04/09/2012 : Premiers sondages sur les municipales de 2014 ! Mise en garde aux imprudents : à deux ans de l’échéance, que vaut un sondage d’opinion ?

Dans un article récent sur ce blog, nous partagions notre hypothèse concernant la vitalité du droit des sondages : certes, ce droit, rattaché aux élections, est par nature cyclique. Toutefois, il devait l’être de moins en moins. Les publications de ces derniers jours semblent nous donner raison.

Déjà, de nouveaux sondages sont publiés pour les élections municipales, qui auront lieu… en 2014 !  On n’a pas encore de sondages pour les territoriales… il faut dire que la volonté de François Hollande de changer le système électoral pour 2014 crée un flou qu’il doit être bien difficile de prendre en compte lors de la réalisation d’un sondage.

En tout cas, c’est dit, il y a donc, maintenant, des sondages tout le temps ! Et d’ailleurs, paradoxalement, c’est sans doute très en amont dans le temps que le droit des sondages doit être le plus rigoureux et est peut-être le plus utile. Car à deux ans des municipales, il faut redoubler de vigilance concernant le principe de prudence qui doit présider à la lecture des sondages. Or on peut craindre que celui-ci ne soit pas respecté.

Sur ce point, on prendra pour exemple aujourd’hui le sondage réalisé par l’IFOP pour le JDD en date du 2 septembre 2012 relatif aux élections municipales à Paris. Ce sondage donne Fillon perdant au premier tour 33 % contre 36 % et au second tour 46 % contre 54 %. Un massacre, en somme. Quant aux autres candidats de droite testés, Jean-Louis Borloo, Rachida Dati, ils font moins bien.

Pourtant, à deux ans des échéances, que peut bien valoir ce sondage ? Du point de vue politique, pas grand chose. Pourtant, en violation des principes du droit des sondages, le commentaire réalisé semble bien léger. Suffisant pour justifier le prononcé d’une mise au point ? Soulevons au moins l’hypothèse…

 

La valeur politique du sondage du JDD : certaine, mais, pas là où on l’attend !

Comme tout sondage, et l’IFOP prend bien soin de le préciser dans sa notice disponible en ligne, ce n’est qu’une photographie de l’opinion à l’instant où il a été réalisé. Donc,  il ne vaut pas prévision pour l’élection à venir, loin de là.

Politiquement, il ne signifie donc pas grand chose pour l’élection municipale. D’ici deux ans, la crise aura peut-être redoublé, l’opinion se sera peut-être retournée contre François Hollande et le fera payer à Anne Hidalgo, François Fillon se sera renforcé ou aura disparu, Jean-Louis Borloo aura réussi à recréer l’UDF, qui sait ? A deux ans, politiquement, ce sondage ne vaut donc pas grand chose pour les municipales, si ce n’est d’acter, peut-être, que les candidats ne sont pas tout à fait sur la même ligne au point de départ. De là à imaginer l’ordre d’arrivée, il y a un gouffre qu’il est impossible de franchir.

Par contre, il a un effet immédiat… sur une autre élection, pour laquelle les sondages eux, ne sont pas contrôlés, n’ayant pas de rapport suffisamment direct avec une élection régie par le Code électoral. Il s’agit en effet de l’élection… pour la présidence de l’UMP !

Rappelons que la Commission des sondages ne contrôle pas l’ensemble des sondages politiques, mais seulement les sondages électoraux. Fillon est donné gagnant dans des sondages réalisés… auprès de l’opinion en général, et non auprès des seuls militants UMP, qui seront les seuls à voter.

Et, voteront-ils pour un candidat déjà donné perdant à Paris ? La question se pose. Jean-François Copé n’a pas manqué de le souligner… n‘a-t-il pas dit que le meilleur candidat pour Paris, pour lui, était Fillon ? On doute qu’en disant cela, il tienne à lui rendre service pour la conquête de l’UMP.

Donc, si ce sondage n’aura peut-être guère de conséquences sur les municipales, il en aura sur la primaire interne à l’UMP et il a des conséquences politiques. De quoi le traiter avec prudence. Ce qui, malheureusement, n’a pas été le cas.

 

Un article négligeant le principe de prudence qui devrait gouverner le commentaire d’un sondage

La Commission des sondages a dégagé dans sa jurisprudence, à plusieurs reprises, un principe de prudence dans la lecture et le commentaire des sondages [Recommandations de la Commission des sondages du 27 mars 2007 portant sur les sondages électoraux relatifs à l’élection présidentielle. V., également COMMISSION DES SONDAGES, La Commission des sondages face aux élections présidentielle et législatives de 2002, p. 18].

Or, ce principe de prudence semble avoir été violé par l’article accompagnant ce sondage à de nombreux égards :

En premier lieu, les résultats du sondage sont présentés et rédigés en termes définitifs. On peut ici citer certaines phrases posant problème : « Bertrand Delanöe peut se retirer tranquille. A moins de deux ans des municipales, sa première adjointe peut se lancer en toute sérénité » Ailleurs : « Ni François Fillon, ni Jean-Louis Borloo, ni Rachida Dati, ne sont en mesure de reconquérir Paris ». L’utilisation du conditionnel dans d’autres phrases ne suffit pas à nuancer des appréciations présentées comme péremptoires. Or, une telle présentation altère les résultats du sondage, le commentaire ne prenant pas en compte les résultats plus serrés du premier tour. Le principe de prudence ne semble pas respecté.

En second lieu et surtout, ce sondage pose incontestablement problème eu égard à la distance qui le sépare de l’élection et qui est de deux ans. Cette distance est beaucoup trop grande pour qu’on puisse en tirer de tels enseignements pour une élection ayant lieu en 2014 – d’ailleurs, on précisera que la date exacte de l’élection municipale n’est pas mentionnée dans le commentaire du sondage. Cela impliquerait, au minimum, de le mentionner dans le commentaire du sondage plutôt que de faire passer ces résultats pour des résultats définitifs.

En outre, la manière dont les résultats de ce sondage sont présentés et commentés viole clairement le principe selon lequel un sondage saisit l’opinion au jour où il est réalisé et ne présente par nature aucun caractère prédictif. Ce principe fondamental a été posé par la Commission des sondages [COMMISSION DES SONDAGES, La Commission des sondages face aux élections présidentielle et législatives de 2002, pp. 18. V., dans le même sens Recommandations de la Commission des sondages du 1er février 2008 portant sur les sondages électoraux relatifs aux élections municipales et cantonales] et a d’ailleurs été confirmé dans des mises au point récentes [Mise au point de la Commission des sondages du 31 mai 2011, Le Nouvel observateur / TNS-Sofres ; Adde Communiqué de la Commission des sondages du 12 octobre 2011]. Ces éléments nous paraissent particulièrement graves pour la bonne compréhension des sondages par le public notamment s’agissant d’élections qui auront lieu dans deux ans.

Certes, l’IFOP ne commet pas cette erreur puisque dans la notice du sondage disponible en ligne – mais en ligne seulement – il est bien indiqué que le sondage n’est qu’une photographie de l’opinion et ne saurait avoir d’effet prédictif. Toutefois, c’est bien dans le commentaire du sondage que cette précaution aurait du être prise.

 

Une mise au point ?

Ce type de comportements pourrait justifier l’édiction d’une mise au point de la Commission des sondages. S’ils devaient se reproduire pour l’ensemble des élections locales à venir, cela deviendrait même indispensable.

En effet, l’article 9 de la loi du 19 juillet 1977 sanctionne par l’édiction d’une mise au point les « organes d’information qui auraient publié ou diffusé un sondage (…) en altérant la portée des résultats obtenus ».

Notamment, pour reprendre les termes du Conseil d’Etat dans l’arrêt Mélenchon du 8 février 2012, « il appartient à la commission des sondages de demander la publication ou la diffusion d’une mise au point appropriée lorsque les conditions de réalisation d’un sondage par un organisme ou de publication d’un sondage par un organe d’information ont porté une atteinte suffisamment caractérisée aux dispositions légales et réglementaires dont elle a pour mission d’assurer l’application en compromettant, préalablement à des consultations électorales, la qualité, l’objectivité ou la bonne compréhension par le public de ce sondage ».

C’est la formule de bonne compréhension par le public de ce sondage qu’il faut relever ici, car il est évident qu’elle n’a pas été respectée par les conditions de publication du sondage du JDD.

On ne saurait donc que préconiser la prudence aux futurs rédacteurs. Ce sont les premiers sondages sur les municipales. De nombreux autres viendront. Après tout, les élections, c’est tout de même dans deux ans.

 

Romain Rambaud