(Le droit des sondages sur Facebook, c’est ici !)
Les résultats des élections italiennes auront été médiatiquement beaucoup mieux couverts que la campagne électorale elle-même : tout le monde a pris connaissance aujourd’hui de la situation critique dans laquelle se trouve désormais l’Italie. Les grands éléments sont connus, d’autant qu’on pouvait les anticiper. On en a déjà rendu compte précédemment sur ce blog.
La coalition de Bersani est arrivée en tête, et dispose désormais de la prime majoritaire à la Chambre des députés qui lui permettra de gouverner à la chambre basse. Néanmoins, les élections au Sénat, qui se sont déroulées le même jour, ont vu la droite l’emporter de peu, rendant beaucoup plus difficile le gouvernement dans un pays régional au bicaméralisme quasi-égalitaire. Comme prévu, mais davantage que prévu et on y reviendra, le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo fait un score faramineux et s’impose comme l’une des premières forces politiques du pays, dont le comportement est imprévisible. La coalition de Mario Monti arrive à peine à 10%, un score même trop faible pour que l’idée, défendue par beaucoup, d’une coalition avec Bersani pour diriger l’Italie soit viable.
Le pire scénario s’est donc réalisé : l’Italie semble au soir des élections ingouvernable, attisant la crainte des marchés et ravivant le spectre de la crise de la zone euro.
Fascinants politiquement, ces résultats sont aussi intéressants du point de vue sondagier. Il faut ici insister sur quatre points, qui constituent autant d’enseignements de l’utilisation des sondages en Italie et autant de questions pour le droit des sondages.
1) La fiabilité globale des sondages italiens : le bon ordre d’arrivée
Premier point, ces résultats marquent d’abord la fiabilité globale des sondages en Italie, et on sait qu’il sont particulièrement nombreux. Ainsi, avant qu’ils ne soient interdits 15 jours avant le scrutin, les sondages donnaient déjà le bon ordre d’arrivée, ce qui est un point fondamental pour les sondeurs.
Bersani a bien géré son avance et fini en tête, la remontée progressive de Berlusconi s’est confirmée dans les urnes, le succès de Beppe Grillo également, tandis que la chute de Monti avait bien été anticipée.
Ces tendances avaient été confirmées par les sondages non publiés, soit les désormais fameuses courses de chevaux clandestines de Notapolitica.it.
2) La limite des sondages italiens : le populisme et le vote caché
Second point, ces résultats montrent toutefois la difficulté que les sondeurs ont eu pour arriver aux bons scores. Car si l’ordre d’arrivée est le bon, les ordres de grandeur ne sont pas exactement ceux qui étaient prévus.
Certes, les sondeurs pourront se couvrir derrière la loi, ses quinze jours d’interdiction empêchant de faire état des dernières évolutions, et c’est effectivement un argument.
Toutefois les dernières courses clandestines, si elles montraient bien un rapprochement, affichaient des scores en deçà de la réalité : Bersani était donné à plus de 32 %, il fait 29, 5%, à peine plus que les 29 % de Berlusconi. Quant à Beppe Grillo, donné entre 18 et 20 % dans les derniers sondages, il fait beaucoup plus et atteint 25 %.
Ce résultat est très intéressant et démontre que les sondeurs italiens se trouvent sans doute confrontés à un problème que les sondeurs français connaissent bien : celui du vote caché. Manifestement, un certain nombre d’électeurs de Bersani ont fini par voter Beppe Grillo… sans l’avouer aux sondeurs. A vote populiste, vote caché ? Un problème qui n’est propre ni à la France ni à l’Italie, mais tend au contraire à atteindre toute l’Europe.
Une telle question appelle bien sûr ensuite celle des critères de redressement politique, s’il y en a, mis en oeuvre par les instituts italiens et sur leur éventuelle mise à jour. Or sur ce point, force est de constater que les recherches menées jusqu’à présent laissent encore planer un mystère… qui n’a toujours pas trouvé sa résolution. Il faudra donc dans l’avenir suivre autant les travaux de l’AGCOM que les travaux sur le droit des sondages…
3) La vacuité du délai d’interdiction de 15 jours
Troisième point, le score de Beppe Grillo et le problème du vote caché plaident sans doute, si besoin était, pour une remise en cause du délai d’interdiction de 15 jours, que l’on a pu critiquer pour d’autres raisons, théoriques et pratiques, par ailleurs.
En effet, nombre d’analyses politiques s’accordent pour dire qu’un certain nombre d’électeurs ont voté Beppe Grillo afin d’envoyer un message à la classe politique et notamment au centre gauche de Bersani. En somme, un vote protestataire vis à vis des positions classiques du second davantage qu’un vote d’adhésion pour les idées du premier.
La question est alors la suivante : les résultats auraient-ils été les mêmes si les électeurs, disposant d’informations sur l’ampleur de la montée de Beppe Grillo et la baisse de Bersani, avaient su ce que s’apprêtaient à faire les autres ? Et cela aurait-il été moins légitime ? Une problématique qui n’est pas sans rappeler celle bien connue, en France, du vote Le Pen et du traumatisme du 21 avril 2002.
S’il avait été possible de publier des sondages plus longtemps, le score de Beppe Grillo aurait sans doute été haut, mais peut-être l’aurait-il été moins… Pour certains électeurs, la volonté de porter Bersani assez haut pour mettre en place une politique de gauche et éviter de voir Berlusoni en faiseur de roi aurait sans doute eu valeur d’argument. Ce qui aurait donc pu modifier leur comportement électoral, afin d’éviter une telle montée d’un parti populiste dont personne ne sait finalement ce que vont faire ses représentants.
On retombe ainsi sur la question relative au rapport entre sondages et démocratie : les sondages sont aussi des outils d’une forme de démocratie délibérative, continue, qui veut que chacun se décide électoralement aussi en fonction de ce que font les autres. Conception qui s’oppose à celle plus libérale, plus classique, qui voit l’électeur en individu isolé du reste de la société. Quelle vision de la démocratie convient-il de privilégier ? Et s’il s’agit de trouver en équilibre, où placer exactement cet équilibre là ?
Des questions qu’il revient à chacun de trancher selon ses idées personnelles. Et nous avons déjà donné les nôtres : 15 jours est sans doute un délai excessif et l’Italie gagnerait à se rapprocher de la France sur ce point.
4) Le retour prévisible des sondages
Quatrième point, ces élections n’ont décidé de rien et par conséquent l’opinion se retrouve encore au centre du jeu.
L’Italie est donc, à l’issue des élections, tout à fait ingouvernable. L’impasse paraît totale, les deux chambres étant de bord opposés, personne n’étant suffisamment fort seul pour l’emporter, aucune coalition vraiment cohérente politiquement n’étant possible et un quart des voix s’étant portées sur une formation populiste qui n’entend s’allier avec personne. Comment sortir de la quadrature du cercle ?
Certains parlent de grande coalition. D’autres d’un nouveau vote. Dans tous les cas, ce qui est sûr, c’est que même après les élections, c’est encore l’opinion qui va se trouver en juge de paix. Et donc, comme avant, ce sont les sondages qui vont être au coeur du débat.
A l’heure où ces lignes sont écrites, le site sondaggipoliticoelettorali.it, le site de la Présidence du Conseil sur lequel sont obligatoirement publiés tous les sondages politiques et électoraux publiés en Italie, a officiellement réouvert… mais ne comporte aucun nouveau sondage. Mais cela ne va pas durer.
On imagine bien, dans les heures qui viennent, sur quoi vont porter ces sondages. Quelle coalition faut-il faire ? Faut-il revoter ? Que souhaitez que le mouvement 5 étoiles fasse ? Etc. Etc. Etc. Autant d’éléments qu’il faudra suivre.
Ainsi, en Italie peut-être encore davantage qu’en France, le droit des sondages n’a semble-t-il plus grand chose de cyclique… à l’image de la démocratie délibérative qui s’avère peut-être d’autant plus nécessaire que la démocratie représentative est défaillante.
Dans tous les cas, ces quatre points nous apprennent une chose : que l’étude depuis la France du droit des sondages italiens n’a pas vocation à s’arrêter maintenant. Et c’est une bonne nouvelle !
Romain Rambaud