03/12/2012 : Exégèse du rapport de la Commission des sondages n° 5 : du fonctionnement de la Commission des sondages

Le cinquième paragraphe du rapport de la Commission des sondages consacré aux élections présidentielle et législatives de 2012 concerne le cadre juridique et les moyens matériels de la Commission.

Mais ce paragraphe est en réalité consacré à deux problématiques différentes : la première concerne les modalités de fonctionnement de la Commission des sondages, la seconde porte sur le droit des sondages un regard critique et propose des évolutions. La 6ème et dernière exégèse du rapport sera consacrée à la seconde question. Le présent billet ne concerne donc que la première : les modalités de fonctionnement de la Commission des sondages.

Sur ce point, le contexte de l’élection présidentielle de 2012 fut particulier. En effet, ainsi qu’on le sait, cette élection a été marquée par la polémique relative à la diffusion des résultats avant l’heure et la Commission des sondages a ardemment défendu l’état du droit positif pendant cette élection, ainsi qu’on a rendu compte lors de la précédente exégèse du rapport. D’une certaine manière, cette élection fut singulière pour la Commission des sondages car elle a été pour elle celle de la lumière, elle qui vit depuis dans l’ombre depuis sa création en 1977.

C’est donc avec un regard particulier qu’il faut étudier la description par la Commission des sondages des modalités de son action. De manière générale, les modalités d’intervention que la Commission a utilisé pendant cette élection s’inscrivent dans le droit fil des évolutions qu’elle a connu ces dernières années : la Commission préfère,  à l’utilisation des instruments répressifs – même si elle n’hésite pas à les utiliser lorsqu’elle considère que cela est pertinent notamment concernant les fuites des résultats –   l’arme du dialogue, avec les autres organes de contrôle, les instituts de sondage, les médias, et la société civile de manière plus générale.

Il faut bien entendu saluer cette évolution : la Commission des sondages a intérêt à ce que son action soit mieux connue, et a intérêt à multiplier les interlocuteurs, afin que son impartialité et son action dans l’intérêt général soit mieux garantie et plus visible. La Commission des sondages dispose d’une légitimité démocratique, en tant qu’elle est instituée par le droit ; et il est normal et sain qu’elle rende compte à ceux qu’elle a vocation à protéger, à savoir le corps électoral mais plus largement encore l’opinion publique. Il faudra poursuivre dans cette voie.

Dans cette optique, la Commission des sondages considère que ses moyens sont adaptés à ses méthodes.  C’est exact et il faut continuer.

 

Les moyens de la Commission des sondages

C’est un point qui avait été mis en avant, et critiqué, par le rapport des sénateurs Sueur et Portelli : la Commission des sondages dispose-t-elle des moyens de ses ambitions, et inversement ses moyens modestes ne l’empêche-t-elle pas d’avoir davantage d’ambition ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité aujourd’hui que le nombre de sondages, bien sûr, ne cesse d’augmenter.

La Commission des sondages est une autorité administrative indépendante qui comprend onze membres : neuf magistrats (trois du Conseil d’Etat, trois de la Cour de cassation et trois de la Cour des comptes) dont la présidente (Mme Marie-Eve Aubin) et deux personnalités qualifiées (aujourd’hui, M. Richard Ghevontian, Professeur des universités et Mme Françoise Maurel, inspectrice générale de l’Institut national de la statistique et des études économiques). Du point de vue de ses services, ils sont réduits : un secrétaire permanent, cadre A de la fonction publique, un secrétaire général, membre du Conseil d’Etat, exerçant cette fonction à titre accessoire (il s’agit aujourd’hui de Mattias Guyomar) et des experts statisticiens, vacataires rattachés à la commission.

Or pour la Commission, cette structure est satisfaisante : ces moyens sont suffisants en raison de l’activité très variable de la Commission des sondages elle-même dépendante de l’activité électorale, tandis que la dématérialisation des procédures accroît l’efficacité. Le site internet de la Commission permet aussi une meilleure visibilité.

Sans doute ce diagnostic, en l’état du droit positif, est-il exact : il ne paraît pas tellement nécessaire de renforcer les effectifs de la Commission des sondages aujourd’hui, notamment en dehors de toute période électorale. Si l’on compte, en période électorale, environ deux ou trois sondages par jour, l’état actuel des moyens de la Commission semble adapté.

Toutefois, il n’est pas interdit de penser qu’un certain nombre de principes – dans l’hypothèse d’une éventuelle réforme de la loi – pourraient être inscrit dans le droit positif, même si nul ne doute qu’ils soient respectés : notamment la qualification de la Commission des sondages d’autorité administrative indépendante ou encore le principe selon lequel ses membres et ses services ne doivent recevoir d’instructions ou de demandes de quiconque, comme on l’a vu récemment dans les textes ayant modifié le régime juridique d’autres autorités de ce type, comme l’ARCEP ou la CRE par exemple. Ce serait là un gage de renforcement de notre droit et de renforcement du statut de la Commission des sondages.

Par ailleurs, certaines parties prenantes du débat – sondeurs, statisticiens – souhaiteraient que des membres non-juristes soient intégrés au cénacle décisionnel de la Commission. La question mérite d’être posée, même s’il est important que les juristes restent largement majoritaires : le droit des sondages est avant tout une question de droit. Sur ce point, les statisticiens experts servent de supplétifs… on pourrait admettre une évolution.

 

Les méthodes de la Commission des sondages

La Commission des sondages, autorité administrative indépendante, a un fonctionnement tout à fait typique de ces autorités, exerçant souvent ce qu’on a pu qualifier de « magistère moral », à savoir, exercer leur mission par le dialogue et le soft power plutôt que par des moyens coercitifs. Si la Commission des sondages dispose de moyens de sanction (mises au point et saisine du juge pénal), c’est bien le dialogue qu’elle privilégie comme mode d’action principal avec les différentes parties prenantes : les autres organes en charge du contrôle, les instituts de sondage, la presse, et enfin – et ce dernier rôle devra être développé encore davantage – l’opinion publique.

 

Le dialogue avec les autres autorités de contrôle

En premier lieu, il est bien sûr normal que la Commission des sondages ait des rapports étroits avec les autres autorités impliquées dans le contrôle des campagnes électorales : notamment le Conseil supérieur de l’audiovisuel et la Commission nationale de contrôle de la campagne en vue de l’élection présidentielle. Notamment, la Commission des sondages a été associée à certaines réunions de la Commission nationale de contrôle, permettant ainsi de mettre en place le dispositif anti-fuites dont on avait pu rendre compte à l’époque sur ce blog et dont on a reparlé dans l’exégèse du rapport consacré aux problème de l’interdiction de publier des résultats la veille et le jour du scrutin.

Dans l’avenir, ces rapports devront être renforcés, notamment avec le CSA, dans la mesure où les sondages servent désormais d’indices dans le cadre de la régulation des temps de parole par le CSA, comme on avait pu l’analyser ici. On reviendra bientôt, dans un autre billet de ce blog, sur ce problème qui mérite de plus amples développements.

 

Le dialogue avec les instituts de sondages

En deuxième lieu, il est également normal que la Commission des sondages entretienne des relations avec les instituts de sondages : c’est d’ailleurs une longue tradition de cette dernière. Comme de nombreuses autres autorités administratives indépendantes, la Commission des sondages fait participer les concernés à l’action administrative, et c’est une bonne chose que cette administration moderne qui écoute celle qui sont sujets de ses normes… à condition que le rubicond ne soit pas franchi. De bonnes relations sont indispensables mais elles doivent être menées avec vigilance, comme le rappelle la Commission des sondages elle-même. Cette dernière considère, sur ce point, avoir trouvé l’équilibre satisfaisant.

Les relations de la Commission avec les instituts s’exercent en permanence, et non seulement lorsque des problèmes se posent avec des sondages contrôlés. Cela permet à la Commission d’avoir une bonne connaissance de l’évolution des techniques des sondeurs, autant qu’elle lui permet d’imposer aux instituts des recommandations sans avoir à faire appel à l’arme de la mise au point. Elle n’hésite ainsi pas, de manière informelle, à procéder à des rappels à la loi voire à des mises en demeure : dans ce cas, toutefois, ce contrôle qui confine à l’a priori ne peut se faire qu’avec le plein consentement de l’institut de sondage et ne peut donc qu’être informel, en raison de la protection de la liberté d’expression.

Sur ce point, la Commission des sondages se félicite que ses prescriptions soient respectées.

Si ces bonnes relations sont une bonne chose, il faut toutefois que la Commission des sondages ne s’en contente pas et n’hésite pas à déployer les instruments coercitifs dont elle dispose. Sur ce point, on doit se féliciter du fait que la Commission ne s’est pas montrée particulièrement timide lors de l’élection de 2012 : elle a ainsi fait usage de mises au point lorsque des problèmes de respect des règles de fond se sont posées (on peut renvoyer ici aux règles concernant le choix et le respect des colonnes de référence dont on a parlé dans l’exégèse du rapport de ce blog analysant le respect des conditions de fond du droit des sondages électoraux)  et n’a pas hésité à saisir le juge pénal pour faire respecter le principe d’interdiction.

La Commission a donc fait la preuve qu’elle sait montrer les muscles. Grand bien lui fasse ! Cela fait aussi partie de son rôle et participe de sa légitimation démocratique, d’autant que la mise au point est souvent insuffisante sur ce point – mais c’est un problème sur lequel on reviendra.

 

Le dialogue avec les médias

En troisième lieu, la Commission met en avant un « renouvellement de l’action envers la presse et les médias » : en effet, alors qu’elle avait souvent critiqué le manque de bonne volonté de la presse dans ses précédents rapports annuels, se félicite cette fois de l’amélioration de leurs relations : la Commission a d’ailleurs organisé une réunion en décembre 2011 pour expliquer aux médias ses méthodes de travail et ses recommandations.

Cette collaboration doit bien sûr se poursuivre, dans la mesure où pour de nombreux observateurs, c’est aujourd’hui davantage l’utilisation par les médias des sondages que les sondages eux-mêmes qui posent problème.  La Commission doit toujours faire preuve de davantage de pédagogie et les médias porter une attention plus importante aux recommandations de la Commission des sondages… et aux règles du droit des sondages électoraux !

 

Le dialogue avec l’opinion publique

Mais c’est à un autre aspect que la Commission consacre la plupart de ses développements, à savoir l’intervention de la présidente et du secrétaire général dans les médias et à la télévision : à l’occasion du débat sur la publication avant l’heure des résultats, la Commission a en effet été très exposée, ce qui a permis de faire oeuvre pédagogique vis à vis des médias.

Mais c’est surtout vis à vis de l’opinion publique, toutefois, que cette « nouvelle stratégie de communication », selon les termes de la Commission des sondages, a une très grande importance. En effet, ainsi que le relève la Commission, « Les nombreuses sollicitations (…) témoignent de la place gagnée par la commission dans le débat public. Les efforts consentis pour y répondre ont renforcé sa visibilité et son influence dans un milieu fortement médiatisé. Ces interventions ont été l’occasion de faire oeuvre pédagogique non seulement à l’égard des médias mais aussi de l’opinion publique ». 

La Commission s’est donc décidée à intervenir dans le jeu médiatique et politique pour faire respecter le droit. Ce faisant, elle a agi conformément à son rôle, car elle se préoccupe d’un nouvel acteur qui est pourtant et depuis toujours au coeur de son action : l’opinion publique. Cette ouverture à l’opinion publique doit être saluée et devra se poursuivre. Il n’est pas incohérent qu’une institution tout entière dirigée vers la société civile vienne s’adresser à elle selon le moyen le plus universel : la télévision.

Ce faisant toutefois, elle ne manquera de reposer elle-même le débat sur la transparence : transparence des instituts de sondage, des médias, mais également… transparence de la Commission des sondages, concernant son action et les sondages qu’elle contrôle. Sur ce point, on pourra se reporter au problème bien connu ici de la communication des notices et plus généralement du problème de la communication des actes administratifs détenus par la Commission des sondages, pour lequel on a déjà fait une proposition de réforme : instaurer un régime législatif spécifique d’accès aux documents administratifs à l’instar des régimes en vigueur en droit électoral.

 

La transparence, encore, comme exigence de l’opinion publique et de la démocratie. Loin de constituer un danger pour les sondages, le droit des sondages ou la Commission des sondages, la transparence -intelligemment conçue – vient au contraire en renforcer la légitimité : premières manifestations juridiques, parmi d’autres encore marginales, de l’insertion de l’opinion publique dans le système juridique français.

A suivre…

 

Romain Rambaud