On a déjà eu l’occasion d’en parler ici récemment, la ratification du traité budgétaire et l’adoption de la future loi organique, qui se feront par voie parlementaire, posent incontestablement des problèmes démocratiques. Entre le choix de la voie parlementaire et le refus de l’organisation d’un référendum en raison des risques encourus, et l’absence totale de démocratie délibérative sur le sujet, la fenêtre de la démocratie est étroite, voire totalement obstruée, justifiant une méfiance accrue des citoyens sur l’Europe.
Sur ce point, en outre, l’étude des sondages d’opinion réalisés récemment peut laisser, c’est le moins que l’on puisse en dire, un peu perplexe. Force est de constater que ceux-ci sont assez nettement contradictoires et risquent donc d’apparaître à cette occasion, en fonction de la façon dont ils sont construits et de la manière dont les questions sont posées, assez nettement « faiseurs d’opinion ».
Cette réflexion procède de la lecture d’un sondage réalisé par l’institut CSA pour l’Humanité et publié le 24 septembre 2012, selon lequel « en cas d’organisation d’un référendum pour la ratification du traité budgétaire », 52 % des français voteraient oui, 32 % non et 16 % seraient sans opinion. Quant à la question de la méthode adoptée pour ratifier ce traité, selon ce même sondage, 49 % des personnes interrogées rejetteraient la voie choisie par le gouvernement, à savoir la voie parlementaire.
Cependant, la lecture de ce sondage, au demeurant comme il a déjà été dit de nombreuses fois, non contrôlé, peut laisser sceptique au regard de résultats de sondages publiés précédemment et dont on s’était fait l’écho dans ce blog, tant en ce qui concerne la méthode utilisée pour opérer la ratification du traité qu’en ce qui concerne l’opinion et les intentions des français vis à vis des règles posées par ce traité.
Ainsi, en premier lieu, on peut noter que dans un sondage précédent, réalisé pour l’Humanité par le CSA, c’est à dire donc par le même institut et pour le même journal, le résultat concernant la méthodologie était sensiblement différent. En effet, d’après ce sondage réalisé en écho à la manifestation organisée le 30 septembre afin d’appeler à l’organisation d’un référendum dont nous avions parlé dans notre blog, 72 % des français se déclaraient en faveur de l’organisation d’un référendum ! Dans le sondage publié aujourd’hui, ils ne seraient plus que 49 % à désapprouver la méthode choisie par le gouvernement et donc, a contrario, à préférer l’organisation d’un référendum.
Ce que, au passage, le journal l’Humanité n’hésite pas à surinterpréter en titrant « Les Français veulent un référendum »… Interprétation qui sans doute, ne respecte pas le principe de prudence que nous appelons si souvent de nos voeux.
Une différence peu explicable si ce n’est par la différence de question posée, de quoi donner du grain à moudre à ceux qui pensent que les sondages orientent voire créent artificiellement l’opinion par l’intermédiaire des questions posées ?
Ou un résultat révélateur de la difficulté des français à trancher entre ce qui leur semble la solution la plus préférable, à savoir l’organisation d’un référendum, la solution partisane, un soutien relatif au gouvernement dans la mise en oeuvre de sa politique, et la solution réaliste, admettant que la voie parlementaire est celle qui doit s’imposer dans la pratique ?
En toute hypothèse, un espace de débat interprétatif qui semble donner raison à notre analyse appelant à un contrôle de ces sondages quasi-électoraux car portant sur la potentialité de l’organisation d’une élection, et donc non complètement détachés de la notion de sondage électoral elle-même, et ce d’autant, ainsi qu’on va le voir maintenant, que ces sondages portent sur des intentions de vote concernant des élections potentielles.
En effet, en second lieu, on peut être plus que réservé sur les résultats de ce sondage en termes d’intention de votes – potentielles. 52 % des français, donc, diraient oui à la ratification du traité. Qui peut le croire ?
On renverra ici aux résultats d’un sondage réalisé pour le Figaro par l’IFOP et publié le 17 septembre 2012 et dont on s’était également fait l’écho dans ce blog dans une longue tribune consacrée au nécessaire développement de la démocratie délibérative européenne. On se rappelle que ce sondage indiquait que 67 % des français pensent que l’Europe va plutôt dans la mauvaise direction depuis l’adoption du traité de Maastricht, 56 % pensent qu’à long terme il est peu probable que les États européens cèdent leur pouvoir pour créer un État unique, et, point final du sondage, que 60 % des français souhaiteraient au fond d’eux-mêmes « moins d’intégration européenne et des politiques économiques et budgétaires propres à chaque État » contre 40 % qui pencheraient vers une « intégration européenne renforcée avec une politique économique et budgétaire unique ». Dans ces conditions, comment penser qu’effectivement, le oui l’emporterait ?
On peut toujours avancer l’argument, et nous l’avons fait nous-mêmes pour nuancer les résultats du sondage publié par l’IFOP, que l’expression d’une opinion est fondamentalement différente de l’expression d’un vote, que l’expression d’une mauvaise humeur est fondamentalement différente de la prise d’une décision aux conséquences très importantes, ce qui pourrait expliquer cette différence entre les deux sondages.
Dans le même temps, la comparaison de ces éléments indique surtout la très grande indécision de l’opinion, partagée entre un sentiment de plus en plus antieuropéen et la résignation, peut-être, face à une solution qui semble inéluctable. Toutefois, la comparaison de ces éléments est surtout de nature à refroidir ceux qui verraient dans ce résultat un espoir d’adoption du traité par la voie référendaire. Ce que révèlent ces résultats, c’est que l’opinion est prête à s’embraser, à revirer, en somme à voter non.
Qu’on se rappelle : quelques semaines avant la campagne relative à la ratification de la Constitution européenne, les sondages ne donnaient-ils pas le oui vainqueur à une très large majorité ?
N’en doutons pas : c’est très probablement ce qui se passerait si l’opinion devait voter demain à un référendum intervenant après une campagne où, sans doute, les arguments en faveur du non seraient plus audibles que ceux en faveur du oui. Et c’est bien là le problème, qui justifie que ce n’est pas le sondage publié aujourd’hui par l’Humanité qui fera changer d’avis le gouvernement sur la voie à choisir pour ratifier le traité.
La manifestation de dimanche prochain peut-être maintenue.
Dans tous les cas, il faut regretter ici la non-publication de la notice de ce dernier sondage en ligne, contrairement à une habitude que prennent de plus en plus d’instituts et de journaux.
Avec des résultats aussi discordants, on aurait bien aimé davantage de transparence. Comme quoi, le manque de transparence n’est pas le seul fait des instituts !
Romain Rambaud