L’ « ostracisation » du Front National est un thème récurrent du discours du parti d’extrême-droite contre le système « juridico-politico-administratif » (et UMPS) qui caractérisait selon lui l’Etat français. Sans doute, le droit électoral est également visé par cette critique, même s’il n’est en réalité plus si défavorable aujourd’hui au parti d’extrême-droite, en témoigne par exemple le problème de la régulation des temps de parole déjà abordé de nombreuses fois sur ce blog, qui, faisant la part belle aux résultats aux élections et aux enquêtes d’opinion, est aujourd’hui très favorable au Front National.
Deux questions récentes témoignent des problèmes d’articulation entre le droit électoral et le financement du Front National. Elles constituent d’excellents marqueurs, permettant de faire la part des choses : souvent, le droit électoral permet de rétablir une certaine vérité par rapport à un discours anti-système qui peut être mensonger.
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Sincérité des déclarations de rattachement et non-respect de la parité : de l’impossibilité de se dédire trop facilement a posteriori (arrêt du Conseil d’Etat Front National du 14 novembre 2014, n° 370555)
Le premier problème qui peut être développé ici concerne le recours récent de Marine Le Pen tendant à annuler l’annexe 1 du décret n°2013-430 du 27 mai 2013 pris pour l’application des articles 9 et 9-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 modifiée relative à la transparence financière de la vie politique. Le Front National demandait plus précisément l’annulation de la diminution de 1,5679% ou 86.979 euros de la première fraction attribuée au Front national, et de fixer le montant de cette première fraction attribué au Front national pour 2013 à 5.547.367 euros. Cette affaire a été définitivement jugée par un arrêt du 14 novembre 2014, n° 370555 (attention, il faut se référer ici à Ariane sur le site du Conseil d’Etat, car pour le moment le site Legifrance connaît un bug et renvoie en réalité sur l’arrêt du 21 octobre 2014).
Cette demande avait été jugée une première fois dans un arrêt Front National du 21 octobre 2013, n° 370555, lequel s’était traduit par le refus de transmettre la QPC invoquée, par la détermination d’un nouveau principe sur la vérification du rattachement, et par la nécessité de recourir à un supplément d’instruction.
Concernant la QPC, il s’agissait pour le Front de remettre en cause la constitutionnalité du dispositif prévu à l’article 9-1 de la loi de 1988, à savoir que le montant de la première fraction de l’aide publique est réduit si l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe ayant déclaré se rattacher à un parti dépasse 2% (voir notamment un article portant sur ce thème sur ce blog). En effet, c’est à cause de cette règle que le parti a vu sa dotation diminuer : en application de ces dispositions, l’annexe I du décret du 27 mai 2013 a ramené la part du Front national de 5 547 367 euros (cinq millions cinq cent quarante sept mille trois cent soixante-sept euros) à 5 460 388,32 euros (cinq millions quatre cent soixante mille trois cent quatre-vingt huit euros trente-deux centimes).
Le Front National ne remettait pas directement en cause le dispositif. Plus précisément, il considérait que ce système ne permettait pas de respecter, tant l’article 1 de la Constitution en vertu duquel « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux » que son article 4 en vertu duquel « la loi garantit l’expression pluraliste des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation », dans la mesure où selon lui le parti n’était pas en mesure de s’opposer à la prise en compte d’une déclaration de candidature énonçant un rattachement au part, alors ce dernier avait décidé précisément de ne pas présenter le candidat en question. C’est donc, selon le Front National, l’impossibilité de maîtriser le processus de rattachement du candidat à lui-même qui justifiait l’inconstitutionnalité du dispositif.
Ainsi que le rappelle le blog Droitpublic.net, en l’espèce, Claude Dassié, candidat aux élections législatives des 10 et 17 juin 2012 dans la 2e circonscription de l’Yonne, avait joint en pièce annexe à sa déclaration de candidature en préfecture, le 18 mai 2012, une déclaration de rattachement au Front national, pour la répartition de l’aide publique prévue à l’article 9 de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique. Ce rattachement avait pour effet d’entraîner le Front National sur la mauvaise pente du point de vue du respect des obligations de parité.
Cependant le Conseil d’Etat a rejeté l’argumentation du Front National en tant qu’il ne partage pas l’interprétation du texte que fait le parti de Marine Le Pen. Il considère ainsi, dans un considérant de principe, que si « pour la détermination du rattachement d’un candidat à un parti ou à un groupement, les auteurs du décret qui procèdent à la répartition des fonds ne peuvent tenir compte que de la déclaration de candidature telle qu’elle a été déposée, à l’exclusion de tout autre document et sans qu’il soit possible de la modifier », (voir sur ce point CE, 22 mars 1999, Groupement des élus de l’U.D.F., n° 196807), celle-ci, dans la mesure où cette détermination n’est opérée qu’aux fins de détermination de l’aide financière à apporter aux partis en raison de leurs résultats aux législatives, « ne fait pas obstacle à ce qu’un parti ou groupement établisse au moyen de tous éléments, y compris produits devant le juge, qu’un candidat qui se prévaut de son investiture n’était pas, avant l’élection, au nombre de ceux qu’il entendait effectivement présenter ».
Le Conseil d’Etat a donc décidé, dans cette décision, d’attribuer aux partis la possibilité d’apporter la preuve qu’ils n’entendaient pas investir un candidat, permettant de revenir a posteriori sur la difficulté liée à la sanction pour manquement aux obligations de parité : c’est la solution de principe de la décision, ainsi que l’exprime clairement le fichage de l’arrêt.
Cependant, en l’espèce, à l’époque, le Conseil d’Etat avait considéré « qu’en l’état de l’instruction, il ne peut être établi que le Front national a fait connaître, avant les élections concernées, qu’il entendait ne pas regarder comme présenté par lui le candidat dont il conteste le rattachement ; qu’il y a lieu d’inviter en conséquence les parties, avant dire droit sur la requête présentée par le Front national, tous droits et moyens réservés, à verser au dossier de l’instruction contradictoire, dans un délai d’un mois, tous éléments de nature à permettre d’établir ce fait ». Un supplément d’instruction avait donc été demandé, raison pour laquelle l’affaire revient, certes avec du retard, devant le Conseil d’Etat le 14 novembre 2014.
Dans l’arrêt du 14 novembre 2014, le Conseil d’Etat rejette définitivement la prétention du Front National. Il considère d’abord que rien ne permet d’établir que le Front National se serait opposé au rattachement de cette personne avant l’élection, ce qui permet au Conseil d’établir au passage des indices sur la sincérité du rattachement en cause. D’une part, « il ne ressort d’aucune de ces pièces que ce parti aurait, avant ces élections, manifesté auprès de l’autorité préfectorale son opposition à ce rattachement ». D’autre part, s’il serait possible de contredire ce rattachement en manifestant le « caractère public d’une telle opposition », mais en l’espèce le Front « se borne à produire des documents soit postérieurs à la date des élections, soit émanant de tiers et dépourvus de portée quant au fait en litige, tel un article de presse faisant état de divergences entre ce parti et M.F…, soit enfin dépourvus de date certaine », en l’espèce une attestation cherchant à démontrer qu’un autre candidat pouvait se prévaloir de l’étiquette du Front national…
Dès lors, ce rattachement ne pouvant être contesté, l’administration, tenue au respect des déclarations ainsi qu’il a été dit (CE, 22 mars 1999, Groupement des élus de l’U.D.F., n° 196807), a fait une exacte application des dispositions de la loi de 1988 en mettant en place la sanction prévue par la loi pour non respect de la parité (dont on avait d’ailleurs déjà parlé ici sur ce blog suite à la modification par un décret du 2 octobre 2014 du montant alloué aux partis en raison de l’application de cette règle).
Utile rappel du juge administratif qu’il serait un peu trop facile, pour le Front National, de se dédire a posteriori pour des raisons d’argent…
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La Souveraineté nationale à géométrie variable : du financement du Front National par des emprunts bancaires russes
C’est une nouvelle affaire de prêts bancaires après celle du financement du micro-parti Jeanne, (voir également sur ce point notre article sur les micro-partis paru dans l’AJDA), qui pose aujourd’hui question pour le Front National.
En effet, et la presse ne parle que de cela, Mediapart a révélé le samedi 22 novembre que Marine Le Pen financerait assez largement son parti par de l’argent prêté par des banques russes. D’après Mediapart, « La présidente du Front national a obtenu, en septembre, un prêt de 9 millions d’euros de la First Czech Russian Bank (FCRB). Les fonds ont déjà été partiellement versés au parti à hauteur de 2 millions d’euros ». Un proche conseiller de la présidente du FN a confirmé la signature de ce prêt, d’un taux d’intérêt fixé a 6%, qui offre au parti un droit de tirage « selon les besoins de financement». D’après Marine Le Pen, citée par le Nouvel Observateur, c’est le refus de toutes les banques françaises de lui prêter de l’argent qui explique cette décision : « Notre parti a demandé des prêts à toutes les banques françaises, mais aucune n’a accepté. Nous avons donc sollicité plusieurs établissements à l’étranger, aux États-Unis, en Espagne et, oui, en Russie. ». Une information aujourd’hui confirmée.
Bien entendu, le problème est politique, d’une double manière : d’abord parce qu’il place le FN en contradiction avec son discours de souveraineté nationale, ensuite parce qu’il pose la question des réseaux russes du Front National, et la question des contreparties que Vladimir Poutine est en droit d’attendre du soutien indéfectible du Front National à sa politique.
Mais, si la question est politique, elle est aussi juridique. Au Nouvel Obs, Marine Le Pen prend soin de préciser « L’idée est, bien sûr, de rembourser ces prêts… », car, effectivement, lorsqu’on pose la question d’un financement du FN par la Russie, la président du Front National répond habilement : « Je ne comprends pas votre question, ce serait interdit. »
En effet, la loi interdit bien le financement de la vie politique par des dons de personnes morales étrangères : la loi n°88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique le prévoit explicitement. Ainsi, l’article 11-4 de la loi dispose que « Aucune association de financement ou aucun mandataire financier d’un parti politique ne peut recevoir, directement ou indirectement, des contributions ou aides matérielles d’un Etat étranger ou d’une personne morale de droit étranger ».
Certes, ainsi que l’indique Me Jean-Christophe Ménard, avocat spécialisé en droit du financement politique, ancien rapporteur auprès de la commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), il semble que « légalement, rien n’interdit à un parti politique de contracter un emprunt auprès d’une banque française ou étrangère, à la condition bien sûr que le prêt ne dissimule pas un don de personne morale ou un blanchiment d’argent ». Une analyse confirmée par la CNCCFP, interrogée par Medipart : « Un parti a tout à fait le droit de contracter un prêt auprès d’une banque à l’étranger. Cela apparaît forcément dans les comptes du parti, mais nous n’avons qu’un montant global des emprunts, seuls les commissaires aux comptes ont les détails en mains et effectuent ce contrôle. Nous exerçons un contrôle sur les dons, pas sur les prêts. ». L’interprétation de l’article 11-4, sous réserve de recherches plus approfondies (mais effectivement, comme il est commun en droit électoral, la question semble relever d’une zone noire), n’est pas faite de la façon la plus stricte.
Néanmoins, dans tous les cas, la frontière entre le prêt et le don peut être floue, et M. Ménard résume bien la situation : « L’origine des fonds prêtés au parti est évidemment cruciale. Dans le cas présent, il faudrait s’intéresser aux conditions de l’emprunt ou bien encore à l’éventuelle participation de l’État russe au capital de la banque. Le problème est que la CNCCFP ne dispose pas des compétences lui permettant de contrôler la légalité de ce type de montages financiers, parfois complexes. ».
Certes, l’article 17 de la loi sur la transparence de la vie publique a modifié l’article 11-7 de la loi de 1988 et a renforcé le contrôle de la CNCCFP. En vertu de l’article 11-7, les partis ou groupements bénéficiaires des dispositions des articles 8 à 11-4 ont l’obligation de tenir une comptabilité, arrêtée chaque année, certifiée par deux commissaires aux comptes et déposée dans le premier semestre de l’année suivant celle de l’exercice à la CNCCFP, qui assure leur publication sommaire au Journal officiel. Or, les pouvoirs de la CNCCFP ont été notablement renforcés. En effet, l’article 17 de la loi ajoute à l’article 11-7 de la loi de 1988 un alinéa selon lequel « la commission demande, le cas échéant, communication de toutes les pièces comptables et de tous les justificatifs nécessaires au bon accomplissement de sa mission de contrôle ». Il s’agit d’une extension du contrôle de la CNCCFP, laquelle doit en la matière se contenter de procéder à des vérifications purement formelles, c’est-à-dire restreintes à la seule vérification du dépôt des comptes, de la certification des comptes par deux commissaires, et du respect du périmètre des comptes à déposer, sauf « incohérence manifeste » (CE, Sect., Association Cap sur l’avenir 13, 9 juin 2010, n° 327423, Rec., p.197; V., CNCCFP, Rapport d’activité 2012, pp. 73-75). La CNCCFP ne disposant jusque-là d’aucun pouvoir d’approbation ou d’investigation, elle ne pouvait aller au-delà de la certification des commissaires aux comptes même si elle constatait des irrégularités, dès lors que celles-ci n’étaient pas assez graves pour justifier un refus de certification, hors incohérence manifeste. Une telle situation devrait être partiellement corrigée grâce à cette amélioration de la loi (Sénat, amendement n° COM-12).
La question reste cependant de savoir à quel point cela aura un impact sur son contrôle, qui devrait s’approfondir sans faire d’elle un juge des comptes des partis politiques (CNCCFP, Avis relatif à la publication générale des comptes des partis et groupements politiques au titre de l’exercice 2012, 22 janvier 2014). En effet, si le pouvoir de contrôle se renforce, l’objectif de celui-ci ne change pas. La Commission ne pourra pas plus qu’auparavant remettre en cause les comptes certifiés, sauf évolution de la jurisprudence du Conseil d’État. Cette évolution semble aujourd’hui souhaitable, mais elle ne constitue pas encore le droit positif.
L’autre solution, mais qui pose également de nombreux problèmes, est le recours au droit pénal. Mediapart cite ainsi un précédent dans les années 1990, dans laquelle « les dirigeants du Parti républicain (PR) avaient eu recours à un prêt fictif souscrit auprès d’une banque italienne, le Fondo. Alors dirigeants de ce parti, l’ancien ministre de la défense François Léotard et Renaud Donnedieu de Vabres ont été condamnés pour « blanchiment » dans cette affaire, en février 2004 ».
La question rejoint alors celle des procédures en cours dans le cadre de l’affaire du micro-parti Jeanne : d’après Mediapart, cette affaire pourrait en cas de problème de cette nature « rejoindre l’instruction en cours par Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi [qui] sont aujourd’hui saisis de soupçons d’irrégularités sur les financements du Front national – à travers le micro-parti de Marine Le Pen –, une enquête élargie en septembre à des faits de « blanchiment en bande organisée » liés aux contrats de prêts accordés à des candidats frontistes ».
En somme, c’est une nouvelle fois la question de l’utilisation du droit pénal en matière de financement de la vie politique, qui se pose. Il s’agit encore d’une recherche à faire, comme on l’a déjà dit précédemment sur ce blog…
Heureusement, le premier semestre se termine, et le deuxième sera plus calme niveau cours. La recherche va bientôt reprendre ses droits !
A suivre, enfin !
Romain Rambaud