Le discours sur l’Union européenne de David Cameron, prévu depuis un an et de nombreuses fois reporté, avait été annoncé pour le 22 janvier. Puis il fut reporté, officiellement pour cause de crise en Algérie, officieusement parce qu’une telle date coïncidait avec les célébrations du cinquantenaire du traité de l’Elysée scellant l’amitié entre la France et l’Allemagne. Il y avait de quoi.
On comprend mieux la réserve qui caractérisait, hier, les dirigeants de ces deux pays. Alors que François 1er et Charles Quint, surmontant le sens de l’histoire, se réconciliaient à Berlin, c’est d’Henri VIII, souverain obèse à la réputation sanglante, qu’est venu le coup.
La nouvelle est donc tombée, douchant les espoirs de ceux qui s’attendaient de la part du dirigeant britannique à une réelle modération, contre son camp. C’est l’inverse qui s’est produit : David Cameron a montré son visage le plus conservateur. Il s’est ainsi engagé sur l’organisation, s’il était réélu en 2015, d’un référendum entre 2015 et 2017 visant à demander aux britanniques leur désir de rester ou non dans l’Union européenne : « Le référendum se tiendra sur la question dedans-dehors ».
Pour David Cameron, il serait préférable que le Royaume-Uni reste dans l’Europe, à condition toutefois d’un nouvel arrangement, d’une nouvelle négociation : en somme, le Royaume-Uni veut se recentrer sur le marché unique. L’Union économique, oui. L’Union politique, non. Le Royaume-Uni poursuit ainsi sa marche commencée avec le refus de la ratification du TSCG : elle s’éloigne de l’Europe.
Sur ce point, il est significatif de noter que cette évolution se fait au nom de ce drôle de faux souverain, dont on ne cesse de parler ici : l’opinion publique. Ainsi, pour Cameron, « le désenchantement actuel de l’opinion publique [est] à son comble ». « Les gens estiment que l’UE s’oriente dans une direction qu’ils n’ont jamais voulue. Ils vivent mal les interférences dans notre vie nationale, au travers de lois et règlements qu’ils considèrent superfétatoires. Et ils se demandent à quoi tout cela rime. »
Et effectivement, c’est bien ce que semble penser l’opinion publique, telle qu’elle ressort des sondages, bien sûr. Comme nous l’avions relevé il y a longtemps déjà, les sondages réalisés en Angleterre, mais aussi ailleurs en Europe, indiquent tous une réelle méfiance vis à vis de l’Europe.
Nul doute que les sondages à venir dans les jours prochains seront examinés de très près dans toutes les capitales de l’Union européenne, et qu’on en fera état ici. Ainsi, The Independant a déjà lancé une consultation en ligne pour savoir ce que les citoyens anglais décideraient entre rester et sortir de l’Union européenne : une consultation à laquelle il ne faut toutefois pas accorder une trop grande valeur dans la mesure où elle ne présente pas de garanties de représentativité.
Cette consultation est-elle une mauvaise nouvelle pour l’Europe ? Il n’est pas possible de répondre à cette question.
D’abord, il faut savoir si l’on souhaite le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne ; mais sur ce point, il faut se garder de se réjouir de voir l’Angleterre partir parce qu’elle s’oppose. Car d’autres oppositions viendront, et peut-être d’autant redoublées : les privilèges ne peuvent prospérer et l’Europe ne peut être à la carte. L’égalité vaut bien la liberté. Il ne peut y avoir de précédent.
Et surtout, comment imaginer l’unité de civilisation de l’Europe sans l’Angleterre ? Ce serait un immense gâchis. L’Angleterre est une immense civilisation, qui fait partie intégrante de notre histoire, nationale et continentale, oui.
Et dans le même temps, comment imaginer la construction d’une Nation européenne avec un peuple qui n’en veut pas, la Nation étant avant tout, selon la définition classique d’Ernest Renan, la volonté commune de la constituer ? C’est encore une fois, ici, le dilemme propre à la construction européenne : construire l’Europe, mais comment s’y prendre pour ne pas le faire contre les peuples ? L’Europe ne pourra pas éternellement se construire contre la démocratie, et en même temps, l’Europe ne doit-elle pas être en avance sur elle pour convaincre ?
Alors, s’il y a un espoir, c’est celui de penser que l’opinion publique n’est pas le corps électoral. Que la première est variable, quand l’autre est définitive. Que la première est une humeur, tandis que le second est un souverain. Sur ce point, il est bon que les modalités d’organisation de ce référendum se fassent dans cet ordre là : ce référendum ne sera organisé que si Cameron est élu, c’est à dire que le corps électoral l’aura d’abord placé à sa tête… en espérant que son initiative n’entraîne pas l’ensemble de la classe politique à devoir courir derrière lui, ce qui n’est pas le moindre des risques.
Mais dans toutes les hypothèses, l’organisation de ce référendum confirme que l’Europe doit absolument gagner l’opinion publique. Et pour cela, il faudra continuer à se battre. Et cette lutte relève de la responsabilité de chacun, gouvernant comme citoyen. Et pour cela, il faut aller démocratie pour démocratie : c’est par la délibération collective et permanente que viendra le salut, par l’intelligence et la raison.
Dès lors, il faut être optimiste. Qu’on ne considère pas la situation comme éternellement figée : certains coeurs ont besoin de plus de temps que d’autres pour se laisser aller, et le progrès triomphe toujours.
Romain Rambaud