Dans une ordonnance du 1er décembre 2015 n° 394888, le Conseil d’Etat a rejeté une demande de report de l’organisation des élections régionales pour cause d’état d’urgence.
Le juge des référés du Conseil d’État a été saisi le 30 novembre d’une demande de « référé-liberté » demandant au juge, d’une part, d’enjoindre au Premier ministre d’abroger le décret n° 2015-939 du 30 juillet 2015 portant convocation des collèges électoraux pour procéder à l’élection des conseillers régionaux, des conseillers à l’assemblée de Corse, des conseillers à l’assemblée de Guyane et des conseillers à l’assemblée de Martinique et d’autre part, d’enjoindre au Premier ministre de prendre toutes les mesures nécessaires afin de reporter la convocation des collèges électoraux à la fin de l’état d’urgence.
Il s’agissait de la demande annoncée dans Libération par Thomas Guénolé, politologue et Jérémy Afane-Jacquart, avocat au barreau de Paris, selon lesquels « On a bien raison de comparer cette situation gravissime à la guerre d’Algérie. C’est en effet dans le contexte d’alors, sous la menace grave et persistante d’attentats, qu’est adoptée la désormais célèbre loi de 1955. En même temps qu’elle crée la possibilité de faire appel à l’état d’urgence et définit son régime juridique, elle l’instaure pour une durée de six mois. Le 7 août 1955, la menace demeurant prégnante, une nouvelle loi le prolonge d’encore six mois. Cependant des élections générales sont prévues en Algérie française le 2 janvier 1956. Le gouvernement décide alors de reporter ces élections, par un décret du 12 décembre 1955. Le motif de cette décision est frappé au coin du bon sens: les «circonstances exceptionnelles qui rendent impossible, actuellement, le déroulement d’opérations électorales libres et sincères». De fait, «ces circonstances constituent un cas de force majeure obligeant le gouvernement à prendre, sous sa responsabilité, la décision d’ajourner les élections prévues pour le 2 janvier 1956».
Ceux-ci faisaient valoir à l’appui de leur argumentation, d’une part, que mobiliser tous les électeurs dimanche prochain était trop dangereux dans le contexte actuel, d’autre part, que « la menace et le régime d’exception de l’état d’urgence empêchant des élections libres et sincères, il y a atteinte au droit à la libre expression du suffrage, qui repose sur l’article 3 de la Déclaration de 1789, ainsi que sur les articles 2 et 3 de la Constitution française ».
Les requérants soutenaient ainsi que la condition d’urgence est remplie dès lors que la tenue des élections régionales les 6 et 13 décembre 2015, dans le cadre du régime d’état d’urgence, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la sûreté et à la libre expression du suffrage.
Par ailleurs, ils demandaient également au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l’article 10 de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015, en ce qu’elles imposent la convocation des collèges électoraux au plus tard en décembre 2015.
Ces prétentions ont toutefois été rejetées par application de l’article L. 522-3 CJA en vertu duquel le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsqu’il apparaît manifeste que la demande ne peut être accueillie. D’une part, le juge a en effet estimé que « l’application, en vertu de la loi du 20 novembre 2015, de l’état d’urgence ne fait apparaître ni aux regard des exigences de la sûreté ni pour la libre expression du suffrage ni pour la sincérité du scrutin de circonstances qui imposeraient d’envisager le report des élections régionales prévues les 6 et 13 décembre prochains ». Ainsi que nous l’avions dit, il semble que la campagne électorale se soit adaptée aux circonstances et puisse malgré tout se dérouler. D’autre part, il a considéré qu’« à l’évidence les conditions auxquelles l’article L. 521-2 du code de justice administrative subordonne l’usage par le juge des référés des pouvoirs qu’il lui confère ne sont donc pas réunies ». Il considère enfin qu’il n’y a pas lieu de transmettre la QPC.
Le juge administratif a donc clairement pris position dans le cadre du débat sur l’effet de l’état d’urgence sur les élections régionales en refusant de les reporter, de façon toutefois particulièrement sèche en renvoyant la demande par ordonnance sans audience ni instruction. Une méthode qui rappelle celle de certains tribunaux administratifs dans le cadre de l’état d’urgence. Une telle décision mérite plus ample commentaire, qui doit prendre le temps de la réflexion. Celui-ci viendra.
Romain Rambaud