CLINTON, TRUMP et JOHNSON sont en élection. Lors du vote des grands électeurs, CLINTON obtient 47 %, TRUMP 43 % et JOHNSON 10 %. La majorité absolue tombe à l’eau. Qui est sauvé ?…. TRUMP !
Alors que les Américains célèbrent la pratique quadriennale d’élire leur Président, l’attention du juriste se tourne une fois de plus sur l’énigmatique collège électoral. Les États-Unis cultivent un exceptionnalisme constitutionnel avec une élection à deux degrés où le collège électoral joue un rôle aussi décisif que controversé. Qualifié tant de « tâche la plus dangereuse dans notre Constitution » par T. JEFFERSON que de technique de modération excellente (1) par HAMILTON, le sujet de cette querelle des Founding Fathers (2) trouve aujourd’hui une acuité nouvelle avec l’élection de 20163 et son hypothétique « contingent election ».
Principe : une désignation indirecte par l’« Electoral College »
Les précisions technicistes que requièrent la compréhension de la désignation du Président et du vice-président américain ne seront pas toutes abordées, toutefois il est important d’en saisir les grandes lignes.
Par principe, les citoyens américains élisent le Président au suffrage universel indirect (SUI). Le premier mardi qui suit le premier lundi de novembre (4), cette année le 8 novembre 2016, les électeurs votent dans chaque État pour choisir leurs grands électeurs. La Constitution attribue à chaque État fédéré un nombre d’électeurs égal au total combiné du Sénat (United States Senate) de l’État et de la Chambre des Représentants (United States House of Representatives). En 2016, le nombre d’électeurs par Etat varie de 3 à 55. Il y a actuellement 538 électeurs, ce qui correspond à 435 représentants, 100 sénateurs et 3 électeurs pour le District of Columbia (5).
Le premier lundi qui suit le deuxième mercredi de décembre (6), soit le 12 décembre 2016, les grands électeurs voteront directement pour le Président. Le dépouillement de leur vote aura lieu quinze jours plus tard au Sénat à Washington. Le candidat sera alors déclaré officiellement vainqueur à condition qu’il remporte la majorité absolue des voix. Il est ici question des voix électorales par État et pas de la majorité du vote populaire. Enfin, l’investiture du Président se fera au Capitole le 20 janvier lors de l’Inauguration Day.
Exception : une désignation par « contingent election » en conformité avec la vision républicaine des Pères fondateurs.
Au principe succède l’exception. Ainsi, dans l’hypothèse où la majorité absolue n’est pas atteinte par les grands électeurs, l’élection présidentielle et vice-présidentielle ne relève plus du choix de ces derniers, mais des organes du Congrès. Technique conforme à la vision originaliste aux Pères fondateurs.
La Constitution américaine, ce « compromis miraculeux » dont parlait HAMILTON, se voulait une conciliation entre le nord et le sud, entre les grands et les petits Etats, entre les fédéralistes et les décentralisateurs. Aussi, dans un esprit libéral, les Constituants ont privilégié la représentation des minorités fédérées plutôt qu’une représentation strictement démographique. Le système d’élection à deux degrés, où le SUD n’a lieu que pour les grands électeurs, permet de dépassionner les « turbulences et le contentieux » (7) inhérents à la démocratie brute (8) (9).
L’élu républicain Ron Paul le rappelait avec force dans le titre d’une résolution (10) de 2000 : « les États-Unis sont une république, pas une démocratie ». En effet, dans cette Amérique du XVIIIe siècle le mot « démocratie », entendu comme régime politique basé sur une souveraineté populaire illimitée, liberticide contre les droits naturels et les minorités revêtait un caractère légitimement péjoratif. Ainsi ce terme n’apparaît ni dans la Déclaration d’Indépendance ni dans la Constitution américaine (11). Certes, les fondateurs étaient en désaccord sur le rôle du gouvernement fédéral, mais aucun n’a cherché à construire une démocratie pure (12). Se méfiant des excès du pouvoir populaire, dont ils avaient fait l’expérience dans les années 1770 et 1780, ils voulaient encadrer le pouvoir du peuple, tout en le reconnaissant. G.VIDAL soulignait que les Pères fondateurs avaient créé une République à trois branches si soigneusement équilibrée que « nul César, encore moins nulle populace, ne pourrait aisément la détourner ». Cette volonté de modération, de checks and balances, s’illustre constitutionnellement dans le droit de veto du Président, ou par la possibilité l’impeachment du Congrès.
Ainsi, ce dépassement de l’absolutisme populaire et aujourd’hui encore apprécié (13) et aura orienté toute la charpente constitutionnelle de la désignation du président, du vice-président ainsi que la vision de son 12e amendement.
Le 12e amendement de la Constitution prévoit une méthode de sauvegarde de la sélection présidentielle par un second processus. En effet, il dispose que les candidats doivent réunir la majorité des voix électorales (actuellement 270 sur un total de 538) pour être élus. Si aucun candidat ne recueille cette majorité, le président est élu par la Chambre des représentants, et le vice-président est élu par le Sénat. Il est alors question de « contingent election » ou de « Constitution’s contingent election procedure ».
Situation rarissime. D’ailleurs, ce qu’écrivait TOQUEVILLE en 1835 est transposable en 2016 : « la Chambre des représentants n’a encore usé que deux fois du droit exceptionnel dont elle est revêtue en cas de partage. La première, en 1801, lors de l’élection de M. JEFFERSON ; et la seconde, en 1825, quand M. Quincy ADAMS a été nommé. » (14)
Un amendement né d’une crise de désignation, palliant les crises de désignation
Les dispositions constitutionnelles initiales (article II, section 1) consacraient pour chaque grand électeur la possibilité d’avoir deux voix. Il n’y avait pas de vote électoral distinct pour le vice-président et le Président. Le candidat qui recevait le plus de suffrages était alors élu président. Le « runner-up », le second, était alors élu Vice-Président. Dans l’éventualité d’une égalité des voix ou si aucun candidat n’avait reçu un vote de la majorité des grands électeurs, la Chambre des Représentants élisait le Président parmi les cinq candidats majoritaires. Le vote se faisait alors par État, chaque État ne disposant que d’un vote unique.
Le système a fonctionné sans heurts pour les trois premières élections. Mais il a été mis à rude épreuve lors de l’élection de 1800, quand le sortant John ADAMS disputait l’investiture à Thomas JEFFERSON et son colistier Aaron BURR. Les insuffisances du système sont devenues manifestes lorsque les grands électeurs favorables au parti démocrate-républicain ont négligé de veiller à ce que JEFFERSON ait au moins une voix supplémentaire que BURR. Techniquement, lui et son colistier étaient donc égalité, avec 73 voix chacun. La Chambre des représentants, à majorité fédéraliste devait donc se prononcer le 11 février 1801. Au gré d’âpres négociations, la votation à la Chambre aura perduré sept jours et nécessité 36 tours de scrutin. Finalement, cette dernière se soldera en faveur de JEFFERSON.
Préoccupé par cette crise électorale, le Congrès proposa en 1803 un amendement constitutionnel. Les dispositions de cet amendement, le 12e, ratifiées le 14 juin 1804, se résument comme suit :
« Les électeurs se réunissent dans leurs États respectifs, et votent par bulletin pour le Président et le Vice-Président, dont l’un, au moins, ne peut pas être un habitant du même état qu’eux ;(…) La personne qui obtient le plus grand nombre de voix en tant que Président sera président si ce nombre est la majorité des électeurs inscrits ; et si personne n’obtient une telle majorité, alors la Chambre des Représentants doit choisir immédiatement, par vote, le Président parmi les 3 personnes ayant le plus de suffrages. Mais, lors du choix du Président, les votes doivent être comptés par États, la représentation de chaque Etat ayant une voix ; le quorum pour ce vote est fixé aux deux tiers des états, et la majorité des états est requise. Et si la Chambre des Représentants ne peut choisir de Président(…), alors le Vice-Président agit en tant que Président, comme dans le cas du décès ou d’une autre indisponibilité constitutionnelle du Président (15). La personne qui obtient le plus grand nombre de voix en tant que Vice-Président sera Vice-Président si ce nombre est la majorité des électeurs inscrits, et si personne n’obtient une telle majorité, alors le Sénat doit choisir le Vice-Président parmi les deux personnes ayant le plus de suffrages ; le quorum pour un tel vote est fixé aux deux tiers de l’ensemble des sénateurs, et la majorité de l’ensemble des sénateurs est requise pour l’élection. (…). »
A la Chambre, chaque délégation fédérée vote en bloc et ne dispose que d’une seule voix (16). Un candidat doit obtenir la majorité absolue des voix de la délégation de l’État (en 2016, 26 votes). En outre un quorum d’au moins 2/3 de tous les États fédérés est demandé. La Chambre poursuit le scrutin jusqu’un candidat obtienne ladite majorité.
Lors de la mise en œuvre du 12e amendement lors de l’élection du Président de 1824, le 18e Congrès américain fut confronté à une interrogation légitime : comment les élus du Congrès devaient-ils faire leurs choix ? Trois doctrines furent défendues.
Pour les premiers, il était nécessaire d’orienter son choix en faveur du candidat JACKSON. En effet, ce dernier avait gagné le vote populaire au niveau fédéral.
Pour les seconds, leur bulletin devait porter le nom du gagnant du vote populaire dans leur Etat ou du district.
Enfin pour les troisièmes, le vote fait au Congrès ne devait pas être lié à des variables extérieures ou antérieures. Les mérites comparatifs des 3 candidats devaient alors être librement soupesés. Pour cette doctrine, la légitimité élective au Congrès permettait de considérer ce vote comme indépendant. Ils étaient un nouveau contingent constitutionnel dans un processus distinct, déclenché par l’échec des personnes et des électeurs. En définitive, le choix de Clay ADAMS fut sans appel et ne fut pas tourmenté par ce foisonnement d’interprétation (17).
Au Sénat, le mécanisme est relativement similaire. Il ne diffère que par un choix se limitant aux deux candidats ayant reçu le plus de suffrages et par la voix unique que les sénateurs peuvent exprimer (les délégations d’État n’entrant pas en jeu). Cette désignation de la vice-présidence par le Sénat ne fut observable qu’une fois dans l’histoire américaine. En février 1837 avec l’élection de R. M.JONSON par un vote de 33 contre 16 à la défaveur de F. GRANGER. En l’espèce, le Sénat avait établi un appel nominal alphabétique et le vote était alors exprimé à haute voix18 par les élus.
Le 12e Amendement et sa perspective pour l’élection de 2016 :
Si le premier débat TRUMP-CLINTON de septembre 2016 fut mémorable par sa pauvreté intellectuelle, il fut toutefois classique dans son format. Deux candidats représentants respectivement les deux grands partis américains s’affrontent devant les téléspectateurs. Pour accéder au débat tant convoité, les « petits candidats »19 (G. JOHNSON et J. STEIN) devaient franchir la barre des 15 % d’intentions de vote, comme l’exigent les règles de la commission des débats présidentiels. Toutefois, ces deux outsiders, respectivement à 9 % pour le candidat libertarien et 3 % pour la candidate écologiste, ne résistent qu’avec difficulté face au candidat du Grand Old Party (40 %) et face à la candidate de gauche (43 %).
Si par hypothèse, l’élection de 2016 devait voir un outsider populaire écorner le duel TRUP-CLINTON, le 12e amendement pourrait reprendre du service. M. BLOOMBERG, via la tribune avait évoqué cette hypothèse « The Risk I Will Not Take” (20) lorsque certains conservateurs l’invitaient à une candidature anti-TRUMP. Ce dernier s’inquiétait alors du parasitage d’une candidature indépendante. En effet, contre intuitivement cette situation pourrait être favorable à TRUMP. En effet, dès lors où le candidat indépendant n’atteindrait pas la majorité du collège électoral nécessaire pour remporter la présidence, cette candidature disperserait les voix entre les 3 candidats (démocrate, indépendant, républicain). Pour l’ancien maire de New York « In a three-way race, it’s unlikely any candidate would win a majority of electoral votes, and then the power to choose the president would be taken out of the hands of the American people and thrown to Congress.” A ce stade, Le seul espoir reste donc une monter en puissance du candidat libertarien. Une hypothèse politiquement jouable au regarde des positions interventionnistes de TRUMP en rupture avec l’électorat Reaganien.
Les républicains détiennent une mince majorité de 54/44 (2 indépendants) au Sénat et une majorité plus confortable de 247/186 (2 vacants) à la Chambre des Représentants. Dès lors, où aucun membre ne ferait « défection », le résultat serait probablement en faveur du ticket TRUMP/PENCE.
Toutefois, ces élections éventuelles seront menées par un nouveau Congrès qui entrera en fonction le 3 janvier 2017. Chaque représentant et 1/3 des sénateurs (21) sont en place pour la réélection en novembre, mais leurs nouvelles compositions restent une énigme à ce stade. Enfin, il est nécessaire de préciser que cette projection mathématique n’est réaliste que si les élus restent fidèles aux candidats de leur parti. Si ce loyalisme n’est en rien une obligation légale, il reste, à n’en pas douter, un facteur de pérennité politique.
Dans cette configuration, le risque est pris au sérieux par l’équipe démocrate. C’est pourquoi, à chaque meeting, Michelle OBAMA s’efforce d’alarmer l’auditoire progressiste : « Remember it’s not about voting for the perfect candidate. There is no such person.”(…) ““if you don’t vote, that’s a vote for Trump,” and “if you vote for a third-party candidate who’s got no chance to win, that’s a vote for Trump”. D’après la moyenne des sondages (22), CLINTON devance TRUMP de 2,3 %, mais lorsque les candidatures G. JOHNSON et J. STEIN sont prises en compte, elle ne devance TRUMP que d’ 1,6 %. Si les outsiders peuvent infléchir les majorités de grands électeurs dans des Swing states (23), ils sont également un facteur déterminant dans l’obtention de la majorité absolue pour TRUMP ou CLINTON.
HUNTINGTON, grand politiste conservateur l’analysait déjà en 198124 ; la démocratie américaine est rythmée par des moments périodiques de réaffirmation des valeurs fondatrices, ce qu’il dénomme des épisodes de “creedal passion”. Si aujourd’hui, les Américains ont la légitime appétence de revivre l’esprit des 1776, espérons que le juriste aura lui son “creedal passion” avec un nouvel emploi du 12e amendement. Comme aimait le dire le regretté juge Antonin SCALIA : “Wake up america !»
Pierre-Maxime Sarron
Sources
ROTHMAN (L.), “The Crazy Way Republicans Could Beat Donald Trump After Election Day”
http://time.com/4263470/donald-trump-republicans-third-party/
GAMIO (L.), CAMERON (D.), “Poll: Redrawing the electoral map”
https://www.washingtonpost.com/graphics/politics/2016-election/50-state-poll/?tid=a_inl
ROSS (T.), “The Electoral College: Enlightened Democracy”
http://www.heritage.org/research/reports/2004/11/the-electoral-college-enlightened-democracy#pgfId-1137462
ROSS (T.), BEN RASKIN (J.), “The Electoral College debat”
http://www.fed-soc.org/publications/detail/the-electoral-college
HOWARD (D.), “République démocratique ou démocratie républicaine ?”
http://www.revueargument.ca/article/2000-10-01/140-republique-democratique-ou-democratie-republicaine.html
BERNS (W.) (ed.). “After the People Vote: Steps in Choosing the President”. Washington: American Enterprise Institute for Public Policy Research, 1983.
SAYRE, STANLEY. , “Voting for President”. Washington: Brookings Institution, c1970
NEALE(T.), “The Electoral College: How it Works in Contemporary Presidential Elections” CRS Report for Congress,