALON pour lui accorder la plus grande légitimité dont ne peut se passer le Président d’un Etat démocratique.

Tout ceci démontre la maturité politique du peuple et des hommes politiques béninois, ce qui n’est malheureusement pas le cas partout en Afrique.

  1. La maturité politique des acteurs

L’une des clés des réussites électorales du Bénin par rapport aux autres États africains réside également dans la maturité politique dont font preuve le peuple et les hommes politiques pendant les périodes électorales.

Le Bénin est l’un des rares États africains à être exonéré du cycle permanent élections-contestations-violences[20]. Alors que les périodes préélectorales, électorales et postélectorales sont systématiquement tendues dans les autres États, au Bénin, ces périodes sont marquées par la démonstration de la maturité politique des différents acteurs. Cette maturité se remarque d’abord à travers le respect des règles de jeu prédéfinies et la confiance faite aux institutions chargés de conduire le processus électoral. En s’engageant dans le processus électoral les différents acteurs s’engagent ainsi à respecter les règles de jeu et à recourir aux moyens légaux de résolution des conflits en cas de contestation. Les béninois sont donc épargnés des multiples polémiques préélectorales sur les conditions d’organisation du scrutin comme on en voit ailleurs, et se concentrent sur les programmes politiques des candidats.

téléchargement (4)Ensuite, le comportement des acteurs au lendemain des opérations électorales témoigne de cette maturité. Alors que dans d’autres États les lendemains électoraux sont redoutés par tous, au Bénin, la grandeur des hommes politiques assure la tranquillité et la stabilité. Ainsi dès le lendemain du scrutin du 20 mars 2016, et l’annonce des premières tendances par la Commission électorale nationale autonome (CENA)[21], le candidat ZINSOU parrainé par le Président sortant, a reconnu publiquement sa défaite en adressant ses félicitations au candidat élu Patrice TALON[22] Ce geste, qui peut paraître sans grand intérêt dans les grands États démocratiques, est d’une grande importance dans des États qui sont entrain de construire progressivement leur démocratie comme au Bénin. Par ce geste, le candidat perdant, non seulement accepte le verdict des urnes, mais aussi témoigne sa confiance en l’institution organisatrice du scrutin qu’est la CENA.

Cette maturité politique dont font preuve les acteurs politiques béninois fait malheureusement défaut dans d’autres États africains où les lendemains électoraux sont toujours marqués par des contestations tous azimuts et des actes de violence orchestrés par les militants manipulés par des les candidats.

L’exemple béninois de démocratie électorale mérite d’être souligné et d’être suivi dans les autres États d’Afrique noire francophone en plein déficit démocratique. Les prochaines échéances électorales dans les autres États permettront de voir s’ils sont à même de disputer le titre de champion d’Afrique francophone de l’alternance au Bénin.

Affaire à suivre…..

Komi Dodji Akpatcha

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Notes

[1] VIGNON (Y-B.), « Les coups d’Etat en Afrique francophone », in Mélanges en l’honneur de Dominique Breillat, Paris, LGDJ, 2010, pp. 614-620

[2] EBOUSSI-BOULAGA (F.), Les Conférences nationales en Afrique. Une affaire à suivre, Paris, Karthala, 1993,

[3] Le Bénin a connu sa première alternance démocratique dès la première élection pluraliste organisée en 1991 avec la victoire de Nicéphore SOGLO sur le président sortant Mathieu KEREKOU. Ce dernier prendra sa revanche en 1996 avant de quitter le pouvoir au bout de son second mandat en 2006 au profit de Yayi BONI l’actuel président sortant

[4] Le Sénégal a connu l’alternance à deux reprises, en 2000 puis en 2012

[5] Ces Etats n’ont jamais connu d’alternance démocratique

[6] ETEKOU (B-Y-S.), L’alternance démocratique dans les États d’Afrique francophone, Thèse de droit public, Université de Cocody-Abidjan, 2013

[7] LOADA (A.), « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone », in Afrilex, n° 3, 2003, pp. 139-174

[8] MANGA (Ph .), « Réflexions sur la dynamique constitutionnelle », in Revue de jurisprudence et de politique internationale comparée, n°1 jan-avr. 1994, p.46

[9] Article 59 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992 ; article 6 de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 ; article 9 de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991 : etc.

[10] TAMA (J-N.), L’odyssée du constitutionnalisme africain, L’Harmattan, 2015, p. 94

[11] ATANGANA-AMOUGOU (J-L.), « Les révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionnalisme africain », in Actualité juridique et politique, n° 2, Juillet 2006, pp. 44-84

[12] BOLLE (S.), « Des Constitutions made-in Afrique », Communication au VI° Congrès Français de Droit Constitutionnel, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005, http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/1/35/48/78/Constitutions-made-in-Afrique.pdf

[13] Alors que la version originelle de l’article 59 al.2 limitait formellement à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs, la nouvelle version dispose simplement qu’ « il est rééligible »

[14] Sur initiative du Président Bongo, une première réforme est intervenue le 22 avril 1997, qui allongeait le mandat du Président à sept ans. Finalement, cet article sera de nouveau révisé le 30 juillet 2003 pour permettre au Président d’être réélu sans limitation du nombre de mandats.

[15] Article 9 al.2 (nouveau) de la Constitution gabonaise issue de la révision constitutionnelle de 2003 : « L’élection est acquise au candidat qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages » ; l’article 60 (nouveau) de la Constitution togolaise issue de la révision de 2002 est encore plus clair en disposant que « l’élection présidentielle a lieu au scrutin uninominal majoritaire à un tour. Le Président de la République est élu à la majorité des suffrages exprimés »

[16] MBORANTSUO (M-M.), La contribution des cours constitutionnelles à l’Etat de droit en Afrique francophone , Paris, LGDJ, 2007

[17] Article 43 de la Constitution béninoise

[18] Le candidat ZINSOU est arrivé en tête au premier tour du scrutin du 6 mars 2016 avec 28,44% des suffrages contre 24,80% pour Patrice TALON

[19] « Présidentielle au Bénin : les résultats du premier tour confirment le match Zinsou-Talon »
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/13/presidentielle-au-benin-les-resultats-du-premier-tour-confirment-le-match-zinsou-talon_4882061_3212.html#XS0Zzj0E7hQs8JmT.99

[20] FAYE (S.), « Elections et instabilités politiques en Afrique de l’Ouest », Texte d’une conférence dispensée dans le cadre d’un colloque organisé en 2014 à l’Université de Dakar au Sénégal, http://classiques.uqac.ca/contemporains/Faye_Saliou/elections_instabilites_Afrique_ouest/elections_texte.html

[21] « Présidentielle au Bénin : la Cena confirme la large avance de Patrice Talon sur Lionel Zinsou », http://www.jeuneafrique.com/311832/politique/presidentielle-benin-cena-confirme-large-avance-de-patrice-talon-lionel-zinsou/

[22] « Présidentielle au Bénin : Lionel Zinsou reconnaît sa défaite face à Patrice Talon », http://www.jeuneafrique.com/311614/politique/presidentielle-benin-lionel-zinsou-reconnait-defaite-face-a-patrice-talon/

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