Emmanuel Macron contre le RIC : un argumentaire insuffisant [J. Rio]

L’hypothèse d’un référendum couplé aux élections européennes du 26 mai 2019 est envisagée par le président de la République. Plusieurs analyses ont déjà été faites quant à l’ombre que jetterait le référendum sur le débat européen, le risque plébiscitaire, ou encore la volonté d’utiliser la procédure référendaire pour sauver les européennes d’un fort taux d’abstentions. Alors que cette hypothèse permet au Président de renouer avec la théorie de la démocratie, il apparaît regrettable de le voir désapprouver le référendum d’initiative citoyenne et plus encore le modèle Suisse.

Les motifs évoqués sont encore plus décevants. Selon le chef de l’État, les français seraient trop nombreux et trop instables pour l’instauration d’une telle procédure. Car, contrairement aux helvètes, les français seraient un peuple « violent depuis des siècles et des siècles » (E. BERRETTA, « Référendum : pour Macron, ‘le modèle suisse est inadapté à la France’ », Le Point, 1er février 2019).

Quand bien même l’analyse sociologique du peuple français, osée par le président de la République, serait vérifiée, l’objectif d’une procédure de votation à l’initiative du peuple est précisément de désamorcer toute violence physique. Les procédures de votations sont des canaux d’expressions des contestations du titulaire de la Souveraineté française.

Quant aux critiques sur le nombre de citoyens, les modalités et procédures d’accomplissement de la votation, il ne s’agit que de problèmes techniques dont nous allons essayer d’en préciser l’ensemble des possibilités et potentialités.

Aussi, les développements qui vont suivre ont pour objectif de réhabiliter le référendum d’initiative citoyenne aussi bien en ce qui concerne la théorie démocratique qu’en ce qui concerne sa mise en œuvre pratique.

Le peuple ne peut que voter « bien »

L’expression directe du corps électoral ne doit pas être crainte au regard de la possibilité de mal faire. Par définition, au sein du régime démocratique, dont se revendique la Ve République (Articles 1 et 4 de la Constitution du 4 octobre 1958), le titulaire suprême du pouvoir est le peuple (Articles 2 et 3 de la Constitution du 4 octobre 1958). Ainsi, à moins d’une posture aristocratique, aucune autorité ne peut prétendre juger en bien ou en mal l’exercice par le peuple de son pouvoir. Le souverain est le seul juge de l’opportunité et de l’appréciation de sa libre expression à un instant précis. Autrement dit, le peuple ne peut mal voter, il ne fait que changer d’avis, prendre une décision différente par rapport à un moment, un contexte, une idée différente.

Le peuple est donc libre de changer d’idée, de position (politique, sociale, économique etc.) au rythme qu’il souhaite.  Malheureusement, dans notre système constitutionnel actuel, il est emprisonné entre différentes dates électorales qui ne lui permettent pas de s’exprimer pleinement sur un sujet en particulier. Il ne peut qu’arbitrer les compétitions pour la gestion courante des affaires politiques sur un ensemble de sujets. C’est précisément cette confiscation de notre système représentatif que viendrait réparer, en partie, le référendum d’initiative citoyenne. Celui-ci aurait pour objectif de permettre au corps électoral de reprendre à ses élus la gestion d’une question politique.  Cet outil constitue une ligne de communication directe avec les délégués à la gestion du pouvoir politique. Il est tout à fait possible de l’encadrer de façon satisfaisante.

La garantie d’une expression non anarchique du corps électoral

Le peuple ne va pas « détricoter tous les matins ce que le législateur décide » (E. BERRETTA, précité). Le référendum d’initiative citoyenne n’a pas pour objectif de permettre à tout citoyen de se substituer, en permanence à ses élus. Il ne s’agit pas de mettre en place un nouveau régime destiné à se passer de représentants.

Plus pragmatique, cet outil a pour objectif de jauger l’importance de certains sujets pour le corps électoral concerné et de filtrer les propositions. Un filtre trop important rend l’outil totalement inefficace, ce qui est le cas de notre actuel référendum d’initiative partagée.

Cet objectif de communication est nécessaire à une démocratie pluraliste en ce qu’il permet de désamorcer des crises et revendications politiques minoritaires en dehors de toute période électorale. Une fois que le corps électoral se prononce, la décision produite a nécessairement un effet pacificateur en ce qu’elle illustre les forces en présence. Certaines minorités peuvent alors constater qu’elles ne sont que cela, d’autres peuvent en revanche convaincre une nouvelle majorité de répondre favorablement à leurs préoccupations. Ce canal de contestation légal permet alors de traiter juridiquement et politiquement des problématiques qui, à défaut, dégénèrent en mouvements de faits (grèves, rixes, pogroms, révolutions, guerres civiles etc.).

Pour qu’une minorité se fasse entendre, le lancement de la procédure doit être accessible à une portion raisonnable du corps électoral. Il faut qu’un petit nombre d’électeurs puisse saisir l’ensemble du corps électoral d’une question, revendication. Ce nombre ne doit pas être fixé par un chiffre arbitraire (600 000, 700 000 etc.) car l’évolution démographique d’un pays aura rapidement emporté la pertinence de n’importe quel seuil ainsi défini. C’est pourquoi il serait préférable de fixer un seuil basé sur un pourcentage de ce corps électoral.

Ce seuil doit permettre l’expression d’une minorité mais également éviter la dérive anarchique d’une substitution permanente des élus par leurs électeurs. Le pourcentage d’électeurs à l’origine de la procédure doit ainsi refléter l’importance d’un sujet au sein du corps électoral.

Ainsi, non seulement le citoyen doit avoir à cœur un sujet particulier (et non l’ensemble des tâches quotidiennes du législateur) mais également prendre le temps de rassembler et sensibiliser autour de lui une portion suffisante de ses compatriotes pour en convoquer l’ensemble. Si de nombreux citoyens s’investiront en ce sens, les exemples en droit comparé nous permettent de constater qu’il n’est pas évident de convoquer le peuple et que, par conséquent, ces convocations n’interviennent pas de manière systématique pour « détricoter » le travail quotidien du législateur.

 La garantie d’une expression libre du corps électoral

L’encadrement de la procédure devra relever de l’encadrement classique de toute expression du corps électoral : celui-ci devra exprimer sa décision en toute liberté. La préservation, la protection de ce principe de liberté appartient, relève non seulement du droit électoral encadrant les référendums, mais également de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci pourra parer toutes les craintes liées à la mauvaise utilisation de l’outil, à sa manipulation en appliquant l’exigence qu’il pose à ce type de consultation de clarté et de loyauté de l’expression du corps électoral. Cette exigence implique non seulement que l’objet de la question mais également ses conséquences juridiques soient clairs pour l’ensemble des électeurs[1]. Ainsi, les questions trop techniques ou obscures devront être reformulées pour passer le filtre du Conseil tout comme celles dont les conséquences (juridiques, politiques économiques etc.) ne sont pas clairement identifiées par l’électeur.

 La nécessité d’une latitude maximale octroyée à l’initiative

La question de l’encadrement du libre consentement du souverain doit se résoudre uniquement dans l’encadrement des conditions dans lesquelles il s’exprime et non sur les domaines dans lesquels il pourrait s’exprimer. Sans parler de l’atteinte à la liberté des électeurs, la restriction de l’initiative amènerait des distinctions justifiées sur une logique aristocratique : certains domaines pourraient supporter les « erreurs, errements » du peuple tandis que d’autres seront le pré carré de ceux qui ne peuvent se tromper.

Il serait alors regrettable et préjudiciable de condamner d’avance un outil aussi important pour le système représentatif en le cantonnant à des domaines matériels comme normatifs. L’initiative ne doit pas seulement être libérée d’un cadre de compétence matérielle mais également d’un cadre formel. Celle-ci pourrait tout à fait concerner l’ensemble des niveaux de productions normatives : local (collectivités décentralisées) comme national (législatif et constitutionnel) à partir du moment où la procédure permet le libre consentement du corps électoral questionné.

En revanche, la distinction de l’initiative en fonction de l’échelon normatif auquel elle intervient devra emporter des conditions procédurales (seuils, quorums et majorités au sein du corps électoral) en adéquation avec la valeur et la stabilité de la norme qu’elle viendra saisir.

Au-delà du large champ d’intervention, gage de la communication électeurs-élus la plus complète possible, le champ des possibles doit également être précisé :

Le référendum d’initiative citoyenne, en ce qu’il doit transcrire des considérations hors périodes électorales doit disposer de toutes les potentialités offertes par le droit comparé et l’imagination des systèmes constitutionnels. Ainsi, il conviendra, dans l’optique de son adoption, de ne pas le cantonner à un référendum de proposition ou d’abrogation mais de cumuler les deux possibilités.

Là encore, les conditions juridiques encadrant les propositions ne doivent pas être des verrous protecteurs de la majorité politique passée, présente ou future. Cet outil a précisément pour objectif de permettre au corps électoral de reprendre la main sur un sujet, quitte à désavouer de précédents élus. Le droit d’abroger ou de proposer doit donc pouvoir concerner l’ensemble des mesures et domaines sans condition de délais par rapport à l’intervention des élus. Si une loi vient d’être votée, le référendum d’initiative citoyenne abrogatif a précisément pour objet de permettre une réaction immédiate. Lui ôter cette possibilité par la mise en place d’un délai protecteur de l’œuvre des élus (comme c’est le cas dans notre actuel référendum d’initiative partagée) n’aboutit qu’à vider de sa substance ce bel outil.

La garantie d’un outil compatible et complétant le système représentatif

Loin du conte de la fuite d’un état de nature, c’est un principe pragmatique qui justifie, selon Benjamin Constant, le recours à un système représentatif[2]. Chaque individu n’ayant pas matériellement le temps de s’occuper en permanence de la gestion du pouvoir politique, il convient de recourir à des représentants, à une délégation.

Selon ce principe, une première remarque pragmatique permet d’écarter la crainte d’une utilisation à outrance et sur tout et n’importe quel sujet du référendum d’initiative citoyenne. Les électeurs ne prendront en théorie du temps pour reprendre la gestion d’une question politique que si celle-ci lui tient vraiment à cœur. L’essoufflement démocratique s’il doit être craint et combattu en période d’élection constitue un régulateur autonome du recours aux procédures d’initiatives citoyennes.

En ce qui concerne la cristallisation d’un désaccord entre les électeurs et les élus, celle-ci n’est pas à combattre ou à désamorcer puisqu’elle décrit l’objectif premier d’une telle procédure. Le but d’un référendum d’initiative citoyenne est de permettre une expression différente du corps électoral vis-à-vis de sa représentation que ce soit une contradiction, une réorientation ou une innovation. Il convient également de rappeler que ce n’est pas parce qu’une initiative citoyenne consulte l’ensemble du corps électoral que celui-ci va choisir de contredire ses élus. Cet outil peut tout à fait permettre à une minorité de se rendre compte que les élus actuellement au pouvoir sont parfaitement alignés sur la ligne politique majoritaire du corps électoral.

Lorsque, toutefois, il y a désaccord, cela ne signifiera en aucun cas que les élus devront être démis de leurs fonctions. Cet outil permet simplement de corriger une trajectoire, d’en imposer une nouvelle sur une politique, un sujet précis. Les initiatives citoyennes ne pourront avoir de portée plébiscitaire. D’une part parce qu’elles sont censées être présentées par un groupe d’électeurs. Mais, d’autre part, quand bien même un homme s’identifierait au projet porté, la tournure plébiscitaire de la question pourra tout à fait tomber sous le coup d’un manquement à l’exigence de loyauté de la consultation constatée par le Conseil constitutionnel.

L’exemple Suisse permet de constater que le corps électoral est d’ailleurs capable de désavouer une partie du programme de ses élus et de continuer à les élire pour la gestion du reste de leur programme[3].

Cet outil permettrait donc une forme de sélection dans les programmes politiques. Cette « politique à la carte » permettrait de replacer le corps électoral au centre de la politique, de court-circuiter toute dérive partitocratique et de rappeler aux élus qu’ils ne sont que des serviteurs délégués par le peuple et pour le peuple.

L’outil n’a donc pas pour objectif d’établir une démocratie directe, souvent mythifiée. Il n’apporte qu’une correction, certes essentielle, mais ne supprime pas la représentation. Celle-ci continue sa gestion courante des autres domaines non saisis par la procédure d’initiative citoyenne.

Au-delà de la gestion des affaires courantes, la représentation peut également continuer d’exister dans la procédure d’initiative citoyenne. Mais, au lieu de lui conférer un rôle de verrou politique (comme c’est le cas actuellement dans notre référendum d’initiative partagée : l’initiative ne pouvant se passer du soutien d’un pourcentage des représentants), il conviendrait de lui confier un rôle de contradicteur comme c’est le cas encore une fois de la Suisse. L’ensemble des initiatives citoyennes Suisses, lorsqu’elles satisfont aux conditions de convocation du corps électoral, se voient compléter ou concurrencer par un projet du gouvernement. Ce contre-projet permet aux représentants d’approfondir une problématique lancée par une initiative, de construire une proposition plus intéressante, plus cohérente etc. Ce travail d’amélioration de l’initiative citoyenne permet de rétablir une connexion et une collaboration électeurs-élus.

 Une procédure matériellement réalisable

La procédure et le matériel de vote ont généralement une importance capitale et un coût important pour l’Etat. Cependant, les innovations technologiques et l’ère du numérique doivent permettre de pallier à la seule critique de l’irréalisation matérielle ou économique. Dans ce domaine encore, la France devra prendre exemple sur ses voisins pour la mise en œuvre d’un vote électronique et potentiellement par internet.

Non seulement le coût de la procédure serait grandement diminué mais la rapidité et l’efficacité d’une telle consultation permettrait une fréquence raisonnable de ce type d’initiative. La dématérialisation et la délocalisation (hors des bureaux de votes) d’une telle procédure ne seront cependant pas à l’origine d’un vote purement émotionnel car trop rapide. L’outil de l’initiative est généralement encadré dans des délais de récolte des signatures, de vérifications de celles-ci ainsi que de la question posée. Puis, elle n’est soumise au suffrage du corps électoral qu’après une période de campagne permettant aux principaux acteurs de la vie politique de structurer un débat et des principaux arguments pour et contre la proposition ainsi qu’éventuellement pour ou contre le contre-projet. L’ensemble de la procédure est donc structuré en plusieurs étapes et ne consiste pas en une simple consultation sur l’humeur à chaud d’un peuple, elle permet l’expression en toute connaissance de cause d’un corps électoral souverain.

Les Suisses sont encore une fois à prendre pour exemple puisqu’ils adjoignent systématiquement au matériel de vote par correspondance sur de telles procédures un cahier rouge résumant les principales positions politiques sur le sujet.

Loin d’un vote anarchique déconstruit et sur l’émotion du moment, l’initiative citoyenne pourrait proposer une technique juridique conforme à notre système représentatif permettant de désamorcer pacifiquement les conflits sociaux de toutes sortes.

Josselin Rio

 

[1] En ce qui concerne les décisions de principes voir notamment : Cons. const. 2 juin 1987, n° 87-226 DC, Loi organisant la consultation des populations intéressées de Nouvelle-Calédonie, cons. 7 ; Cons. const. 4 mai 2000, n° 2000-428 DC , Consultation de la population de Mayotte, consid. 15, Cons. const. 7 déc. 2000, no 2000-435 DC , Loi d’orientation pour l’outre-mer, consid. 44 et Cons. const., 24 mars 2005, n° 2005-31. En ce qui concerne quelques commentaires éclairant sur la notion de clarté et de loyauté de la consultation voir par exemple : GENEVOIS (B.), « [Note sous décision n° 87-226 DC] », Annuaire international de justice constitutionnelle, 1987, n° III-1987, p. 603. ; AVRIL (P.), GICQUEL (J.), « [Note sous décision n° 87-226 DC] », Pouvoirs, novembre 1987, n° 43, p. 213 ; PAVIA (M.-L.), « Le Conseil constitutionnel et la protection des droits et libertés », Revue administrative, 1988, n° s.n., p. 437.

[2] CONSTANT (B.), « De la liberté des Anciens comparée à celle des modernes », in Écris politiques, textes rassemblés par GAUCHET (M.), Gallimard, coll., Folio, n° 307, Essais, 1997.

[3] CADART (J.) et al., Les modes de scrutin des dix-huit pays libres de l’Europe occidentale et leurs résultats comparés. Élections nationales et européennes, Presses universitaires de France, 1983, p. 80 : « En Suisse, le peuple rend ses grands arrêts dans les référendums, non dans les élections. Il peut très bien élire des députés, détruire ensuite les plus importantes de leurs lois et réélire finalement les mêmes personnages, ne leur tenant aucune rigueur des désaveux qu’il leur inflige, de temps en temps pendant la législature ».