Le troisième référendum d’auto-détermination en Nouvelle-Calédonie, prévu le 12 décembre prochain, est maintenu. Dans l’article ci-dessous, Charlie Delorme, étudiante en M1 Droit des collectivités territoriales, parcours Gouvernance territoriale (Master bi-diplômant entre la faculté de droit de l’université Grenoble-Alpes et Sciences Po Grenoble), poursuit l’analyse de ce processus référendaire en analysant les différents arguments échangés sur l’île et les modalités d’organisation et de déroulement du référendum d’ici le 12 décembre…
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Dans la nuit du 11 au 12 novembre en métropole, à un mois pile du scrutin référendaire d’autodétermination, l’Etat français a confirmé le maintien du troisième référendum à la date du 12 décembre.
La décision de maintenir le référendum : arguments et réactions
La nouvelle a été officialisée par le haut-commissaire de la République, Patrice Faure, dans la commune de Ponérihouen, terre natale du secrétaire général de l’Union Calédonienne, composante du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste). Il a fait reposer sa décision sur le respect du critère sanitaire. En effet, il considère que le scrutin n’est pas contestable d’un point de vue organisationnel et sanitaire car l’épidémie a nettement diminuée[1] et est donc maîtrisée. Cette annonce a suscité de fortes réactions politiques au sein des deux camps majoritaires, sur lesquelles il convient de revenir.
D’un côté, « les Voix du Non », appellation désignant la campagne des mouvements loyalistes contre l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie[2], ont accueilli très favorablement la décision de l’Etat et le respect de ses engagements, considérant le maintien du scrutin au 12 décembre comme un gage de démocratie et d’une promesse tenue, offrant « des perspectives d’avenir aux Calédoniens (en leur) donnant la possibilité de clôturer la période de l’accord de Nouméa »[3]. De ce fait, les loyalistes intensifient le rythme de la campagne du Non à l’indépendance pour rendre le résultat davantage crédible, en luttant contre la démobilisation et l’abstention de certains électeurs parfois convaincus du résultat à venir.
De l’autre côté, les indépendantistes ont pris acte du maintien du scrutin qu’ils qualifient de « provocation politique » et de « déclaration de guerre contre le peuple kanak et les citoyens progressistes du pays »[4] . Ils déplorent la tenue d’ « un scrutin d’autodétermination sans le peuple colonisé » et reprochent à l’Etat de se rallier à « la droite coloniale ». Les indépendantistes, qui demandaient le report du référendum d’un an (son organisation était juridiquement possible jusqu’en octobre 2022, deux ans après le précédent référendum), ont le fort sentiment que leurs revendications ont été mises de côté. Certains considèrent que « les enjeux nationaux, dont les élections présidentielles, ont été privilégiés au détriment de la demande du FLNKS et du Sénat coutumier »[5]. Par conséquent, ils ont fait part de leur intention de saisir le Comité spécial de la décolonisation de l’ONU pour contester la tenue d’une consultation d’autodétermination dont ils estiment la légitimité altérée par l’absence de participation des principaux intéressés. Les mouvements indépendantistes prévoient de se réunir prochainement afin d’établir une « stratégie de riposte à la hauteur de l’insulte faite à (leur) peuple secoué par les deuils »[6].
Toutefois, bien que la non-participation des électeurs soit un droit qu’il convient de respecter, elle ne doit pas être synonyme d’atteinte au bon déroulement du scrutin pour ceux qui souhaiteraient voter, comme le rappelle Daniel Goa, président de l’Union Calédonienne.
Il est indéniable que le retrait politique des mouvements indépendantistes dénue de sens l’objectif même poursuivi par l’ensemble du processus référendaire trentenaire, qui consistait, par le fait du temps et de la succession des trois scrutins d’autodétermination, à renforcer la légitimité du résultat final de la consultation[7]. Si les référendums de 2018 et de 2020 y sont parvenus haut la main (avec plus de 80% de participation), tel ne sera probablement pas le cas du troisième, comme l’annonce le déroulement de la campagne électorale officielle à laquelle seul participera l’un des deux camps politiques, les partisans anti-indépendantistes.
Afin de sortir de cette impasse et de remédier à cette situation instable, une modification de l’arrêté du Haut Commissaire fixant la date limite de dépôt à la commission de propagande au 27 octobre pourrait être envisagée afin de rallonger le temps de la période de campagne électorale officielle et de permettre aux partis indépendantistes d’y participer dans le cas où ils changeraient d’avis, ceux-ci ayant décidé volontairement de ne déposer ni circulaire ni affiche auprès de la commission de contrôle. Par ailleurs, ayant été inscrits à ce titre par la commission de contrôle, ils pourraient également participer à la campagne officielle audiovisuelle.
Les futurs votants au référendum : le corps électoral particulier du référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie
Le droit à l’autodétermination ne s’adresse qu’à une partie restreinte du corps électoral calédonien, car seules les « populations intéressées » doivent être consultées sur cette question. En effet, comptabiliser les voix de populations arrivées plus récemment sur le territoire risquerait d’amoindrir celle du peuple originaire, d’après le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies et la Cour européenne des droits de l’homme.
Ainsi, lors du référendum du 4 novembre 2018, seules 175 000 personnes sur 210 000 inscrites sur la liste générale de droit commun figuraient sur la liste électorale spéciale pour la consultation. L’inscription sur cette liste n’ouvre droit qu’au scrutin des consultations intéressant la question de l’autodétermination. En Nouvelle-Calédonie, il existe donc trois corps électoraux différents : le corps électoral détenteurs de la citoyenneté calédonienne étant autorisé à voter aux élections du congrès et des provinces, le corps électoral spécial pour la consultation et le corps électoral général (votant aux municipales, aux présidentielles et aux législatives).
Les personnes admises à figurer sur la liste spéciale pour la consultation sont celles qui remplissent l’une des huit conditions suivantes, mentionnées par l’article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 :
– Avoir été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 ;
– Remplir la condition de dix ans de domicile (sauf interruptions pour raisons familiales, professionnelles ou médicales) requise pour être électeur à la consultation du 8 novembre 1998 ;
– Avoir eu le statut civil coutumier ou, nés en Nouvelle-Calédonie, y avoir eu le centre de ses intérêts matériels et moraux ;
– Avoir l’un de ses parents né en Nouvelle–Calédonie et y avoir le centre de ses intérêts matériels et moraux ;
– Pouvoir justifier d’une durée de 20 ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation et au plus tard le 31 décembre 2014 ;
– Être né avant le 1er janvier 1989 et avoir eu son domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ;
– Être né à compter du 1er janvier 1989 et avoir atteint l’âge de la majorité à la date de la consultation et avoir eu un de ses parents qui satisfaisait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998.
On constate de facto que les conditions requises pour voter au référendum s’amenuisent avec le temps. « La question de la définition des titulaires du droit à l’autodétermination, c’est-à-dire du corps électoral appelé à voter lors de la consultation (…) provoque (…) une entorse au caractère universel du suffrage, et aux règles traditionnelles du droit électoral »[11]. Afin d’y remédier, l’accord de Nouméa prévoit l’adoption d’une loi constitutionnelle pour créer une « citoyenneté locale différenciée »[12] .
Le Comité des droits de l’homme a été saisi par vingt-et-un Français qui contestaient les critères de la liste électorale spéciale ouvrant droit à participer au scrutin pour le référendum d’autodétermination, pour dénoncer les violations du libre choix de la résidence, du droit de participer aux affaires publiques et du droit à la non-discrimination[13] à travers l’établissement de ces critères. Finalement, le Comité a considéré que « le droit de vote n’est pas un droit absolu », qu’il peut par conséquent faire l’objet de restrictions à condition de ne pas être « discriminatoire et déraisonnable »[14]. Il ressort de cette décision que les critères en présence sont justifiés par la construction d’un scrutin dont le but s’inscrit uniquement dans un processus temporaire de décolonisation. Il n’en reste pas moins que l’élaboration d’une liste électorale spéciale pour la consultation au sein de la nationalité française peut être critiquée.
Il en va d’ailleurs de même de la citoyenneté calédonienne, en tant que celle-ci, qui ouvre droit au vote des élections provinciales, « bien ]qu’elle] n’apparaisse qu’avec l’accord de Nouméa, la logique de restriction sur laquelle elle se fonde résulte de la définition du corps électoral pour le scrutin d’autodétermination »[15]. En effet, la citoyenneté calédonienne repose depuis 2007[16] sur un « corps électoral gelé » et non plus « glissant »[17] (avant 2007), car restreint aux seules personnes françaises résidant sur le territoire depuis le 8 novembre 1998 ou arrivées après cette date à leur majorité sur le territoire si l’un de leurs parents est citoyen de la Nouvelle-Calédonie. Cette citoyenneté calédonienne, dont l’acquisition n’est désormais possible que pour les descendants majeurs des seules personnes déjà citoyennes calédoniennes, permet de voter aux élections qui intéressent le territoire local. « Le droit de suffrage cesse d’être universel puisque la citoyenneté du pays a eu et aura pour premier objet et pour premier effet de fonder en droit l’exclusion du suffrage en Nouvelle-Calédonie, et donc en France, de nationaux français (…) à l’occasion du ou des scrutins d’autodétermination à organiser en fin de période transitoire[18] ». Selon Romain Rambaud, « dans l’hypothèse où la Nouvelle-Calédonie confirmerait son refus de l’indépendance (…), cette situation deviendrait intenable ».
L’organisation à venir du référendum
Comment s’organise la tenue du troisième referendum d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie ?
Bien qu’il revienne à l’État français de prendre en charge l’organisation du processus référendaire d’autodétermination pour régler la question de la décolonisation progressive de la Nouvelle-Calédonie, l’ONU surveille et encadre de près son bon fonctionnement et son déroulement. En effet, des observateurs de l’ONU sont présents sur place pour les préparatifs du scrutin et pour les opérations de vote le jour du scrutin.
Les modalités d’organisation du referendum d’autodétermination sont prévues par l’adoption de textes législatifs et de textes réglementaires d’application, dans un délai restreint et accéléré. Il est prévu que seuls les partis et groupes politiques représentés au Congrès puissent participer à la campagne officielle[8]. Par conséquent, ils se voient reconnaître un accès spécifique aux médias durant cette période. Néanmoins, les autres partis ou groupements politiques peuvent participer au débat public, sans pour autant faire partie de la campagne officielle. La difficulté en l’espèce réside donc, comme il a été dit, dans le fait que les forces indépendantistes ont décidé de ne pas participer à la campagne officielle.
Les dispositions relatives au financement des partis et des groupements politiques, issues de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, complétées par celles de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique sont applicables en Nouvelle-Calédonie. Il en est de même des dispositions pénales du code électoral qui prévoient des sanctions lourdes pour quiconque tenterait d’influencer le vote en s’appuyant sur ses moyens financiers[9]. Concernant le remboursement des frais engagés par les partis politiques, seuls ceux représentés substantiellement au Congrès verront leurs frais pris en charge par l’État. Les dépenses faites pour la campagne pour la consultation par chaque parti ou groupement politique à compter de son habilitation par la commission de contrôle font l’objet d’un remboursement de la part de l’Etat dans la limite d’un plafond de 13 000 000 francs CFP.
Sur le plan des opérations électorales, la mise en place de bureaux de vote délocalisés à Nouméa pour les habitants des cinq communes situées en dehors de la Grande Terre mais travaillant dans la zone de Nouméa, a été primordiale pour assurer un exercice personnel du droit de vote effectif et pour encourager les populations concernées à participer au scrutin. Cette mesure permet aussi de garantir l’égal accès à la consultation, pour que le coût financier des transports ou l’irrégularité du trafic aérien ne jouent pas sur les résultats du vote. Il s’agit d’une dérogation exceptionnelle au droit électoral national, décidée lors du XVIème comité des signataires. Elle est justifiée par « la nécessité de favoriser la plus large participation possible des électeurs au scrutin concerné » et ne porte pas « atteinte au principe d’égalité entre les électeurs »[10]. Cette possibilité vise également à minimiser le recours au vote par procuration, parfois abusif. De fait, le vote par procuration est soumis à des conditions restrictives de manière dérogatoire, qui ne valent que pour la seule consultation référendaire : le vote par procuration n’est admis que sur production de pièces justificatives dont la liste est fixée par décret au Conseil d’État (obligation professionnelle, formation, raisons de santé, détenus ayant la capacité électorale et absence de Nouvelle-Calédonie).
Conclusion
L’enjeu du troisième référendum est ainsi de parvenir à résoudre la crise identitaire de la Nouvelle-Calédonie en invitant la population calédonienne à s’interroger sur son identité.
A ce propos, le préambule de l’accord de Nouméa en 1998 déclare : « le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun » . Cette volonté de détenir une identité à part entière renvoie à la notion de souveraineté, à la possession d’un pouvoir commun sans partage.
La Nouvelle-Calédonie s’est construite sur la notion de partage, de mélange de cultures et de populations pour former une société multiculturelle. Parviendra-t-elle à se frayer un chemin sans délaisser personne ?
Charlie Delorme
[1] Le taux d’incidence s’élève à 95 au 15 novembre.
[2] Appelant donc à voter « NON » au référendum.
[3] Les Voix du Non, propos recueillis dans Les Nouvelles Calédoniennes « L’Etat maintient la date du 12 décembre », 13 novembre 2021.
[4] Ch.Washetine, Communiqué du bureau politique du Palika (Parti de Libération Kanak), du 14 novembre 2021.
[5] Ch.Washetine, membre du parti politique Palika, propos recueillis dans Les Nouvelles Calédoniennes, « L’Etat maintient la date du 12 décembre », 13 novembre 2021.
[6] Ch.Washetine
[7] J.-F. Merle, « Nouvelle-Calédonie : Crise sanitaire et crise politique se conjuguent pour enlever l’essentiel de son sens à un référendum le 12 décembre », Le Monde, 9 novembre 2021.
[8] Article 219 III, alinéa 6 de la loi organique statutaire : la Commission de contrôle est notamment chargée de « dresser la liste des partis et groupements habilités à participer à la campagne en raison de leur représentativité en Nouvelle-Calédonie ; celle-ci s’apprécie au vu de leur représentation au sein du congrès ».
[9]C.David, « Les modalités d’organisation du référendum d’autodétermination calédonien », Revue juridique, politique et économique de Nouvelle-Calédonie, 2018.
[10] Conseil d’Etat, Assemblée Générale, n° 393830, relatif à l’organisation de la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, point 12.
[11] H.Alcaraz, « La consultations sur « l’accès à la pleine souveraineté et à l’indépendance » de la Nouvelle-Calédonie », RFDA, n°2 du 9 mai 2018, p.291.
[12] V. Hipeau, « Les ambiguités de la citoyenneté calédonienne dans la République française », RFDA 2014. 1103.
[13] Articles 12-1, 25, 26 du Pacte des Nations-Unies relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.
[14] Comité des Droits de l’Homme des Nations-Unies, Décision du 15 juillet 2002, H.Guillot et a. c/France.
[15] Ibid note 21.
[16] Loi constitutionnelle n° 2007-237 du 24 févr. 2007 modifiant l’art. 77 de la Constitution.
[17] Expression utilisée par le Conseil constitutionnel.
[18] O.Gohin, “Commentaire des lois organiques nos 99-909 et 99-910 du 19 mars 1999 relatives à la Nouvelle-Calédonie.” L’Actualité juridique: Droit administratif (AJDA), n°. 6, Dalloz, 1999, p. 500.