Un an ! Hier, le blog du droit des sondages, ouvert le 28 avril 2012, a fêté son premier anniversaire. Déjà !
Un anniversaire, et surtout le premier, se fête d’abord en tant que tel et pour lui-même. Dont acte. Le premier anniversaire est le plus important, car il signifie d’abord la survie. Un an d’existence, cela veut dire, pour un jeune blog si spécialisé, qu’il a résisté aux multiples dangers qui immédiatement le guettaient : désintérêt total du public pour l’entreprise, absence totale de reconnaissance, insuffisance de matière à traiter et/ou d’actualité à rendre compte, caractère trop restrictif de l’objet, et enfin, fatigue, démotivation ou absence de temps de l’auteur.
A toutes ces embûches là, le blog du droit des sondages a pour l’instant résisté. Pourvu que ça dure !
Mais un anniversaire, c’est aussi l’occasion de faire un bilan du fonctionnement du blog et d’en tirer quelques considérations, générales, sur l’utilité du blog pour la recherche juridique. Bien sûr, le droit des sondages n’est pas le premier blog juridique, très loin de là, et beaucoup de collègues furent des précurseurs. Ce qui ne nous interdit pas de produire une analyse personnelle.
Bilan quantitatif : une production importante et un élargissement des problématiques
Un bilan quantitatif, d’abord. Après un an d’existence, 89 articles ont été publiés ; et le présent article est le 90ème. 90 articles, c’est beaucoup. Ils ont concerné des matières qui n’ont cessé de s’élargir, conduisant à organiser le blog sous forme de pages : des pages pour les différentes élections, bien sûr, mais aussi des pages pour l’analyse générale, la Commission des sondages, l’analyse politique française et un aspect qui se révèle aujourd’hui important, le droit comparé.
Cette importance quantitative démontre qu’il y a eu beaucoup de choses à traiter. Or, on aurait pu craindre le contraire, notamment que le droit des sondages, cyclique, ne s’éteigne avec les élections. Mais ce ne fut pas le cas, pour plusieurs raisons, qui ont un impact théorique fort sur le droit des sondages.
Tout d’abord, il n’y a eu guère d’affaiblissement parce que le droit des sondages est de moins en moins cyclique. Le quinquennat et les nouveaux moyens de communication, ensemble, ont créé une accélération phénoménale du temps politique. En outre, l’organisation de primaires et la conception extensive de la notion de sondage électoral conduit à un étirement du contrôle de la Commission des sondages. Par ailleurs, l’addiction aux sondages d’opinion ne fait que se renforcer à mesure que l’opinion publique devient l’acteur clé de la démocratie. Si les élections de 2012 ont battu le record de la publication de sondages, l’année 2013 a le sien propre depuis quelques jours : pour la première fois, un sondage présidentiel a été publié quatre ans avec l’élection. Il n’y a donc plus de limites. Certes, le droit des sondages reste encore cyclique, et son actualité continue de varier en fonction des élections. Mais il l’est de moins en moins, et il ne l’est pas assez pour rendre vaine la perspective de tenir un blog sur le droit des sondages.
Ensuite, il n’y a pas eu d’épuisement parce que le blog du droit des sondages a cherché à regarder au delà des frontières nationales. Les élections grecques, américaines, italiennes, demain allemandes et anglaises, après-demain peut-être au delà encore, ont permis d’alimenter très fortement, quantitativement et qualitativement, le blog du droit des sondages. Alors, vive le droit comparé !
En outre, il n’y a pas eu d’affaiblissement car l’espace entre deux élections est mis à profit par les institutions et les chercheurs pour réfléchir, notamment au droit des sondages. Le rapport de la Commission Jospin, le rapport de la Commission des sondages, l’organisation par cette dernière d’un colloque, ont été autant d’occasions de poursuivre la réflexion. Il y a donc, aujourd’hui, vraiment, une recherche sur le droit des sondages. Le droit des sondages existe, et le blog du droit des sondages essaie d’y prendre sa part. Et c’est tant mieux, car le droit des sondages doit aujourd’hui être considéré comme une part entière du droit électoral et du constitutionnel d’un pays donné.
Enfin, il n’y a pas eu d’épuisement car parfois, le droit des sondages conduit aussi à des prises de position personnelles, sur l’Europe par exemple, ou permet de suivre des événements plus politiques, comme l’affaire des sondages de l’Elysée ou la montée constante en France du Front National. Après tout, le blog est aussi, et c’est une de ses particularités, un espace de liberté. Alors, comment se taire toujours, dès lors qu’il s’agit de politique ?
Bilan qualitatif : un outil de recherche vivant, libre, illimité et accessible
Du point de vue qualitatif, il y a beaucoup à dire. Le blog comme outil de recherche juridique a énormément d’avantages.
Les suivants me semblent essentiels. Le blog est un outil de recherche vivant. C’est un outil libre et illimité. Et enfin, c’est un outil accessible au plus grand nombre. Autrement dit, c’est un outil de recherche absolument génial.
Mais il comporte aussi quelques limites, bien sûr, et il n’a pas vocation à remplacer la recherche académique. C’est donc fondamentalement un outil complémentaire, qui doit avoir sa place mais doit être dépassé.
Un outil de recherche vivante
Tout d’abord, le blog est un outil de recherche vivante. Il permet en effet de suivre au plus près l’actualité, donnant l’occasion d’écrire à chaque fois que se produisent dans les faits, dans la vie publique, dans la réalité, des événements, des discours, des changements. Il permet de réfléchir sur le droit des sondages à partir de ces faits inductivement et sur ces faits déductivement, l’améliorant constamment par l’enrichissement mutuel et permanent de la théorie et de la pratique. La publication par revue, bien sûr, ne permet pas une telle réactivité, loin de là !
Or en matière politique, le caractère vivant de la recherche est indispensable. Tout, aujourd’hui, va de plus en plus vite. Les informations ne s’arrêtent jamais, se chassent les unes après les autres, s’analysent vite puis disparaissent et peut-être, s’oublient. Alors, le blog permet de prendre acte, d’analyser, de laisser une trace indélébile de cette actualité, et d’y revenir ensuite pour mener des recherches plus approfondies, plus posées. Rien de ce qui est écrit ne se perd. Tout a vocation à rejoindre des réflexions plus vastes. Le blog permet ainsi de réconcilier le circonstanciel et le structurel. Il est un outil indispensable d’adaptation de la recherche juridique à la société.
Il permet, dans le même ordre d’idées, de rester au contact permanent de la société civile et des acteurs du droit des sondages : Commission des sondages, sondeurs, politistes, journalistes, politiques, parlementaires. Sans doute, ceux-ci sont-ils intéressés par la recherche académique classique. Sans doute, ceux-ci sont-ils tout aussi intéressés par une recherche vivante, quotidienne, systématique. Ainsi, le blog permet de rester proche des parties prenantes du secteur, d’éviter l’isolement dans cette tour d’ivoire qui pour nous, universitaires, est notre plus belle chance et notre pire ennemi à la fois.
Outil de recherche vivante, le blog du droit des sondages nous permet finalement de rester vivant, nous aussi. Et c’est peut-être la raison la plus essentielle de son existence.
Un outil de recherche libre et illimitée
Ensuite, le blog est un outil de travail illimité. Ce qui est un grand avantage, surtout pour des chercheurs qui souffrent de logorrhée compulsive, ce qui n’est pas une qualité.
Mais quelle frustration, quelle condamnation, quelle souffrance, lorsqu’un article immense, mais dont chaque mot compte, dépasse de tant de signes les formats revue ! Que faire d’un article de 36 pages sur le droit comparé des sondages, prêt à être envoyé complet aux acteurs, mais qui devra être passé à la moulinette s’il veut rentrer dans les cases de la recherche juridique contemporaine ? Ce n’est pas que la synthèse n’est pas faisable, c’est simplement que la synthèse est un sacrifice, que la synthèse est une frustration, que la synthèse est une solitude, encore.
Et l’on ne peut pas écrire, toutes les semaines, un article sur le droit des pages d’un page ou deux. Qui en voudrait ?
Alors, comment vivre sans un blog, lorsque l’on veut creuser la matière jusqu’à l’avoir englobée, jusqu’à l’avoir épuisée avant de la réintégrer dans un cadre plus large ?
Impossible, sans doute, car le blog est un espace de liberté là où la publication traditionnelle est un espace de limites. Impossible, sans doute, car internet est un monde ouvert là où l’université est un monde contraint.
Et pourquoi faisons-nous ce métier, si ce n’est pour être libres en tous temps et tous lieux, libres de ce que nous disons et de comment nous le disons ? Libres, car c’est notre raison d’être, le garant de notre utilité, et notre principale source d’inspiration.
Un outil de recherche accessible
Autre avantage fondamental, le blog est un outil de recherche accessible. Pour le trouver, nul besoin de compétences, d’expérience et de savoir. Nul besoin de temps et de déplacement. Le droit des sondages, tout le temps, partout, pour n’importe qui le veut. La recherche juridique accessible au plus grand nombre, par le seul truchement des moteurs de recherche, par le seul truchement du hasard, souvent, pour le citoyen.
Or, en quelle autre matière l’accessibilité d’une recherche juridique est-elle aussi importance qu’en droit institutionnel, constitutionnel, électoral, politique ?
Les sondages mesurent l’opinion publique, et l’opinion publique est ce que mesurent les sondages, dit-on. L’opinion publique n’est-elle pas en droit, alors, de connaître les modalités d’encadrement juridique des sondages, de connaître leurs points forts mais aussi leurs points faibles, leurs limites, leurs défauts ? C’est un enjeu de démocratie.
Or, la publication d’un blog est une toute petite pierre, une petite participation, au débat public et au débat de société, à l’information même de cette opinion publique qui est son objet. Ce faisant, il est aussi un outil de la transparence du droit des sondages.
Il a pour vocation d’être utile à tous. Il essaie de l’être, même s’il faut toujours garder à l’esprit qu’un site de recherche juridique n’a pas vocation à devenir un site d’expression d’humeurs. Il y a là un équilibre à trouver.
Un outil de recherche insuffisant
S’il a donc des avantages qui dépassent de loin ses inconvénients, le blog a aussi des limites. Soumis à l’actualité au coup par coup, il ne permet pas de recul global sur les choses et n’est pas forcément, pour ceux qui ne le suivent pas au jour le jour, d’un abord toujours facile. Il ne peut et ne saurait remplacer l’outil scientifique académique classique, qui seul permet une recherche fondamentale systématique, complète, pérenne.
C’est pour cela que l’ensemble des recherches effectuées sur le blog devront rejoindre une édition actualisée de l’ouvrage Le droit des sondages électoraux, qui s’écrit ainsi aussi au jour le jour.
Enfin, s’il y a une autre limite au blog du droit des sondages, c’est la limite propre à son objet. Les recherches avancent, bientôt peut-être, elles suffiront. Il faudra alors élargir la problématique. Pour de nouvelles recherches, encore.
Peut-être le blog du droit des sondages aura-il, alors, vocation à se transformer.
La vie, en somme.
Romain Rambaud