Il y a quelque mois déjà, on pouvait affirmer ici, notamment parce qu’ils avaient été l’objet d’un sujet de leçon d’agrégation, que les sondages commençaient à être reconnus comme objets de droit public.
La journée nationale d’étude annuelle de l’Association française de droit constitutionnel, qui s’est tenue le 7 décembre 2012 au Conseil constitutionnel, l’a de nouveau démontré.
Cette journée d’étude était consacrée aux élections présidentielles. La matinée était dediée aux rapports des journées d’étude décentralisées de l’AFDC, tandis que l’après-midi était consacré à l’exploration de thématiques plus directement en rapport avec l’élection présidentielle de 2012. C’est toutefois juste avant l’heure du déjeuner que le programme était pour le droit des sondages le plus appétissant.
En fin de matinée était en effet organisée une table-ronde sur le contrôle de l’élection présidentielle, présidée par Dominique Rousseau, à laquelle ont participé des intervenants aussi prestigieux que Renaud Denoix de Saint-Marc, pour le Conseil constitutionnel, et Mattias Guyomar, représentant la Commission des sondages.
Deux interventions qui ont toutes les deux concerné le droit des sondages et qui, mises ensemble, permettent de poser les questions d’avenir de ce droit. On se permettra donc, après avoir rendu compte des interventions de Renaud Denoix de Saint-Marc et de Mattias Guyomar, de présenter ici certaines réflexions personnelles… et de faire de la prospective !
Le contrôle de l’élection présidentielle par le Conseil constitutionnel : l’intervention de Renaud Denoix de Saint-Marc.
Entrant rapidement dans le vif du sujet, le président Renaud Denoix de Saint-Marc a consacré son intervention aux problèmes principaux posés aujourd’hui par l’élection présidentielle.
Outre la question du parrainage citoyen, proposé par la Commission Balladur et pour lequel il a fait part de ses analyses plutôt nuancées, il s’est longuement arrêté sur la question du temps de parole des candidats et sur les problèmes liés à la diffusion prématurée des résultats.
Le problème du temps de parole des candidats
Ce blog a déjà eu l’occasion de problématiser cette question au regard du droit des sondages et de l’impact de cette position sur la nature de la démocratie : il semble en effet aujourd’hui que les sondages déterminent partiellement le temps de parole des candidats. Or il s’agit d’une question fondamentale.
En effet, dans ses observations sur l’élection présidentielle, le Conseil constitutionnel a relayé le souci énoncé par le CSA concernant la précampagne, c’est à dire la période antérieure à l’ouverture de la campagne officielle et postérieure au dépôt des candidatures, dite période intermédiaire, pour laquelle la règle applicable était la stricte égalité des temps de parole et l’équité des temps d’antenne. L’application de cette stricte égalité pendant la période intermédiaire a posé des problèmes aux médias et eu pour effet pervers de réduire la richesse du débat électoral, raison pour laquelle le Conseil constitutionnel s’est prononcé pour la suppression de cette période intermédiaire et l’application du principe d’équité… à l’instar de la Commission Jospin.
Néanmoins, Renaud Denoix de Saint-Marc a pris soin de soulever la difficulté qui est bien sûr essentielle : déterminer des critères rationnels et objectifs de la représentativité des candidats, si possible par la loi organique. Or pour le membre du Conseil constitutionnel qu’il est, il est très difficile d’établir de tels critères.
Pourtant, et bien qu’il n’en ait pas fait mention, on sait que ces critères existent dans la recommandation de 2011 du CSA : résultats aux élections précédentes, dynamique de la campagne et… résultats des enquêtes d’opinion. Mais le président n’a pas davantage approfondi cette question, sur laquelle on reviendra.
Le problème de la diffusion prématurée des résultats.
Le président Renaud Denoix de Saint-Marc a également précisé la position du Conseil constitutionnel concernant la diffusion des résultats avant l’heure : il serait pertinent de réécrire l’article L. 52-2 pour le préciser, préciser la loi de 1977 sur les sondages et harmoniser l’heure de fermeture des bureaux de vote à 20 h : une proposition identique, au demeurant, de celle de la Commission Jospin.
Le contrôle de l’élection présidentielle par la Commission des sondages : l’intervention de Mattias Guyomar
L’intervention de Mattias Guyomar, et la présence à la conférence de la présidente de la Commission, Mme Marie-Eve Aubin, révèlent à un double titre l’importance croissante du droit des sondages.
D’une part, parce que l’invitation de M. Guyomar est en tant que telle le signe que les universitaires juristes s’intéressent de plus près aux sondages. D’autre part, parce que la présence de la Commission démontre l’efficacité de sa nouvelle politique de communication, laquelle passe, et on ne peut que s’en réjouir, par des relations de proximité avec les universitaires. L’ensemble au plus grand bénéfice de l’intérêt général.
Non seulement le droit des sondages existe ; mais il est maintenant un plaisir partagé. On peut ici s’en réjouir tout particulièrement.
L’intervention de Mattias Guyomar a ainsi été l’occasion de mieux faire connaître aux universitaires l’action de la Commission des sondages. Celui-ci a repris, dans sa présentation, les principaux points du rapport de la Commission des sondages tout en l’enrichissant de remarques plus personnelles.
La hausse du nombre de sondages contrôlés
Dans un premier temps, il a fait part de la forte hausse de l’activité de la Commission des sondages, avec la multiplication du nombre de sondages liée à l’organisation de primaires, la publication de sondages quotidien (rolling), et la conception extensive du sondage électoral adoptée par la Commission : sur ce point, on se contentera de renvoyer à l’exégèse n°1 du rapport réalisée sur ce blog précédemment.
Un cadre juridique et matériel satisfaisant
Dans un deuxième temps, Mattias Guyomar a insisté sur le fait que le cadre juridique de la Commission, quoique limité, est satisfaisant, du point de vue juridique et du point de vue matériel.
La Commission des sondages est une autorité administrative indépendante dont les moyens sont adaptés à sa mission, variable dans le temps. Par ailleurs, elle met en place une méthode de « régulation paisible » avec les instituts, permettant de faire respecter ses recommandations et n’hésitant pas à mettre en place une riposte graduée de sanction, de la sanction informelle à la sanction formelle comme la mise au point, dont Mattias Guyomar a tenu à réaffirmer l’efficacité. Sur l’ensemble de ces points, on pourra ici renvoyer à l’exégèse n°5 du rapport publiée sur ce blog.
Les « projecteurs » de Mattias Guyomar
Dans un troisième temps, Mattias Guyomar a entendu mettre le « projecteur » sur quatre points particulièrement importants :
Un premier projecteur a été mis sur la question de l’accès à la notice et des éléments confidentiels de cette notice : ce point est fondamental à souligner car le secrétaire général de la Commission des sondages a explicitement indiqué que pour lui, les critères de redressement faisaient partie du savoir faire des instituts et étaient donc protégés par le secret des affaires.
Il y a donc là une prise de position officielle sur le problème de la transparence et l’étendue de l’accès aux documents administratifs : d’une certaine manière, la Commission des sondages persiste et signe dans sa pratique, validée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Mélenchon. Pour Mattias Guyomar, cette position se justifie notamment par le fait que la publication de chiffres bruts pourrait être de nature à tromper le lecteur du sondage.
De quoi alimenter le débat sur la transparence, bien connu des lecteurs de ce blog… et de quoi renvoyer à notre proposition de créer un régime d’accès nouveau spécifique aux documents administratifs détenus par la Commission des sondages, élaboré dans la concertation et avec le souci d’augmenter la transparence de l’action de la Commission.
Un second projecteur a été mis sur le contrôle opéré par la Commission sur la réalisation et la publication des sondages.
Concernant leur réalisation, Mattias Guyomar s’est félicité du contrôle grandissant de la Commission quant au respect de la colonne de référence : sur ce point, on pourra renvoyer à l’exégèse n° 2 du rapport du présent blog qui analyse de façon détaillée le problème dont il s’agit.
Concernant leur publication, Mattias Guyomar a fait part du problème de la publication de sous-échantillons issus de sondages et présentés comme des sondages autonomes : signe des temps, les sondages catégoriels se développent. Or ces extrapolations peuvent prêter à confusion dans la mesure où la marge d’erreur est beaucoup plus importante concernant les résultats tirés de ces échantillons à la taille par définition fort réduite : on pourra se reporter à l’exégèse n°3 du rapport sur ce blog pour de plus amples analyses.
Le troisième projecteur a été mis sur l’interdiction de publier des sondages et des résultats la veille et le jour du scrutin : Mattias Guyomar a fait état d’un bilan contrasté.
Malgré les actions multiples de la Commission, par la pédagogie, la répression, l’adoption d’engagements de ne pas réaliser de sondages des urnes, le dispositif n’a pas parfaitement fonctionné et certains acteurs (l’AFP, les médias étrangers, certains internautes) ont violé la loi et font aujourd’hui l’objet de poursuites. Le dispositif légal devrait donc être complété d’une harmonisation des horaires de fermeture des bureaux de vote. Une analyse plus détaillée est disponible sur le billet consacré à l’exégèse n°4 du rapport relative à la publication des résultats avant l’heure.
De façon plus étonnante, Mattias Guyomar s’est prononcé en faveur d’une interdiction de la réalisation de sondages de sortie des urnes, même non publiés. On peut toutefois avoir des doutes sur la constitutionnalité de cette éventuelle interdiction.
Le quatrième projecteur, enfin, a été mis sur l’évolution des techniques des instituts concernant les modes de recueil et l’évolution vers internet : on sait, en effet, que cette technique permet de meilleurs résultats et résout donc partiellement les problèmes liés aux redressements, points les plus controversés des techniques sondagières.
En définitive, l’exposé de Mattias Guyomar a permis de rendre compte de manière complète et précise de l’activité de la Commission des sondages. Combiné à celui du président Renaud Denoix de Saint-Marc, il soulève toutefois des questions qui constituent la prospective du droit des sondages.
Réflexions personnelles : harmonisation des horaires de fermeture des bureaux de vote et temps de parole des candidats
Les développements de Renaud Denoix de Saint-Marc et de Mattias Guyomar appellent deux types de réflexions.
L’harmonisation des horaires de fermeture : oui à 19h, mais non à 20h !
La première est bien connue ici : l’harmonisation des horaires de fermeture des bureaux de vote. En effet, Renaud Denoix de Saint-Marc s’est prononcé pour une harmonisation à 20 heures, tandis que Mattais Guyomar n’a pas apporté de précisions sur sa proposition.
Toutefois, on le sait à la lecture du rapport de la Commission et on l’a déjà dit ici : il est impératif de ne pas obliger la fermeture des bureaux de vote à 20 heures, car une telle obligation aurait pour effet pervers d’entraîner la diffusion de sondages de sortie des urnes à la place d’estimations de résultats tout en n’empêchant pas les fuites en cours de journée. En somme, cette harmonisation risquerait d’être contre-productive : sur ce point, on pourra utilement se référer à la critique que nous avons faite des conclusions du rapport de la Commission Jospin.
Il faut espérer que quelqu’un finira par entendre cet appel insistant à préférer 19 heures, et que cette réflexion remonte aux décideurs.
Prospective : sondages et temps de parole des candidats
Cette conférence a enfin été l’occasion de poser aux institutionnels leur sentiment sur une question d’avenir relative au temps de parole des candidats, et l’utilisation des sondages pour le déterminer : problématique fondamentale et émergente du droit des sondages dont on a soulevé les modalités et l’enjeu dans un précédent article de ce blog.
M. Renaud Denoix de Saint-Marc appelait, dans son intervention, à définir des critères objectifs et rationnels dans une future loi organique relative à l’organisation de l’élection présidentielle. Dans la recommandation de 2011 du Conseil supérieur de l’audiovisuel, il existe pourtant déjà des critères : dynamique de campagne, résultats aux dernières élections, et enfin résultats des enquêtes d’opinion. Ces critères sont-ils rationnels et objectifs ? Après tout, les sondages ne sont-ils pas les seuls instruments permettant de déterminer la représentativité d’un candidat… de manière chiffrée ?
L’occasion de poser la question à Mattias Guyomar : lequel n’a pas pu prendre position officiellement, la Commission des sondages n’ayant pas encore délibéré de cette question. Il sera donc intéressant d’attendre de la Commission une position sur ce point.
Pour Mattias Guyomar en tout cas, une chose est sûre : l’intégration des sondages comme critères de la détermination des temps de parole des candidats serait une petite révolution… qui aurait pour effet de transformer radicalement le rôle et l’importance de la Commission des sondages. Dont le rôle est aujourd’hui justifié par la sincérité du scrutin… et qui pourrait se développer sur le fondement du pluralisme politique ? C’est en tout cas une proposition que de notre côté, nous pourrions faire… après y avoir réfléchi de manière plus approfondie…
Quant à son appréciation personnelle sur l’utilisation des sondages pour fixer le temps de parole, Mattias Guyomar a fait état d’un jugement nuancé.
D’un certain côté, le recours aux sondages comme instrument de mesure de la représentativité du candidat lui semble légitime… d’autant qu’il existe une autorité de contrôle garantissant la qualité des sondages.
D’un autre côté toutefois, une telle évolution présenterait des dangers, Mattais Guyomar ayant le souvenir des municipales de Paris de 2001, où Jean Tiberi n’était pas invité aux émissions de télévision au prétexte de son faible score dans les sondages… malgré l’ancienneté de sa présence politique. En somme, le secrétaire général de la Commission des sondages craint le caractère autoréalisateur des sondages d’opinion, et leur répercussion sur le temps de parole… qui ne pourrait que renforcer cet effet !
Ce sont en effet de bonnes bases pour commencer la discussion. Espérons que la Commission des sondages délibère sur cette question, puisque c’est son office. Quant à l’universitaire, il va faire le sien et poursuivre ses recherches, sur ces problématiques qui démontrent que les sondages n’ont pas fini d’être un objet de droit toujours plus important dans nos démocraties modernes… le droit des sondages méritant sans aucun doute une seconde édition !
A suivre !
Romain Rambaud