Incroyable ! C’est le premier mot qui vient à l’esprit de l’auteur de ces lignes en apprenant que ce jour, le Gouvernement a déposé un amendement au projet de loi organique relatif à l’élection présidentielle dont la discussion a commencé au Sénat, visant à mettre en place le vote anticipé à l’élection présidentielle.
Le contexte : l’adoption classique d’une loi organique de « mise à jour » avant l’élection présidentielle
Pour situer brièvement le contexte, le Parlement discute d’un projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République, déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale le 21 décembre 2020. C’est un procédé parfaitement classique, en raison du fait que l’élection présidentielle n’est pas régie par le code électoral mais spécifiquement par la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 qui encadre l’élection du Président de la République, laquelle décide de rendre applicables certaines dispositions du code électoral pour ce scrutin. Comme l’indique l’exposé des motifs de la loi, « Il est donc nécessaire avant chaque élection présidentielle d’actualiser ce renvoi au code électoral au niveau organique pour prendre en compte toutes les évolutions législatives intervenues en matière électorale depuis le précédent scrutin ».
Le texte a été adopté par l’Assemblée Nationale le 19 janvier 2021. Il contient certains dispositions techniques, comme des règles sur la fixation des délais pour la convocation des électeurs, sur le financement, et d’autres plus politiques, comme la possibilité pour les détenus de voter par correspondance dans le droit fil des évolutions législatives sur ce point… Le Sénat a examiné le texte en commission et déposé son texte le 10 février 2021 (apportant des modifications, notamment un délai de 9 mois pour le contrôle des dépenses électorales) et la discussion vient en séance au Sénat. Nous reviendrons, dans des travaux ultérieurs, sur le contenu de cette loi, mais ce n’est pas ce qui nous occupe aujourd’hui. Ce qui nous occupe est cet amendement surprise.
La divine surprise : l’adoption d’un amendement pour autoriser le vote anticipé déposé par le Gouvernement au Sénat
Aujourd’hui, en séance, le Gouvernement a déposé un amendement pour autoriser le vote anticipé à l’élection présidentielle… par le biais de machines à voter.
Il prévoit que :
« II ter. – Les électeurs peuvent à leur demande voter de manière anticipée dans l’un des bureaux ouverts à cette fin, parmi une liste arrêtée par les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères.
« Le vote par anticipation a lieu à une date prévue par décret pris au plus tard le sixième vendredi précédant le scrutin, aux horaires prévus par le II bis, sur une machine à voter d’un modèle agréé dans les conditions prévues à l’article L. 57-1 du code électoral, selon les modalités prévues aux derniers alinéas des articles L. 62 et L. 63 du même code.
« Dans chaque bureau, les opérations de vote sont placées sous le contrôle d’un bureau de vote électronique qui établit la liste des électeurs admis à voter et veille à la régularité et à la sincérité du scrutin.
« Pour l’application de l’article L. 37 du même code, tout électeur du département, tout candidat et tout parti ou groupement politique peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale des électeurs admis à voter par anticipation dans le département auprès de la mairie de la commune, à la condition de s’engager à ne pas en faire un usage commercial. Il en va de même dans les circonscriptions consulaires.
« Un électeur admis à voter de manière anticipée ne peut pas exercer son droit de vote par procuration. Un électeur qui a voté de manière anticipée ne peut pas voter le jour du scrutin.
« La liste d’émargement est conservée de manière sécurisée par le maire, ou par le chef de poste consulaire, entre les opérations de vote et le dépouillement. Elle est consultable par tout électeur. Les dispositions de l’article L. 68 du même code sont applicables à cette liste.
« La machine à voter est conservée de manière sécurisée par le maire, ou par le chef de poste consulaire, et ne peut pas être manipulée hors des périodes de vote et de dépouillement.
« Le jour du scrutin à 19 heures, le président du bureau de vote rend visibles les compteurs totalisant les suffrages exprimés par chaque candidat ainsi que les votes blancs, de manière à en permettre la lecture par les membres du bureau de vote, les délégués des candidats et les électeurs présents. Le président donne lecture à voix haute des résultats qui sont aussitôt enregistrés par le secrétaire.
« Les dispositions du présent II ter ne sont pas applicables en Nouvelle-Calédonie. »
Comme l’indique l’exposé des motifs de l’amendement, » Cet amendement instaure un vote par anticipation pour l’élection présidentielle. Les électeurs peuvent demander à voter dans une autre commune, de leur choix, parmi une liste de communes arrêtées par le ministre de l’intérieur. Ce vote par anticipation a lieu à une date fixée par décret, durant la semaine précédant le scrutin. Ce vote par anticipation est effectué sur une machine à voter, dont les suffrages sont dépouillés en même temps que les autres bureaux de la commune, afin d’éviter les risques de fraude ou d’influence sur le vote des autres électeurs ».
Bien sûr, l’auteur de ces lignes, qui plaide de longue date pour la mise en place de modalités alternatives de vote pour faire face à la Covid, ne peut que se réjouir que le droit électoral français commence enfin à s’adapter au risque épidémique… à un moment opportun pour le Gouvernement.
Une modification bienvenue du droit électoral pour faire face à l’épidémie… qui intervient à un moment opportun pour le Gouvernement
L’auteur de ces lignes a, depuis longtemps et de façon constante, comme en témoigne la pétition déposée aux assemblées en octobre, plaidé pour l’adaptation du droit électoral à la crise de la covid et notamment des modalités de vote, avec la mise en place du vote par correspondance et/ou du vote anticipé… pour les élections départementales et régionales. On se rappelle des articles écrits sur ce blog (par exemple le 30 novembre 2020) ou de la tribune du Monde en ce sens. On avait même dit qu’il était important de prévoir ces procédures dès maintenant pour pouvoir les tester avant la présidentielle… nous n’avons pas été entendu à ce moment là, le vote par correspondance et le vote anticipé ayant été rejetés par le rapport Debré et le Sénat. Il faut en cesser de « courir derrière le virus », car c’était en tout état de cause une impasse démocratique.
Bien entendu, on ne peut que se réjouir de ce dispositif, similaire à celui utilisé en Corée du Sud pour les élections de 2020, également aux Etats-Unis, et plus récemment en Europe au Portugal lors de la dernière élection présidentielle du 17 janvier dernier. Le Gouvernement préfère tenter le vote anticipé plutôt que le vote par correspondance, sans doute pour éviter de trop se dédire aussi eu égard aux craintes qui avaient été exprimées. Il souhaite utiliser des machines à voter, ce que l’on peut discuter. Gérald Darmanin a semble-t-il changé d’avis, lui qui préférait l’isoloir, étant vieux jeu, et qui accepte maintenant la machine à voter… C’est son droit, l’important étant l’adaptation du droit électoral à la Covid. Le reste relève des détails dont il faudra discuter.
Il faut en effet absolument adapter notre droit électoral à la Covid. Repousser les élections départementales et régionales est en soi complexe. Repousser les élections présidentielles supposerait une révision constitutionnelle, repousser les législatives une loi organique. Une situation qui juridiquement, au regard de la procédure prévue par l’article 89 de la Constitution pour la révision de la Constitution, et politiquement, serait inextricable. Le report de l’élection présidentielle étant inenvisageable, il faut absolument adapter notre droit. C’est une nécessité impérieuse, qu’il faut saluer.
Mais le moins qu’on puisse dire, c’est que la proposition tombe… opportunément, à la fois sur le timing du débat parlementaire concernant cette loi et vis-à-vis des élections départementales et régionales, alors que sur ce dernier point Assemblée Nationale et Sénat se sont mis d’accord sur un texte en commission mixte paritaire qui ne comprend pas des modalités alternatives de vote. S’agit-il de céder à la pression de ceux qui souhaitaient une évolution ? S’agit-il d’adapter le droit électoral à la Covid faute de choix ? S’agit-il d’une manoeuvre pour montrer que le Gouvernement tente quelque chose et que le Sénat s’y opposera (l’amendement sera discuté jeudi en séance), puisque le Sénat avait complètement exclu cette idée dans son rapport de décembre ? Ou s’agit-il cette fois d’autoriser une adaptation pour permettre une bonne participation lors de cette élection présidentielle, alors que les élections départementales et régionales auront été ‘enjambées’ d’ici là, comme on en faisait l’hypothèse récemment ?
On suivra ça de très très près, et il faudra continuer à discuter des modalités : machines à voter ou vote normal, jour du vote anticipé (lequel ?), possibilité d’annuler son vote ou non, etc. Par exemple, si le vote anticipé avait lieu le samedi ou le vendredi, le risque rupture d’égalité entre les électeurs serait beaucoup plus faible… En tout état de cause, il ne faut pas hésiter à avancer sur le sujet car il y aura un contrôle du Conseil constitutionnel, obligatoire en matière de loi organique, bien en amont de l’élection, de sorte que l’insécurité juridique qui avait caractérisé les élections municipales ne se reproduira pas.
En tout état de cause, force est de constater que cette divine surprise jupitérienne est assurément… détonante !
Romain Rambaud