14/01/2013 : Droit des sondages italien : considérations sur l’impossibilité juridique du contrôle a priori des sondages

Spread the love

Lors du dépôt par les sénateurs Sueur et Portelli de leur proposition de loi en octobre 2010, une question avait soulevé d’intenses polémiques : celle de savoir s’il fallait mettre en place un contrôle a priori, ou confinant au contrôle a priori, des sondages. De ce point de vue, la comparaison avec le droit italien permet de mettre en avant les difficultés juridiques à mettre en place un contrôle a priori des sondages, instruments protégés par la liberté d’expression en démocratie libérale.

 

L’échec de la proposition de mettre en place un système de contrôle a priori des sondages en France.

Constatant l’inefficacité relative de la publication de la mise au point pour corriger les effets produits par les sondages dans l’opinion, notamment à l’approche d’une élection où la mise au point peut n’intervenir que postérieurement à celle-ci, les sénateurs Sueur et Portelli ont cherché à mettre en place un dispositif qui, sans être un régime d’autorisation préalable, avait pour objectif de permettre un contrôle a priori des sondages électoraux.

Le nouvel article 9 de la loi devait être ainsi rédigé : « Dans le mois précédant un scrutin, la commission des sondages peut présenter des observations quant à la méthodologie d’élaboration d’un sondage tel que défini à l’article 1er ; ces observations accompagnent la publication ou la diffusion de ce dernier. Elles sont présentées comme émanant de la commission » [Proposition de loi adoptée par le Sénat sur les sondages visant à mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral, Document Sénat, n°63, années 2010-2011].

L’idée de donner des recommandations a priori et de faire accompagner la publication de ces sondages de ces recommandations conduisait nécessairement la Commission à contrôler et de fait, à encadrer, la publication des sondages a priori. 

Or cette proposition suscitait des difficultés, notamment vis à vis de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté d’expression : pour la Cour,  les restrictions préalables à la publication sont possibles mais « présentent pourtant de si grands dangers qu’ elles appellent de la part de la Cour l’examen le plus scrupuleux. Il en va spécialement ainsi dans le cas de la presse » [Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Affaire Sunday Times c. Royaume-Uni, du 26 avril 1979, n° 6538/74, § 65]. La Cour a réaffirmé sa jurisprudence en encadrant encore davantage ces restrictions préalables, considérant alors que celles-ci doivent s’inscrire « dans un cadre légal particulièrement strict quant à la délimitation de l’interdiction et efficace quant au contrôle juridictionnel contre les éventuels abus » [Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Affaire Association Ekin contre France, no 39288/98, 17 juillet 2001, § 58].

Cette difficulté juridique explique que cette proposition ait à l’époque été abandonnée par l’Assemblée Nationale. Le rapporteur Blanc a en effet souligné, de manière argumentée, les difficultés à mettre en place un tel dispositif s’apparentant à un contrôle a priori et limitant par ailleurs la possibilité de réaliser des sondages « à chaud » pour les médias français.

Cette position a toujours été celle de la Commission des sondages : elle considère que le respect de la liberté d’expression lui interdit de mettre en place un système de contrôle a priori. Et c’est heureux.

Cette absence de contrôle a priori connaît toutefois un tempérament, qui ne remet pas en cause le principe : en effet, la notice que les instituts de sondage doivent envoyer à la Commission des sondages en vertu de l’article 3 de la loi de 1977 avant la publication du sondage doit être déposée depuis 2002 « avant la publication ou la diffusion de tout sondage ». Initialement, la loi de 1977 prévoyait que la notice devait être déposée « à l’occasion de la publication ou de la diffusion » d’un sondage.  Sans consacrer un contrôle a priori, puisque la Commission ne peut prononcer des mises au point qu’après la publication des sondages, cette disposition permet à la Commission d’exercer efficacement son contrôle. Un compromis entre les principes juridiques et le principe de réalité qui permet de respecter la liberté d’expression tout en garantissant l’efficacité du contrôle.

 

Ce système, qui interdit le contrôle a priori, peut prêter le flanc à la controverse. Toutefois, l’exemple italien tend à montrer qu’il s’agit du modèle à suivre.

 

L’illustration des difficultés juridiques et pratiques de mise en place d’un contrôle a priori des sondages par le droit italien

Comme on l’a déjà vu précédemment sur ce blog, le système italien se spécifie par sa très grande transparence et notamment l’accessibilité de l’ensemble des sondages politiques et électoraux sur un site internet de la présidence du Conseil, en application de l’article 8§3 de la la loi du 22 février 2000.

Considérant notre problème de ce jour, il faut souligner qu’en vertu de l’article 8§3 de la loi de 2000, la notice du sondage doit être déposée « simultanément », « en même temps », que la publication du sondage (« contestualmente ») : à défaut de contrôle a priori, c’est une publication immédiate, concomitante qui est semble-t-il prévue par la loi, au demeurant dénuée d’ajouts de la part de l’AGCOM, en charge en Italie de procéder à un contrôle des sondages.

Pourtant, on constate qu’en pratique, la publication des sondages n’est pas réalisée simultanément mais souvent a posteriori.

De ce point de vue, la consultation du site internet et des notices est parfaitement claire : alors que la date d’enregistrement du sondage sur le site se situe dans la colonne la plus à gauche, la consultation de chaque notice permet de connaître exactement la date de publication du sondage dans tel ou tel média. En pratique, chaque institut dépose au même moment un bloc de sondages réalisés (trois ou quatre d’un coup le cas échéant) et il n’est pas rare que la notice du sondage soit publiée le lendemain voire deux ou trois jours après.

Cette pratique, courante, ne semble pas être sanctionnée par l’AGCOM et être entrée dans les moeurs. Il faudra donc, dans des recherches ultérieures, déterminer si et comment celle-ci se positionne par rapport au timing de publication des notices des sondages sur le web.

Sans doute, le mot « contestualmente » permet l’ambiguïté : si on entend par ce terme davantage « en même temps » que « simultanément », on admettra une publication un peu tardive. Ainsi, la phrase peut se traduire dans ce cas par : « les résultats des sondages menés en dehors de la période visée au paragraphe 1 ne peuvent être divulgués que s’ils sont accompagnés des indications suivantes, sous la responsabilité de la personne qui a réalisé le sondage et s’ils sont en même temps mis à disposition, dans leur intégralité et avec les mêmes indications, sur le site internet informatique spécifique, créé et entretenu par le Département de l’information et de l’édition à la Présidence du Conseil des Ministres ». Il y a là la place pour l’interprétation.

Cette pratique est en tout cas révélatrice des difficultés juridiques et pratiques à mettre en place un contrôle a priori des sondages : en l’espèce, la publication sur le web de la notice du sondage le même jour, en même temps voire avant la publication du journal pourrait conduire à une forme de contrôle non justifié de la publication des sondages ; d’autant que comme on l’ a relevé précédemment, le site internet est un site de la présidence du Conseil et donc directement de l’exécutif. De quoi favoriser un mélange des genres peu compatible avec la liberté d’expression et avec la démocratie.

De ce point de vue, sur le seul plan des principes, la pratique mise en place par l’AGCOM, l’autorité de régulation de l’audiovisuel italienne également en charge du contrôle des sondages, apparaît bien préférable. Celle-ci, en effet, publie également sur son site tous les sondages publiés en Italie, et même d’ailleurs des sondages qui n’ont rien ni de politique ni d’électoral  (sur ce point, on peut davantage s’interroger sur l’utilité de cette publication) ! Les différents sondages publiés défilent ainsi dans un bandeau d’actualité situé à droite de la page d’accueil du site internet de l’AGCOM, tandis qu’une recherche fait apparaître un très grand nombre de sondages référencés sur le site avec leur notice. Il faut dire, on l’a déjà relevé, que les italiens sont de très grands consommateurs de sondages !

Néanmoins, il faut noter une limite à ce système : les notices publiées sur le site de l’AGCOM sont simplement des notices techniques sur la réalisation du sondage qui ne comprennent pas les résultats des sondages en tant que tel. Si cela est bon pour la transparence, cela introduit de la complexité.

Dans l’idéal, on pourrait souhaiter une fusion des deux systèmes de notice sur le site de l’AGCOM, mais c’est aux autorités italiennes de décider ce qu’il y à faire sur ce point.

 

Conclusion de la comparaison

L’exemple italien permet donc d’apporter un éclairage nouveau sur les problématiques récentes du droit français des sondages, confirmant la difficulté voire l’impossibilité qu’il y a à mettre en place un contrôle a priori de ceux-ci. Ce faisant, il rappelle opportunément le nécessaire rattachement de la publication des sondages à la liberté d’expression et donc la justesse du droit français vis à vis des principes sur ce point.

Mais le système italien rappelle également et de manière éclatante que la liberté d’expression est non seulement le droit pour les médias d’émettre, mais aussi celui, pour les citoyens, de recevoir. Une occasion de souligner une fois encore la transparence du système italien, sans aucun doute précurseur.

 

Romain Rambaud

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *