02/06/2012 : Réflexions autour de la transparence : quand les sondeurs anticipent (partiellement) la révolution culturelle

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La publication par le Monde d’un article sur deux sondages (un sondage CSA et un sondage BVA) donnant la gauche gagnante aux élections législatives est l’occasion d’une réflexion sur les évolutions de la transparence en matière de sondages électoraux.

La faible présence de la transparence dans le droit positif des sondages électoraux

Ainsi qu’il a été souvent dit ici, la problématique de la transparence est sans doute la principale question d’avenir du droit des sondages électoraux : est-il légitime que le secret des affaires protège les « recettes de cuisine » des sondeurs ou faut-il se battre pour accroître la transparence en cette matière en permettant au citoyen de savoir comment a été construit le sondage pour l’apprécier de manière critique et juger par lui-même des enseignements qu’il faut en tirer ? Sans doute ici faut-il rechercher un équilibre.

On connaît sur ce point la position des institutionnels : la Commission des sondages tend à interpréter restrictivement le contenu de la notice communicable aux tiers prévue à l’article 3 de la loi du 19 juillet 1977. Quant au Conseil d’Etat, il a dans l’arrêt Mélenchon du 8 février 2012 porté un coup dur à la transparence : non seulement il a protégé les instituts par le secret des affaires mais il a encore refusé de sanctionner la décision de la Commission des sondages refusant l’édiction d’une mise au point alors même que la publication du sondage n’était pas accompagnée de la mention indiquant le droit pour toute personne de consulter la notice du sondage ou du texte intégral des questions posées. Sur tous ces points, nous renvoyons une nouvelle fois à l’article de ce blog sur l’arrêt Mélenchon ainsi qu’au commentaire de l’arrêt Mélenchon qui sera bientôt publié à la RFDA.

Les institutionnels ont donc une conception plutôt étriquée de la transparence à ce jour. Cette conception avait été très critiquée par le rapport Sueur et Portelli et la proposition de loi qui y a été associée. Ces derniers avaient proposé un certain nombre de modifications de la loi : notamment, et c’est un point sur lequel nous allons insister parce qu’il va nous intéresser ici, la proposition de loi, alors que cela n’est pas exigé en l’état du droit positif, proposait la publication avec le sondage des marges d’erreur ou, dans la version de l’Assemblée, la publication sur le site internet de l’institution de sondage des marges d’erreur.

Le développement de la transparence dans la pratique des sondeurs

Or, si la loi n’a pas été adoptée, et si les institutionnels semblent réservés vis-à-vis de la transparence, il faut noter que les sondeurs et les médias ont anticipé le changement législatif et fait un effort notable vers la transparence. La publication par le monde des sondages cités plus haut est significative de ce point de vue : pour le lien, on pourra suivre l’url http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2012/06/01/legislatives-la-gauche-toujours-en-pole-position-selon-deux-sondages_1710960_823448.html.

Toutefois, comme le développement de la transparence résulte ici de la bonne volonté des instituts, il existe encore des différences entre ces derniers, comme le montrent les développements suivants.

 

Ainsi, et certes cela n’est sans doute possible que sur internet en raison des contraintes de présentation, l’article sur Lemonde.fr est accompagné des notices des sondages qui sont jointes à l’article en PDF. Ces notices techniques suivent la méthodologie suivante :

1) Tout d’abord, est indiquée la méthodologie : méthode par quota, caractéristiques de l’échantillon, taille de l’échantillon, date, conformément d’ailleurs aux dispositions de l’article 2 de la loi du 19 juillet 1977.

2) Une synthèse comportant les principaux enseignements réalisée par le sondeur lui-même. Cette synthèse nous paraît une excellente chose, car ainsi que nous l’avions préconisé dans notre ouvrage, la technicité accrue des sondages ainsi que les exigences nouvelles de la liberté d’expression impliquent pour les sondeurs la responsabilité de produire des commentaires de leurs sondages (voir notre ouvrage, p. 182 et s.).

3) La production des questions intégrales ainsi que des graphiques détaillés expliquant les réponses. C’est à dire qu’est respectée ici – à la différence de la notice communiquée par la Commission des sondages dans l’arrêt Mélenchon – l’obligation de publier le texte intégral des questions posées conformément à l’article 3-1 de la loi. De ce point de vue, on rejoint la proposition de loi qui avait prévu de modifier cet article de la loi en autorisant les instituts à renvoyer ici sur leurs sites internet. Sur ce point, on noter que la notice du CSA est bien plus détaillée que celle de BVA.

4) Enfin, et ce point mérite d’être souligné, il existe une différence concernant la publication des marges d’erreur. En effet, la notice technique du sondage BVA produit une « Note sur les marges d’erreur », indiquant « Comme pour toute enquête quantitative, cette étude présente des résultats soumis aux marges d’erreur inhérentes aux lois statistiques. Le tableau ci-dessous présente les valeurs des marges d’erreur suivant le résultat obtenu et la taille de l’échantillon considéré ». Ce tableau ne figure pas sur la notice de l’institut CSA – on connaît sur ce point l’opposition de certains anciens membres du CSA à la publication de marges d’erreur concernant des sondages réalisés selon une méthode par quotas pour lesquels le calcul des marges d’erreur ne serait pas scientifiquement possible.

Ce point est particulièrement important car la publication des marges d’erreur est une des controverses actuelles du droit des sondages : la proposition de loi avait ainsi prévu que chaque sondage devait être accompagné d’une mention « formulant le principe selon lequel tout sondage est affecté d’une marge d’erreur » et indiquant les marges d’erreur par référence à la méthode aléatoire. Sur ce point, la question de savoir si ces marges d’erreur devaient être publiées avec le sondage ou sur le site internet des instituts n’était pas réellement tranchée dans l’interprétation.

Les sondeurs semblent en tout cas prendre les devants et c’est tant mieux : à titre exemple, un sondage publié dans le figaro réalisé par Opinion way le 2 juin sur la 2ème circonscription de l’Aine, celle de Xavier Bertrand, indique en petit caractère, en bas « Opinionway rapppelle par ailleurs que les résultats de ce sondage doivent être lus en tenant compte des marges d’incertitude : 2 à 4 points au plus pour un échantillon de 500 répondants ». Innovation qui doit être saluée !

Conclusion : de l’avance de la pratique sur la loi…et ses limites.

En toute hypothèse, force est de constater que les sondeurs ont développé des pratiques en anticipant sur la loi. Ces évolutions ne peuvent être que saluées.

La loi doit-elle entériner ces principes voire aller plus loin ? Sur ce point, on pourrait considérer que l’évolution des pratiques des instituts rend désormais inutile une avancée législative. Toutefois, c’est peut-être l’objectif recherché et il ne faut pas oublier les divergences de pratiques entre instituts – ici, BVA fournit une notice sur les marges d’erreur mais pas CSA.

Par ailleurs, la principale question reste ici en suspens. Quid des critères de redressement ? On sait que c’est bien le principal point d’achoppement concernant la transparence. Ici, les redressements par souvenir de vote apparaissent au moins implicitement dans la colonne de gauche, et l’on comprend bien – ou on semble le comprendre en tout cas – que l’ensemble a été redressé par rapport au souvenir de vote de l’élection présidentielle au moins dans la notice CSA. D’un autre côté, cela est-il pertinent et aurait-on pu envisager un redressement de l’échantillon par rapport aux législatives, ou une combinaison des deux ? Dans quelle mesure ? Ces questions ne sont pas évidentes à trancher.

 

La question se pose de savoir si l’on pourrait aller plus loin. En somme, attention à ne pas oublier ce principe là : le plus important est peut être ce que l’on ne voit pas.

 

Romain Rambaud

 

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