Mehdi Taboui expliquait hier dans Le blog du droit électoral les griefs formulés par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) dans sa décision publiée par communiqué de presse le 21 décembre contre les deux Le Pen. Il n’y a pas lieu d’y revenir, mais l’actualité va si vite, qu’il y a lieu, déjà, d’actualiser l’article !
Le Conseil d’Etat rejette par ordonnance de tri les demandes de suspension formées par les deux Le Pen
En effet, les Le Pen ont saisi le Conseil d’Etat qui, par deux ordonnances du 23 décembre 2015, a rejeté leur demande de suspendre les délibérations de la HATVP datées selon l’arrêt du 3 décembre 2015 décidant de saisir le Procureur de la République financier.
Il faut noter que la haute juridiction a décidé de rejeter ces demandes par les ordonnances de tri de l’article L. 522-3 CJA, c’est à dire sans instruction ni audience, une pratique décidément à la mode ces temps-ci. L’article L. 522-3 CJA prévoit notamment que le juge des référés peut, par une décision motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence. C’est un élément important qui n’intéresse pas que la procédure mais aussi le fond.
En l’espèce, ainsi que le relève le Conseil d’Etat, les requérants se bornaient à faire valoir, sans plus de précision, que chaque délibération contestée « aurait des conséquences difficilement réparables ». Le juge des référés du Conseil d’État a estimé qu’ils ne justifiaient pas ainsi être dans une situation d’urgence qui justifierait une suspension des délibérations, et a fait usage de son pouvoir de trier. Effectivement en l’espèce l’urgence n’était pas caractérisée et la réaction des Le Pen relevait sans doute plus de la contestation juridictionnelle à des fins politiques (voir l’article de Mehdi Taboui) que d’une vraie requête de fond.
Cependant, l’affaire sera jugée au fond, comme l’indique le Conseil d’Etat : « Le Conseil d’État se prononcera ultérieurement sur le fond des affaires ». Or cela pourrait s’avérer très intéressant d’un point de vue jurisprudentiel dans la mesure où, à notre connaissance, ce type de décision de la HATVP n’avait jamais été contesté. Le seul fait que le Conseil d’Etat annonce qu’il se prononcera sur le fond présente un intérêt.
L’interprétation délicate des ordonnances de tri
Sur ce point, il existe en effet une interrogation dans la mesure où la décision pour une autorité administrative de recourir à l’article 40 du code de procédure pénale n’est pas dissociable de la procédure pénale, à la différence d’ailleurs du refus de saisir le parquet, qui fait l’objet d’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de la part du juge administratif (CE, 8 février 2012, M. Mélenchon, n°353357). D’après une jurisprudence constante, le juge administratif n’est pas compétent pour connaître de conclusions tendant à l’annulation de l’acte par lequel une autorité administrative, quelle qu’elle soit, décide de saisir le juge judiciaire (CE, 21 décembre 1976, Association des concubins et concubines de France et Lefer, p. 520). Cette solution a été rendue, concernant une AAI, s’agissant de la décision de la Commission des sondages de saisir le parquet en vue de poursuites (CE, 11 décembre 1992, Société Le Figaro, n° 135785), ou encore la décision de la Commission pour la transparence et le pluralisme de la presse de transmettre au procureur de la République, aux fins de poursuites éventuelles, des infractions constatées (CE, 1er février 1989, Société France-Antilles, n° 76044). La même solution vaut en matière de responsabilité (TC, 8 décembre 2014, n° 3974 – M. B. c/ Autorité de contrôle prudentiel et de résolution).
La solution semble si bien acquise que le juge des référés aurait même pu se contenter de rejeter par ordonnance de tri pour motif d’incompétence de la juridiction administrative. L’article L. 522-3 CJA dispose en effet que « Lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu’il y ait lieu d’appliquer les deux premiers alinéas de l’article L. 522-1 ». Il pourrait même être considéré comme étonnant que le juge ne se soit pas fondé sur l’incompétence pour rejeter définitivement la requête sans renvoyer à une future décision au fond, mais sur l’absence d’urgence à contester la décision.
Une future décision de principe sur les pouvoirs de la HATVP ?
Faut-il en tirer des conclusions au risque de surinterpréter la décision ? Peut-on imaginer que le Conseil d’Etat pourrait accepter de distinguer la question de la saisine du Procureur d’une part, de l’appréciation portée par la Haute Autorité sur les patrimoines en tant que telle ? Le communiqué de presse (mais on pourrait penser que cette appréciation se trouve aussi dans la délibération), indique en effet que : « Après instruction de chaque dossier et recueil de leurs observations respectives, la Haute Autorité estime, au regard des différents éléments dont elle a connaissance, qu’en l’état, il existe notamment un doute sérieux quant à l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité de leurs déclarations, du fait de la sous-évaluation manifeste de certains actifs immobiliers détenus en commun par M. Jean-Marie Le Pen et Mme Marine Le Pen et, par ailleurs, de l’omission de biens mobiliers par M. Jean-Marie Le Pen ».
Cela reviendrait-il à admettre un recours contre cette seule appréciation, qui pourrait être contenue dans les délibérations du 3 décembre, et ce quand bien même le seul pouvoir de la HATVP serait par la suite de saisir le Procureur de la République financier ? Dans une telle hypothèse, ce serait pour le Conseil d’Etat considérer que ces décisions ont une portée en elles-mêmes, en dehors de la saisine du Procureur. Ce serait d’une certaine manière prendre acte de l’effet médiatique très fort de ces décisions…
Pour le savoir, il faudra donc attendre la décision au fond annoncée par le Conseil d’Etat. Qui pourrait alors rendre une première décision de principe sur l’office de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique.
Romain Rambaud